Elles ont 13, 14 ans peut-être. Elles rient et font des mimiques. Leurs cheveux sont coupés à la dernière mode, leurs jeans aussi. Quand elles s’élancent depuis les balançoires trop petites pour elles, leurs Converses balaient le sol, se recouvrant d’une fine poussière de sable. Elles sont deux, elles sont adolescentes, elles sont comme toutes les adolescentes amies de ce monde, aussi insouciantes. Mais aussi plus conscientes. En face d’elles, portés comme un étendard, leurs téléphones en miroir. L’heure tourne et la caméra aussi, sans cesse, ininterrompue. Les photos pleuvent, les bouches en cul de poule s’amoncellent sur la pellicule de leurs iPhones aux coques fleuries.Bientôt, elles s’effondrent dans l’herbe, l’une à côté de l’autre. Leurs épaules se touchent mais leurs esprits sont loin. Ils téléchargent sur Instagram et commentent sur Facebook. Ils sont absents du réel, tout entiers absorbés par le virtuel. Et je ne peux m’empêcher de me demander si leurs souvenirs seront différents des nôtres et si leurs rires résonneront encore longtemps dans leur mémoire ou s’ils finiront par tomber dans les oubliettes de Snapchat.
Il y a bien longtemps qu’on ne croise plus le regard des gens, dans la rue. Bien longtemps que l’on est contraint de slalomer sur les trottoirs, un œil vaguement aux aguets et l’autre rivé sur le message que l’on tape frénétiquement. Les conversations téléphoniques des premières années avaient le mérite de garder les regards droits, mais l’Internet à disposition quasi universelle a balayé la conscience du moment.
On n’a jamais autant parlé de pleine conscience que maintenant que nos esprits sont perpétuellement ailleurs, happés par des conversations à cheval sur plusieurs continents et différents fuseaux horaires. On n’a jamais été autant connectés au monde, et déconnectés des autres.
Je n’aurais jamais pensé estimer un jour la beauté d’un coucher de soleil à travers son potentiel Instragam. Ni prendre mes enfants en photos pour le bien d’autre chose que mes souvenirs et mon cœur : pour mon blog. Je n’imaginais pas non plus que mon esprit intégrerait si bien les décalages horaires et ferait fi de l’océan. Ni que les maisons brisées de Saint-Martin voisineraient une critique locale faite à la météo pluvieuse, qui elle-même chevaucherait des photos d’enfants bronzés en rang pour la rentrée, juste à côté du visage éploré d’un jeune garçon Rohingya dont le père allait être exécuté.
Je ne sais plus vraiment quoi penser de notre époque. Nous n’avons jamais été aussi conscients et au courant, et paradoxalement si distanciés. Le cœur du monde occidental s’indigne désormais avec plus de ferveur pour la bague dérobée d’une vieille dame qu’à la vision de cadavres d’enfants migrants noyés en Méditerranée. Les connaissances n’ont jamais été aussi nombreuses et pourtant les jugements n’ont jamais été aussi instinctifs, aussi peu réfléchis, aussi malaisants, abrités derrière l’anonymat de l’Internet et de l’écran.
Internet prend aujourd’hui tellement de place… Dans notre quotidien, au travail, dans les tribunes alors que nous sommes spectateurs de l’activité sportive de notre enfant, au restaurant et jusque dans nos chambres à coucher. Est-ce qu’il n’est pas parfaitement ridicule d’être allongé là, à presser vigoureusement sur l’écran de notre téléphone pour échanger avec des amis au bout du monde, tout en ignorant superbement la personne allongée juste à côté et qui partage notre vie? Combien de fois ai-je tardé à lever les yeux vers mon enfant qui m’appelait parce que mon regard était retenu par un message que je venais de recevoir? Quelles choses ai-je manquées, quelles beautés du paysage ai-je ignorées, parce que mon champ de vision se réduisait à un écran de 4 pouces?
Je fais des in and out. Je pose mon téléphone, l’oublie, me consacre à d’autres choses. La séparation n’est pas si difficile, le manque est celui de l’habitude. Et puis je le récupère, parce que la semaine recommence, le devoir m’appelle, je n’ai plus de livres à lire et dégaine alors la seule occupation quasi quotidienne de ces dernières années : mon téléphone portable. Je lis des choses qui me semblent importantes, sans n’y prêter aucune analyse. J’enregistre, j’oublie aussitôt, je zappe. Les informations se télescopent. Je ne sais plus qui de mes amies ou de la Princess Kate est enceinte. Et cette histoire de maison inondée est-elle arrivée à quelqu’un que je connais? Je commence des phrases par « il y a quelqu’un qui disait que…» en citant de parfaits inconnus. Je sais tout de certains blogueurs outre-Atlantique mais rien de mes voisins.
