
« Le rivage le plus sûr » : c’est le titre du nouveau roman de Caroline Hussar. Une oeuvre qui met l’amitié au centre d’un tout que sont ces vies qui s’entremêlent et se bâtissent. L’amitié est un fil conducteur, au sens propre du terme. Un fil invisible qui nous guide et, quelque part, nous tient debout. Je n’ai pas (encore) lu le livre de Caro mais les éloges sont dythirambiques, alors je ne peux que vous le conseiller. Sa plume est à la fois clairvoyante et extrêmement poétique. Elle lui ressemble, au sens où elle est une personne qui croque l’humain avec beaucoup de justesse, humain qu’elle accompagne, de par son métier, dans toute sa noirceur et vulnérabilité, mais avec cette candeur qui semble toujours l’habiter. Caro et moi nous connaissons depuis plus de 20 ans. Je ne crois pas que nous soyons réellement amies depuis cette même durée et c’est aussi ça, la beauté des relations qui se tissent : pouvoir s’inventer différemment parce que nous ne sommes pas les mêmes personnes qu’il y a 20 ans, justement.
L’amitié, c’est ce truc particulier qui nous accompagne tout au long de la vie. Parfois dur à construire, à conserver, à faire évoluer. Même dans l’enfance, on s’imagine ça facile : des enfants se retrouvent au parc, ils sont dans le même jeu, s’adressent la parole, c’est le début de quelque chose. Ce n’est pourtant pas si vrai, pas si logique. C’est omettre que nombre d’enfants sont intimidés par l’inconnu, nier cette évidence. « Et qu’est-ce que je lui dis après salut? », m’a déjà demandé un de mes enfants. C’est vrai, que dit-on après? Quels sont les codes sociaux qui nous régissent? J’étais de ces enfants qui observent les autres de loin, en espérant qu’on la choisisse pour un jeu, sans jamais oser faire le premier pas.
Et l’âge adulte n’aide en rien. Bien au contraire, nombre de personnes font face à des difficultés pour rebâtir leur cercle social après un déménagement ou un changement de vie. Deborah, ma copine journaliste immigrée à LA, qui tient le blog Sea you son et surtout plusieurs médias associés, en parlait récemment. En tant qu’immigrant, on fait immanquablement face à cet enjeu. Pire : il prend d’autant plus de place que les amis font ici office de famille, devenant les convives de Noël et les oncles et tantes des fêtes d’anniversaire. Et plus l’enjeu est gros, moins on souhaite échouer. Surtout à un moment de notre vie où notre foyer cumule plusieurs individus. S’ouvrir à de nouvelles personnes, c’est souvent leur faire une place auprès de nos proches, avec ce que cela comporte de différences potentielles de valeurs.
J’écoutais il y a quelques jours le témoignage d’une jeune femme diagnostiquée autiste de niveau 1 et TDAH. Elle mentionnait que l’un de ces enjeux (comme personne autiste) était de créer un différenciel dans les relations. En d’autres termes, elle se comporte de la même façon avec ses parents, frères et soeurs, collègues et amis. Plusieurs personnes réagissaient dans les commentaires de son témoignage en relatant des faits similaires avec ce que cela induit comme possibles faux-pas: trop se dévoiler à des collègues, attendre beaucoup de simples camarades parce qu’ils ont témoigné ponctuellement un intérêt ou au contraire ne jamais s’autoriser à se livrer parce que l’on ne parvient pas à évaluer s’il s’agit ou non d’une relation de confiance.
Or, si des goûts ou intérêts communs sont souvent le terreau de la relation amicale, c’est la vulnérabilité que l’on s’autorise qui en est l’engrais. Autant le compost de crevettes fait des merveilles dans mon potager, autant mon incapacité à m’ouvrir m’empêche d’aller par delà l’amitié de surface. Il y a quelques années, alors qu’un trajet quotidien me transportait dans mes pensées (rien comme un paysage monotone pour s’offrir une psychanalyse), je me suis demandée : « Quel ami appellerais-je si je me séparais de mon conjoint ? À qui confierais-je mon désarroi ? » Parce que oui, je confie mes pensées les plus fugaces à mon « meilleur ami » : mon amoureux. Toutes mes pensées. Est-ce qu’il s’en passerait ? Probablement. Mais vous savez ce que c’est : « We vow to support each other in sickness and in health, and through all those crazy thoughts that live in my head ». Si, c’est juste que vous n’avez jamais lu les petites lignes.
