Le retour sur Instagram

J’étais partie le cœur léger, j’y suis revenue sur la pointe des pieds, par la petite porte. Je furetais entre les profils, pas tous les jours et jamais très longtemps.

Et puis l’application s’est remise à popper. Des gens me suivaient, de nouvelles personnes décidaient d’aimer les photos que j’avais publiées jadis.

Et alors que je cherchais, un soir, une photo proposée il y a bien longtemps, alors que Tempête n’était qu’une toute petite chose molle et fripée, bien loin de la fillette dodue et pleine d’énergie qui galope à mes côtés. Alors que je la cherchais, donc, j’ai parcouru mon album de photos publiées. Mes hashtag maladroits m’ont narguée, mes mentions publicitaires m’ont agacée, mais les photos m’ont souvent émue. Elles étaient un instant de cette vie. Pas son reflet, ni même sa vérité, mais un extrait, une capture souvent sans contexte, un moment trop bien cadré mais émouvant quelque part.

Je ne voulais plus voir la vie à travers mon téléphone, et leur sourire seulement au creux de ma main. Je ne voulais plus prendre des photos de dos, respect de leur anonymat oblige. Je ne voulais plus voir leur quotidien seulement par dessus leur épaule. Et savourer mon plat sur écran glacé, immortaliser ma course mais ne pas la terminer, figer des rires dont je n’ai pas profité.

Alors j’ai décidé de changer les règles. Publier oui, mais pas tout de suite. Choisir une photo car elle signifie quelque chose, et non capturer l’instant pour seulement le partager, avec la contrainte de l’immédiateté, comme si le moment allait se flétrir s’il n’était pas instantanément partagé.

Au 15 janvier, j’ai publié une première photo. Un souvenir d’enfance, répondant du même fait à une tendance du moment. Un bel exercice de mémoire, un clin d’œil à la paternité. Ce 15 février, j’ai choisi d’honorer mon pays, sa culture du sport d’hiver et l’importance pour moi d’embrasser pleinement ce qu’il a à offrir.

Je me plais à imaginer ce que le 15 mars pourrait révéler. Notre attente à l’aéroport, fin février, et l’arrivée de mes parents ? La célébration tardive de la fête de Miss Swing? Une tempête de neige au 14 mars dont ils diront encore que c’était la dernière, avant que le poids du monde retombe 15 jours plus tard ? L’ambiance cabane à sucre ? Un instant volé au sommeil ? Une cachette improvisée entre deux oreillers ?

Un mois de vie peut-il se réduire à une seule photo ? Absolument pas. Mais il est amusant de constater que ce ne sont pas forcément les grands moments, ni même les photos les mieux cadrées, que l’on choisit de montrer.

La photo de février est donc en ligne ! Pour d’autres aventures, rendez-vous dans un mois…

-Lexie Swing-

La vie par écrans interposés 

Elles ont 13, 14 ans peut-être. Elles rient et font des mimiques. Leurs cheveux sont coupés à la dernière mode, leurs jeans aussi. Quand elles s’élancent depuis les balançoires trop petites pour elles, leurs Converses balaient le sol, se recouvrant d’une fine poussière de sable. Elles sont deux, elles sont adolescentes, elles sont comme toutes les adolescentes amies de ce monde, aussi insouciantes. Mais aussi plus conscientes. En face d’elles, portés comme un étendard, leurs téléphones en miroir. L’heure tourne et la caméra aussi, sans cesse, ininterrompue. Les photos pleuvent, les bouches en cul de poule s’amoncellent sur la pellicule de leurs iPhones aux coques fleuries.Bientôt, elles s’effondrent dans l’herbe, l’une à côté de l’autre. Leurs épaules se touchent mais leurs esprits sont loin. Ils téléchargent sur Instagram et commentent sur Facebook. Ils sont absents du réel, tout entiers absorbés par le virtuel. Et je ne peux m’empêcher de me demander si leurs souvenirs seront différents des nôtres et si leurs rires résonneront encore longtemps dans leur mémoire ou s’ils finiront par tomber dans les oubliettes de Snapchat.

