
Mille ans depuis le dernier message. Ce n’est plus une absence, c’est un tome oublié dans une cave poussiéreuse. Pour une raison que j’ignore, ne plus avoir d’ordinateur portable sur lequel écrire mal installée sur le canapé du salon, a entraîné le blogue dans un état comateux avancé, quoique confortable. La vie et ses aléas (l’hiver, les activités variées, les jours de tempête, la fracture de la clavicule de la grande…) ont eu raison du reste.
En parallèle, mue par une motivation soudaine, j’ai créé un nouveau blogue. Je voulais m’autoriser un espace plus public et moins exposé, au gré duquel partager nos découvertes de balades et voyages. Loin des vicissitudes de Gwen Stefani, je l’ai nommé Such a sweet escape. J’en fait peu la promotion, le site étant encore en construction, mais j’y relaie déjà quelques (= trois, à l’heure où nous nous parlons) aventures.
Les idées peinent à se mettre en mots, rapport au fait que la vie est remplie à ras bord de choses variées, potentiellement engageantes (mes sorties de course à pied) mais pas toujours (le gros des journées). J’ai passé la trentaine indifférente aux heures passées à travailler, parcourant mes journées à grands pas, entre deux trains lancés à grande vitesse. La fin de cette décennie me rattrape pourtant : est-ce vraiment comme ça que nous allons passer nos vies ? Je sais que non : un jour les « mamans » résonnent moins, les absences se cumulent et le temps pour soi revient, peut-être pas comme on l’aurait voulu mais quand même.
La vie grignote notre nécessaire besoin de solitude. Je m’en rends compte lorsque je me stationne devant chez moi, et que je mets quelques minutes à sortir de ma voiture. Quelques minutes, juste quelques minutes de plus, à écouter la fin d’un podcast, les notes d’un refrain ou juste le silence.
La charge mentale est lourde, c’est un sujet éculé mais jamais réellement solutionné. Le chemin est désormais identifié, balisé, mais il est sans issue. La charge est féminine, sans que l’on sache vraiment comment, ou pourquoi. Ça n’a pas rapport qu’à une répartition des tâches, une autre dimension semble entrer en jeu, un véritable fonctionnement mental. Qu’est-ce qui explique que mon collègue papa divorcé ne se préoccupe du contenu du souper qu’à 18h, quand mon esprit planifie la durée de cuisson des pâtes et le détour par le supermarché pour cause d’absence de fromage râpé depuis 14h ? Je n’ai pas de réponse à ce phénomène, si ce n’est qu’il est monnaie courante pour la plupart de mes copines, et nettement moins pour mes copains (pas de généralité, mais quand même).
Récemment, je me désolais de manquer d’énergie pour la course, réfléchissant au passage aux types de repas que je devrais préparer pour être mieux armée face à la dépense énergétique. Mon amoureux m’a alors mentionné une spécialiste en nutrition que j’avais déjà rencontrée quelque temps auparavant. « Elle t’avait fait une liste des aliments intéressants », m’a-t-il rappelé. Liste que j’avais laissée de côté presqu’aussitôt. La raison ? Plutôt simple : les aliments se succédaient sur la liste, sans mention de repas à composer. Et j’ai alors réalisé mon enjeu : je n’avais plus d’espace mental disponible pour devoir réfléchir à de nouveaux repas, de nouvelles façons de faire. Je voulais « bien » faire, mais si ce n’était pas servi sur un plateau d’argent avec cuillère assortie, il n’y avait aucune chance que je me rende jusque là.
La charge mentale est devenue telle que chaque effort supplémentaire a un coût conséquent. Ça ne m’étonne pas que les systèmes de planification automatiques, ou même l’IA, puissent rencontrer un tel succès. Souvent, dans mon travail, des collègues (ou moi-même) me disent qu’ils sont bookés « mur à mur », signifiant par là que leur agenda est plein à craquer. C’est un peu l’effet que me fait mon cerveau, il est booké mur à mur, paroi à paroi, plein comme un oeuf, et la soupape n’en peut plus de siffler.
Trois semaines plus tard…
Repousser le temps d’écriture est décidément devenu habitude. Trois semaines ont passé, trois semaines durant lesquels le poids de la charge mentale est devenu écrasant. Cela faisait quelque temps que j’avais le sentiment d’oublier des petites choses. J’aurais juré que j’avais pourtant quelque chose à l’agenda. Ou qu’il y avait un produit supplémentaire à acheter au supermarché. Je l’avais sur le bout de la langue. J’ai toujours eu un cerveau capable d’emmagasiner un lot important de détails et depuis quelque temps, je sens qu’il me trahit. Le plus grand éclat s’est produit un samedi, lorsqu’à l’heure du lunch je me suis rendue compte que nous avions oublié un atelier auquel étaient inscrites nos filles depuis des semaines. J’avais pourtant répété plusieurs fois depuis la fin du mois d’avril : « que quelqu’un prépare l’agenda du mois de mai sur le frigo, j’ai le sentiment qu’il y a beaucoup de choses et que nous allons en échapper ». J’avais été visionnaire mais pas assez proactive, visiblement.