Bref, qui appellerais-je si ce n’est lui? Et, à l’époque, je ne savais pas. J’avais quelques noms, quelques amis de confiance qui m’auraient offert un lit, une épaule, une revanche. Mais est-ce qu’ils auraient été surpris? Oui. Car aucun d’eux n’aurait su par avance que quelque chose se délitait. Je ne confiais ni mes difficultés, ni mes états d’âme, donnant une image de stabilité sans pareille. Un jour, ma psy m’a demandé pourquoi je ne disais jamais rien et j’ai répondu que j’avais peur de la pitié. Rien ne me filait plus de boutons qu’une phrase commençant par « ma pauvre ». Elle m’a alors dévoilé une rime que je refusais d’apprendre : à celui qui ne se confie pas, il n’y a pas d’amitié réelle. Elle n’aura pas le premier prix de poésie mais la phrase, elle, faisait du sens. Les échanges étaient à sens unique. J’écoutais, persuadée que là était la clef, mais sans jamais m’ouvrir. Lorsque je reflétais, c’était via une histoire empruntée à quelqu’un d’autre. Je vivais beaucoup de discussions à sens unique, en spectatrice.
Est arrivé un tournant dans mon existence – c’est drôle, on dit souvent « un tournant » comme si l’on empruntait une suite de chemins linéaires alors que chaque journée apporte son lot de dos d’âne et de sorties de route. J’étais entre deux jobs, essorée jusqu’à la moëlle par un quotidien professionnel qui nous avait laissé exsangues, mes anciennes collègues et moi. Pour la première fois de ma vie, j’étais incapable de faire confiance à mon instinct. Je ne savais plus ce qui était bon pour moi, et je n’arrivais plus à écouter mes proches. Un soir, prenant un verre avec une amie, je me suis mise à raconter. J’ai dit le sentiment d’impuissance, j’ai mis des mots sur mes doutes, j’ai exprimé la peur de me tromper. Elle a posé quelques questions et puis elle a simplement dit : « Je comprends tes craintes, mais je crois que tu n’as rien à perdre. Tu as le droit de te tromper. » En quelques mots, elle avait validé mes sentiments et proposé une solution. Elle n’a pas eu pitié de ma détresse, elle n’a pas dit qu’elle n’aurait pas aimé être à ma place, elle n’a pas parlé de la cousine de sa belle-soeur qui vivait la même situation, elle a écouté, posé des questions et donné son avis, simplement. Ça a été le déclencheur. J’ai compris que celui qui se confie peut trouver une oreille attentive et que l’amitié se bâtit sur la transparence et l’honnêteté, avant tout.
Alors merci à tous mes amis, à ceux qui ont toujours fait partie de ma vie, et à ceux qui sont arrivés plus tard, à ceux qui sont de l’autre côté de l’océan et ceux qui vivent la porte à côté, à ceux avec qui je partage mon quotidien, mon travail, mes humeurs, mes incertitudes et ceux à qui j’envoie mes pensées, fugaces et inconsistantes parce que la vie nous a éloignés mais que nos souvenirs nous rapprochent. Je vous aime tant!
-Lexie Swing-
Photo Pexels
Très bel article.
L’amitié ça m’a paru compliqué à 10 ans, évident à 20 ans, vrai à 30 ans. Et à mesure que le temps passe, je me dévoile davantage car c’est dans le partage en effet qu’on touche au plus profond de l’humain.
A 40 ans, construire de nouvelles amitiés est très compliqué. Je ne trouve plus le bouton mais j’ai des amis en or, avec lesquels j’ai grandi, muri, ri aussi, pleuré, qui sont mon phare, mon socle, mes repères, mes confidents, mes conseillers. Et peut-être parce que l’amitié pour moi ne va pas sans le partage sans filtre de qui je suis, je n’arrive plus à faire avec des amitiés de surface.
C’est vrai que plus le temps passe et plus il est difficile de bâtir des relations. Le shift que je vois de mon côté, c’est que beaucoup d’entre elles se bâtissent désormais sur le milieu de travail alors que ce n’était pas vrai pour moi au début de ma carrière. Le temps passe, j’ai changé d’emploi, mais ça n’empêche pas certaines relations de s’inscrire dans le temps.