Il y a bien longtemps qu’on ne croise plus le regard des gens, dans la rue. Bien longtemps que l’on est contraint de slalomer sur les trottoirs, un œil vaguement aux aguets et l’autre rivé sur le message que l’on tape frénétiquement. Les conversations téléphoniques des premières années avaient le mérite de garder les regards droits, mais l’Internet à disposition quasi universelle a balayé la conscience du moment.

On n’a jamais autant parlé de pleine conscience que maintenant que nos esprits sont perpétuellement ailleurs, happés par des conversations à cheval sur plusieurs continents et différents fuseaux horaires. On n’a jamais été autant connectés au monde, et déconnectés des autres.

Je n’aurais jamais pensé estimer un jour la beauté d’un coucher de soleil à travers son potentiel Instragam. Ni prendre mes enfants en photos pour le bien d’autre chose que mes souvenirs et mon cœur : pour mon blog. Je n’imaginais pas non plus que mon esprit intégrerait si bien les décalages horaires et ferait fi de l’océan. Ni que les maisons brisées de Saint-Martin voisineraient une critique locale faite à la météo pluvieuse, qui elle-même chevaucherait des photos d’enfants bronzés en rang pour la rentrée, juste à côté du visage éploré d’un jeune garçon Rohingya dont le père allait être exécuté.

Je ne sais plus vraiment quoi penser de notre époque. Nous n’avons jamais été aussi conscients et au courant, et paradoxalement si distanciés. Le cœur du monde occidental s’indigne désormais avec plus de ferveur pour la bague dérobée d’une vieille dame qu’à la vision de cadavres d’enfants migrants noyés en Méditerranée. Les connaissances n’ont jamais été aussi nombreuses et pourtant les jugements n’ont jamais été aussi instinctifs, aussi peu réfléchis, aussi malaisants, abrités derrière l’anonymat de l’Internet et de l’écran.

Internet prend aujourd’hui tellement de place… Dans notre quotidien, au travail, dans les tribunes alors que nous sommes spectateurs de l’activité sportive de notre enfant, au restaurant et jusque dans nos chambres à coucher. Est-ce qu’il n’est pas parfaitement ridicule d’être allongé là, à presser vigoureusement sur l’écran de notre téléphone pour échanger avec des amis au bout du monde, tout en ignorant superbement la personne allongée juste à côté et qui partage notre vie? Combien de fois ai-je tardé à lever les yeux vers mon enfant qui m’appelait parce que mon regard était retenu par un message que je venais de recevoir? Quelles choses ai-je manquées, quelles beautés du paysage ai-je ignorées, parce que mon champ de vision se réduisait à un écran de 4 pouces?

Je fais des in and out. Je pose mon téléphone, l’oublie, me consacre à d’autres choses. La séparation n’est pas si difficile, le manque est celui de l’habitude. Et puis je le récupère, parce que la semaine recommence, le devoir m’appelle, je n’ai plus de livres à lire et dégaine alors la seule occupation quasi quotidienne de ces dernières années : mon téléphone portable. Je lis des choses qui me semblent importantes, sans n’y prêter aucune analyse. J’enregistre, j’oublie aussitôt, je zappe. Les informations se télescopent. Je ne sais plus qui de mes amies ou de la Princess Kate est enceinte. Et cette histoire de maison inondée est-elle arrivée à quelqu’un que je connais? Je commence des phrases par « il y a quelqu’un qui disait que…» en citant de parfaits inconnus. Je sais tout de certains blogueurs outre-Atlantique mais rien de mes voisins.

Je sais que «c’est ça le XXIe siècle». Mais je me demande encore si c’est bien. Et si mes filles y seront heureuses. Sommes-nous vraiment faits, nous humains, pour vivre ainsi d’intangible et de nouvelles jusqu’à l’écoeurement? Je n’ai jamais autant douté.

Et vous?

 

-Lexie Swing-