Et en fait de choses, elles n’en peuvent plus de s’accumuler : des déplacements professionnels, aux répétitions de danse, en passant par les réparations de la voiture, les rendez-vous dentaires et médicaux, les vaccins du chien et les innombrables festivités de fin d’année à l’école, nous croulons sous les injonctions calendaires. Je ne sais plus comment je m’appelle mais je dois me souvenir que jeudi sera journée « engins roulants, n’oubliez pas les casques des enfants ». Ça fait trois semaines que j’oublie de passer à la pharmacie mais je ne dois pas perdre la petite étiquette fournie par l’école de danse identifiant l’ordre de passage de mon enfant pour les deux répétitions générales à venir et le spectacle de danse. J’ai annulé par erreur un rendez-vous médical parce que je pensais qu’il tombait en même temps que la sortie de classe des 6e années, mais mardi je dois prévoir d’aller récupérer le chandail du centre équestre entre 18h et 18h17.
Récemment, pour plaisanter, une collègue m’a demandé si à ma prochaine évaluation j’allais demander des vacances en plus ou une augmentation, j’ai répondu : « un(e) adjoint(e) ». Je rêve d’une personne me chuchotant à l’oreille ce qui s’en vient, ce que j’oublie, ce qui arrivera demain, la semaine prochaine. Qui me rappelle de prendre le beurre, parce que j’en aurais besoin dans trois jours ou qui me retient avant que j’arrive aux caisses, parce que j’ai tout pris sauf les pastilles pour le lave-vaisselle, raison initiale de ma venue au supermarché. Qui me donne mes créneaux de disponibilités en confrontant nos trois calendriers, ainsi que l’horaire des enfants, pour que j’évite de rappeler trois fois la secrétaire du dentiste en m’excusant parce que je n’avais pas pris en compte le déplacement professionnel de mon conjoint ou la rétrogradation de Mercure.
Cependant, depuis quelques jours, une vague de renouveau semble venir mordre le sable mouillé de mon désarroi. Des soirées un peu plus longues, des parties de jeux de société entamées sitôt le souper fini, des sessions de lavage de linge qui se terminent assez tôt pour regarder le dernier épisode de notre série du moment… Moment passager ou révolution ? Est-ce que je posséderais enfin la clé de la sérénité ? Je vous tiens au courant.
-Lexie Swing-
Ma chère Lexie, c’est toujours un vrai plaisir de te lire! Tu sais si bien écrire, décrire, le quotidien et cette charge qui me fait souvent oublier la seule chose que j’étais venue chercher au supermarché.
Au fil du temps je me suis équipée d’un calendrier dans lequel je note, même mes jours de congés potentiels, au cas où. Mais aussi les fêtes et anniversaires. Et sur mon téléphone je me mets des rappels: le teinturier, acheter du shampoing, aller chercher ma commande au point relais – j’en zappe parfois – le cadeau d’un tel et une carte et des timbres et le coiffeur parce qu’à la dernière minute, ils n’auront plus de place.
Je me demande si bientôt je ne vais pas avoir des pense-bête dans la maison, des post-it pour me rappeler qu’il faut que loulou apprenne absolument son rôle pour le théâtre, que je dois laver son short de sport avant le jour de sport!!!
C’est éreintant et parfois, oui parfois, c’est fluide et ça fait du bien.
ps – je file découvrir cet autre blog, histoire de voyager un peu!
Moi c’est sur mon agenda de travail que je note finalement tout – preuve de la place que ça prend, le travail :) Mais c’est encore l’agenda que je consulte le plus. Je pense qu’il me faudrait une routine du type “vérifie l’agenda à chaque début de mois, chaque dimanche, chaque soir pour le lendemain, etc…” mais ça semble tout bonnement trop rempli :)
merci pour ce post, j’utilise TimeTree partagé avec mon conjoint. On y note tout ! Et lorsque je ne suis pas là je n’anticipe pas le dîner des enfants. Quand c’est monsieur qui gère un sujet je ne m’en mêle pas, tant pis si on rate des trucs. Un petit exemple lors d’un week-end à la mer où il faudrait réserver un restaurant pour le soir, après une proposition suivie d’un ‘on verra ´, le soir venu aucun restaurant n’était réservé. Ça prend du temps de se détacher du réflexe de tout gérer.
Ce n’est pas évident de lâcher le morceau et de voir le temps passer sans qu’aucune action ne soit prise … je note pour TimeTree, je vais regarder ça je suis curieuse
Le chemin balisé sans issue… c’est tellement bien dit!
Je me bats quotidiennement pour avoir encore une petite liberté, non pas de mouvement, mais pour créer. Impossible d’avoir l’énergie pour le « futile » quand le quotidien pèse lourd.
Je vais voir ton nouveau blog!
On en sort pas ! Là j’arrive pour courir, avec mes affaires à la main parce que fallait partir trop vite, que j’étais en retard pour l’enfant que je devais amener à son activité, etc