Je sais que «c’est ça le XXIe siècle». Mais je me demande encore si c’est bien. Et si mes filles y seront heureuses. Sommes-nous vraiment faits, nous humains, pour vivre ainsi d’intangible et de nouvelles jusqu’à l’écoeurement? Je n’ai jamais autant douté.
Et vous?
-Lexie Swing-
Autant j’ai souvent l’oeil derrière l’appareil photo, autant je ne suis pas du tout dans les téléphones, tablettes et autres. Avec mon appareil photo, j’ai l’impression de raconter une histoire, de vivre le présent et d’écrire le futur. Je n’ai pas du tout ce sentiment par contre que je suis sur le smartphone… c’est bizarre.
Je n’ai pas trop mon smartphone, d’ailleurs, et je suis paradoxalement assez peu connectée (même si je suis moins pudique sur notre vie privée et notre image que toi). Hormis le blog et Twitter (ce dernier, si je suis dans le bus!), je ne suis pas sur les réseaux sociaux. Et sur le blog, j’ai l’impression de contrôler quand même ce que je mets, ce que je partage… alors que sur les réseaux, ça m’échappe.
Moi certains jours je suis comme rivée dessus. Comme si j’avais peur de louper qq chose, une info qui ne pouvait pas attendre. C’est ridicule
C’est marrant, le sujet est venu sur le tapis la semaine dernière chez nous. Les cousines de mon conjoint (15 ans) ont passé leurs derniers jours de vacances chez mes beaux-parents et on a pu assister au spectacle de cette génération smartphonisée à outrance. Toute la soirée à tapoter sur leur messagerie. Moi ce que je me demande c’est DE QUOI ILS PARLENT pcq ils ne font rien à part être sur une chaise et tapoter ?? En fait, c’est plus ça qui m’interpelle. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien se raconter ces ados à longueur de journée ???? Et puis du coup, effectivement, quels souvenirs ils auront de leurs vacances d’ado ? Pcq une après-midi piscine avec les copains, des ballades à vélo dans les champs, des bons livres à lire, ça laisse des traces, mais des aprem smartphones, on en garde quoi après ??
Pour ma part, je suis pas trop smartphone non plus… et la vie parfaite de Facebook, m’a lassé. Je ne suis quasiment plus que des groupes sur des sujets qui m’intéressent et plus trop la vie des gens. En plus, je trouve pas ça « fair » de voir la vie des gens que je ne vois plus et de savoir leur vie presque mieux que si je les voyais encore… ça me met mal à l’aise.
Mais c’est un vaste débat…et nous ne sommes malheureusement pas bien armés face aux moyens de communications nouveaux car ils sont trop nouveaux justement. Autant, quand on était petit on a tous eu les mêmes consignes de nos parents : ne dis pas qu’on est absents si tu réponds au téléphone, ne monte pas la voiture d’un inconnu…. autant, on est assez démunis face aux réseaux sociaux car ça évolue en même temps que nous et donc on prend les coups sans pouvoir les prévoir, on mesure la portée de ce qu’on poste en même temps que tout le monde…. bref, c’est une nouvelle éducation à faire, des nouvelles normes à trouver, un nouveau monde à apprivoiser pour ne pas déraper !
Et oups, c’est un peu long, sorry ! Mais c’est un sujet un peu brûlant pour le moment ;-)
Je trouve ça super intéressant, l’histoire et le ressenti. Les souvenirs dont tu parles font partie de ceux qui ont nourri mes rêves et mon imagination. Je me demande de quoi seront faits ceux de nos enfants et des générations futures. Ce n’est pas de la nostalgie, j’ai juste du mal à imaginer
Comme dans toute génération, il y a des choses à prendre, d’autres à laisser. L’équilibre est fragile. Je me pose la question moi aussi. Quand je vois des gens scotchés à leur téléphone jour et nuit, oubliant le monde qui les entoure.
Alors de temps en temps je lâche, je le laisse derrière moi, j’oublie que l’écran existe et je respire à pleins poumons la vie qui vibre au naturel.
Toujours de la poésie dans tes mots :)
C’est bizarre, lors de ma premiere lecture de ton article, impossible de commenter!
Pour ma part mon telephone et les reseaux sociaux sont un peu une distraction, quand j’ai besoin de faire une petite pause. Mais j’arrive bien a poser mon telephone et ne pas y toucher. Surtout le weekend et pendant les vacances.
Je suis sans cesse en train de m’interroger sur mon blog par contre, c’est marrant ce qui me fait peur a moi c’est que mes proches (ou pire des clients) le trouve. Par contre raconter ma life a des inconnus, pas de soucis haha
Quand aux nouvelles generations, je pense que les ados on paradoxalement un certain recul dans le sens ou ils se prennent moins au serieux en ligne. Apres, quand je vois que certaines ecoles ne veulent plus enseigner l’ecriture a la main je ne suis pas d’accord. La VRAIE vie c’est tellement plus enrichissant
Ah ah ah j’ai la même peur !!
Phew d’un cote ca me rassure ;)