Première génération

Immigrants de deuxième génération. De troisième. Ou quatrième. Avez-vous déjà entendu cette expression ? Dans l’imaginaire de classes, il fait référence à une réalité marginale, des inconnus venus d’ailleurs il y a longtemps et qui se sont installés dans le pays dont on est citoyen. Si le nom porte des consonances particulières, on devine ces origines lointaines. On les tance parfois, persuadé que la personne que l’on a en face de soi est arrivée hier sur le sol que l’on partage quand bien souvent elle y est née, comme nous. Mais avec un nom d’ailleurs.

Ce qui me consternait, quand j’étais plus jeune, c’était de voir des proches, immigrants de 4e génération, faire preuve de rejets envers des immigrations de 1e et 2e génération. Ils étaient souvent originaires de régions du monde différentes, avaient immigré à des époques autres mais s’étaient fondu dans une masse qui avait étreint leurs noms et leurs habitudes, entremêlant des cultures pour en créer de nouvelles. Ils étaient devenus d’ici, reprochant aux autres d’être d’ailleurs, plus royalistes que le roi lui-même, peut être inquiets de se voir un jour reprocher leur état citoyen, leur être français, si la récente immigration provoquait une houle infondée.

Nous étions partiellement de ces citoyens d’immigration lointaine. Et puis je suis partie. Et je suis devenue une immigrante de première génération. J’ai eu des enfants, devenus à leur tour des immigrants de deuxième génération. Nous vivons ici depuis dix ans, et avons adopté un certain nombre d’habitudes, de goûts culturels et de connaissances historiques. Nos enfants étudient une histoire qui n’est pas celle que nous avons connue, et une géographie qui met de l’avant une réalité différemment orientée. Mais immigrants nous restons, forts de ce que nous portons en héritage, conscients des écarts et des multiples façons d’être.

10 ans nous ont ancré mais je m’interroge parfois sur la solidité de nos racines. Est-on la première génération d’une nouvelle branche de l’arbre ? Est-ce que, dans 200 ans, nos descendants étudieront l’arbre généalogique en parlant de la branche canadienne qui s’est étirée à l’ouest du monde ? Ou bien sitôt l’âge adulte venu, nos filles partiront vers de nouvelles aventures, un autre territoire de jeu. Partiront-elles là d’où nous sommes partis ? Et est-ce que cela devient alors un retour aux sources ? Ou une nouvelle immigration ? Est-ce que le monde nous enchante au point d’avoir fait de nous des générations nomades, dont les racines se replantent au gré des envies et des pérégrinations ?

Je me plais à penser que, quel que soit le chemin qui sera suivi et les branches de l’arbre qui fleuriront, nous sommes le début de quelque chose de différent, d’une identité nouvelle qui se perpétuera dans les générations qui nous suivront, marquées à jamais de cette double identité. Parfois, je me dis que nos jours futurs se feront entre deux avions, partis rejoindre nos filles à l’autre bout du monde. Et d’autres fois, je songe que le campement établi deviendra château, que les piquets deviendront fondations, et qu’elles seront pour toujours d’ici, avant d’être d’ailleurs. Deuxième génération d’immigrants, sixième génération d’un lointain déplacement, filles en mouvement dans cette planète si vaste. Elles plongeront leurs racines dans la terre glacée de ce pan-ci du monde, entre océans et forêts, vibrantes d’une patrie qui les a accueillies à défaut de les avoir portées, et cela rend peut être encore cet attachement là plus profond, d’être devenu par choix et non par naissance.

-Lexie Swing-

5 réflexions sur “Première génération

  1. Tu soulèves un question que je me pose de plus en plus : est-ce que Mark fera sa vie au Canada? Est-ce que nous, nous vieillirons au Canada? Tout cela est évidemment purement hypothétique, le monde change vite, nous aussi.

    Je commence à voir des « premières générations » (toutes origines) commencer à préparer leur départ. Le timing varie, « à la retraite », « quand les enfants auront fini leur scolarité », « d’ici cinq ans ». Visiblement, prendre racine, c’est pas gagné, en fait. Surtout dans un monde où nous sommes beaucoup à avoir la possibilité d’aller ailleurs : nous n’avons pas fui un conflit ou une guerre, nous ne sommes pas arrivés par bateau sans moyen de repartir, la famille ne compte pas sur nous pour subvenir à ses besoins. Je ne parle pas que pour les Français! Bref, c’est plus comme il y a 100 ou 200 ans, où fallait vraiment prendre racine quelque part parce que l’immigration était un one-way trip.

    • Tu résumes exactement mon questionnement et tu as tout à fait raison concernant le fait que l’immigration n’est plus nécessairement un one way trip. Moi aussi je vois des gens planifier de partir pour la retraite, ou simplement de penser à partir ailleurs, pour une nouvelle aventure.

  2. Je crois que de plus en plus de gens sont des « citoyens du monde », aux lieux de vie changeants. Je me dis souvent que je serai vieille lorsque je n’aurai plus l’énergie de tout recommencer ailleurs… Mais ce qui est une certitude, c’est que devenir soi-même un immigrant de première génération permet de mieux comprendre la vie des immigrants rencontrés ailleurs…

    • Honnêtement, je ressens déjà ce côté “je n’ai plus la force de recommencer ailleurs”. Ceci dit, c’est vrai aussi dans un contexte d’immigration complète, incluant enfants et recherche de jobs. Peut être que dans une vision de retraite, ce serait différent

      • C’est clair que les enfants complexifient singulièrement la donne… Nous avons bien ressenti la différence entre notre installation en couple à la Réunion, et notre installation en famille au Canada (et ce n’est pas qu’une histoire de paperasse…).

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