«Je suis plus ta fille». Dans sa voix, le ton est impérieux, défiant. On ne cille pas. Ce n’est pas la première fois qu’on entend ça. Je suis plus ta fille, plus ta sœur, t’es plus mon père, je vais trouver une autre famille. B. la discrète est devenue B. la bouillonnante. À la faveur de la naissance de sa sœur, à l’aube de l’automne (merci Corneille), il ya bientôt 4 ans, le petit chat s’est transformé en lion.
Ça nous a pris trois âges pas faciles pour arriver au résultat actuel : le Terrible Two (en avance de quelques mois), le Threenager et le Fucking Four. On n’a pas fait mieux depuis l’ère Mésozoïque (l’ère où ont vécu la majorité des dinosaures, divisée en trois périodes : Crétacé, Jurassique et Trias… ça se sent que j’ai fait mes devoirs de maternelle, non?).
La (presque) blondinette effacée, qu’on taxait déjà de timide-comme-ses-parents-au-même-âge, avait trouvé sa «voix». Avez-vous déjà eu affaire à un enfant à la fois introverti et en colère? C’est un degré non mesuré sur l’échelle de Richter. Les sentiments sont énormes mais tapis, bouillonnants mais incommunicables. Ce n’est pas faute de parole, pourtant, et malgré ce que les spécialistes veulent bien en dire. L’enfant qui communique mal ses sentiments n’est pas toujours celui qui ne connaît pas les mots. Il les connaît mais il ne les trouve pas, le moment venu, plongé dans un abysse d’émotions affleurantes. Comme si l’iceberg tout entier avait soudainement décidé d’émerger.
Nous ne sommes pas tous doués de naissance pour exprimer nos sentiments. Si certains enfants ponctuent leurs jeux d’un «je suis TELLEMENT heureux» et leurs inquiétudes d’un «es-tu sûr que ça va Papa?», d’autres ignorent comment mettre des mots sur ce qu’ils ressentent. Un handicap qui peut perdurer à l’âge adulte. En témoignent les jeudis de filles et leur lot de «non mais sérieux ce mec, c’est un handicapé des sentiments». Soit. On ne peut apprendre ce que l’on ne nous enseigne pas.
C’est donc avec force dévotion et très peu de patience que nous avons travaillé d’arrache-pied pour aider B. à reconnaître ses sentiments pour apprendre plus tard à les maîtriser. Nous avons lutté fort et hurlé souvent. Pour dire ensuite : «tu as vu, ça c’est de la colère, moi aussi il m’arrive de ne pas réussir à maîtriser mes sentiments». Transformer ses échecs en apprentissages et devenir son propre cobaye, le B A BA de l’éducation approximative.
L’école et l’apprentissage de la socialisation ont fait le reste. Tapie dans l’ombre, au départ, B. est devenue plus affirmée, campée sur ses positions. «Je ne suis pas d’accord», a-t-elle récemment dit à son institutrice. La rébellion s’installe, héritage paternel, et la défiance n’est jamais loin. Ses mots sont restés durs : «Arrête!», «Non mais tu peux faire ce que je t’ai demandé?», «T’es pas un peu tannant?». Elle reprend à sa sauce notre ton, épinglant une fois de plus nos incohérences. «On ne parle pas comme ça aux adultes!», s’agace-t-on. «Pourquoi on peut parler comme ça aux enfants, alors?», s’énerve-t-elle en retour.
Elle est droite, raide comme la Justice à laquelle elle croit très fort. Elle a 6 ans, et campe sur ses positions comme un cheval rétif. Et chaque jour, je nous félicite d’avoir refusé les cases, d’avoir refoulé le tampon de la timidité comme le seul valable. Car elle sera probablement tout ça à la fois. Courageuse, fière, intimidée, têtue, douce, tantôt câline, tantôt sauvage, avec cette forte indépendance des idées, et ce fort besoin encore d’être bercée. Elle est mon chaton sauvage.
-Lexie Swing-