Elle a osé. C’est quoi cette blague. Elle a bu ou quoi? Et puis t’as vu…
Autour de moi, les remarques ont sifflé, les langues engourdies par l’hiver se sont déliées. Après tout ça, après ces scandales, ces échanges, les prises de position vigoureuses sur les réseaux sociaux… Après, surtout, cet accord au féminin, cette cacophonie de voix devenue une chorale parfaite. Plus soprano que ténor, certes, mais définitivement collégiale.
Après tout cela, voilà qu’une tribune importune vient rompre l’harmonie. Et plus que sur le contenu, je me suis interrogée sur le pourquoi. Grand bien leur fasse de penser ce qu’elles pensent, Catherine(s) et consorts, mais quel est le but de ce partage? N’y a-t-il aucune cause qui mérite plus d’être défendue que la liberté d’importuner (b****** de m**** la liberté d’importuner?). Est-ce que cela méritait une tribune?
“Je pense et ai soupesé chaque mot pour lequel j’ai signé”, ont juré devant le grand public – ce Dieu moderne -les 100 signataires de l’article. Force est de constater que l’on peut signer n’importe quoi et que la balance de valeur qu’on attribue à nos propos n’engage que nous. Car ce manifeste, si elles le pouvaient, elles l’élèveraient au rang de celui qui fut jadis auréolé pour son courage, et pour les 343 signataires qui l’avaient ainsi porté. Preuve si l’en fallait que le terme de salope connaît plus d’une vérité. Nous aurons eu divers combats pour accéder à l’égalité : l’accès au travail, l’égalité salariale, le droit à disposer de son corps. S’y ajoute donc désormais la liberté d’importuner, et j’en rirais bien si cela ne me donnait pas tant le goût d’en pleurer.
Mon père arborait il y a longtemps un t-shirt qui scandait que l’homme est un loup pour l’homme. Les récents scandales ont galvanisé l’idée que l’homme est surtout un loup pour la femme. Mais ma plus ancienne analyse, du haut de mes presque 32 ans, est que la femme est surtout un ennemi pour la femme elle-même. Et je n’utiliserai point le mot loup, ou louve, car l’animal est noble et il n’attaque que par nécessité, quand les femmes (et les hommes) attaquent par orgueil. Manquait-il des feux de ce côté-là de la rampe? Les fauves tournaient-ils en rond au point de manquer de proies? Pauvreté, violence et faim dans le monde devaient manquer de saveur.
J’ai appris cette fin de semaine – par un chum dopé aux nouvelles du matin – que le troupeau avait choisi de se désolidariser de la brebis galeuse. Celle-là même qui a jugé opportun d’accoler viol et jouir, dans la même expression. Pour sa défense j’ai été journaliste et je dois reconnaître qu’il n’y a certainement pas plus putaclic comme titre. Niveau SR, 10 sur 10. Niveau notoriété, 10 sur 10 également. Brigitte est certainement en passe de devenir le nom le plus googlé de l’année 2018 (pour quelqu’un qui était passablement inconnue au Nouvel An, on peut tout de même évoquer une célébrité fulgurante).
Niveau bienséance, intelligence et empathie, on repassera en revanche. A peine la moyenne. “A force de voler au raz des pâquerettes, on finit le nez sur le bitume” ironisait mon prof de physique, non sans une certaine poésie.
Cependant, loin de m’emballer pour si peu – nous sommes au XXIe siècle et on peut dire que la vie nous choie en termes de commentaires dégueulasses et d’idées paranos véhiculées sur les Internet – je me suis surtout amusée de ce soudain retournement de situation. Oubliées les défenseures des dragueurs importuns, sus à Brigitte, l’outrageante, la débauchée, la vile capable de réunir jouissance et violence, quand d’autres défendent harcèlement et agression.
Au royaume des aveugles, celle qui psalmodie le plus fort est une cible parfaite. On oubliera le manifeste, la position plus que contestable, le combat indécent mené par des femmes, contre les femmes. Mais au bénéfice des hommes.
Restera la brebis. Qui n’éveille ni ma pitié ni même mon intérêt. Mais qui a eu le mérite de me sortir de ma torpeur face à toute cette débâcle de mauvais goût. Faisons pire que les autres, et voyons où ça nous mène.
Et comme l’écrivait finalement mon professeur, de ses pattes de mouches illisibles : “Pauvre petite, elle est drôle quand même, dommage qu’on ne puisse plus rien faire pour elle”;
-Lexie Swing-
Photo : Ian Schneider
Une fois de plus, superbe texte, tant dans le fond que dans la forme! Merci
Merci à toi ! Qu’en penses tu de tout ça ?
Je pense que les signataires de cette tribune sont complètement à côté de la plaque (oserais-je dire gâteuses?) l’affaire Weinstein a permis de libérer la parole sur un phénomène de grande ampleur de harcèlement et d’agression sexuelles, on ne parle pas de jeu de séduction là. Elles font perdurer une vieille vision sexiste des rapports homme/femme qui voudrait que les violences des hommes sur les femmes puissent être romantiques ou érotiques. Moi je suis contente que cette affaire fasse se remettre en question les hommes sur leur comportement qui pourrait être déplacé. Et si certains ont peur peut-être ne sont-ils pas irréprochables ?