Autour de moi, tel un printemps de ventres ronds, les bébés ont recommencé à fleurir. J’aime les bébés, leur peau délicate, leurs poings qui serrent fort, leurs rires en cascade. Il y a cette connaissance, presqu’un ami, qui attend son petit troisième, qui l’a peut-être même déjà accueilli, à l’heure qu’il est. «Un jour, nous avons regardé le salon, mon fils qui empilait des cubes, sa sœur qui faisait s’effondrer la tour, et les deux qui riaient aux éclats. On les a regardés, et on s’est dit qu’il manquait quelque chose, un autre enfant.»
J’ai regardé mes enfants des heures durant. Dans la voiture, dans le salon, au restaurant, sous les jeux d’eau… Et il n’a jamais manqué personne. J’ai serré mes mains sur les leurs, j’ai replié mes bras sur leurs corps chauds, j’ai saisi des peluches et des couvertures, des verres de jus et des assiettes à peine touchées. Et j’avais les mains pleines de leur existence.
Une fois, j’ai lu une femme qui demandait : «Quand sent-on que l’on n’en veut plus d’autre?» Et je pense, sans certitude, que l’on ne le sent jamais. Mais on le sait. Mon corps reste prêt, il l’est depuis longtemps. Il a voulu viscéralement ces deux enfants, impérativement. L’attente était impatiente, les tests fébriles. L’anglais rend plus facilement justice à mon ressenti : I miss those days, je manque de ces jours passés, de ces étapes. Le test positif, l’annonce, la rencontre de la première échographie, la découverte du sexe, la recherche du prénom, et l’autre rencontre, le face-à-face. Je m’imagine parfois avec un bébé dans les bras, mais c’est un passé que je revis et non un futur que j’augure.
J’ai toujours aimé les grandes familles, j’ai aimé les observer, j’ai aimé les côtoyer. J’aurais aimé être une des leurs, et j’ai longtemps pensé qu’à défaut d’en être une sœur, j’aurais pu en être la mère. Mais je ne suis pas une mère de grande famille. Nous sommes tous quelque chose, nous sommes faits pour aimer, pour élever, un ou plusieurs enfants, peut-être aucun. Notre réalité ne rencontre pas toujours nos souhaits. Mais je ne suis pas faite pour être une mère de grande famille. Dans la grande pièce de la maternité, ce rôle sera dévolu à quelqu’un d’autre et je l’observerai à distance, avec la tendresse qui nous emporte devant les jolis films et les belles histoires.
Mes filles grandissent, s’épanouissent. Il n’est déjà plus question de couches ou de portage. Les poussettes s’empoussièrent dans la remise du jardin et les biberons se sont faits rares dans le vaisselier. Je deviens une mère d’écolières, je ne les pousse plus, les porte à peine mais marche à leurs côtés. Elles rêveraient d’un petit frère, surtout la grande, pour qui sa petite sœur a grandi trop vite. Elle le demande pour Noël, elle le voudrait pour demain. Il est dans les ventres pleins des autres mamans, les mamans neuves, les mamans tierces aussi. Et son désir se fait alors plus ardent. J’ai l’éducation honnête, je la prends dans mes bras et lui confesse que je ne veux pas d’autres enfants, que je suis complète avec les deux que j’ai. Elle se fait pleine d’espoir : «Tu ne voudrais pas en faire un autre pour moi?» Alors je lui explique ce que j’ai eu longtemps de la peine à comprendre : « Il n’y a que ton papa et moi qui pouvons décider de vouloir d’autres bébés, on décide d’avoir des enfants parce que l’on se veut parent, on ne peut pas faire des enfants pour faire plaisir à quelqu’un, même si on l’aime très fort.» Et je renchéris, forte de ma leçon : «Toi seule, et la personne que tu aimeras, pourrez décider si vous voulez des enfants, personne ne devra jamais décider pour toi.»
On ne sait jamais ce que la vie nous réserve. Je sais ce que l’on dit. Qu’arriverait-il si la possibilité d’un autre futur s’invitait un jour, en déjouant les barrières? La vérité est que je ne sais pas. Ce que je sais, en revanche, c’est que nous aurons le choix. Et que c’est ce choix-là qui pourra faire d’une grossesse surprise un enfant désiré.
Mon cœur est grand ouvert, baigné de leur enfance. Mes bras serreront d’autres bébés, ils les attendent impatiemment. Ils ne seront pas miens, ils sont le futur de quelqu’un d’autre. Je quitte la danse.
-Lexie Swing-