
Fleur en burn-out./ Photo HUS0
{Attention : article dérangeant} Je détache un manteau, enlève un capuchon. Je pousse des bottes sur de tout petits pieds et embrasse sur le front un enfant, deux enfants. Sur ma hanche, le bébé gigote. Il a deux mois, trois mois, quatre mois. Je souris, j’encourage, je compatis. Je m’enquière du programme de l’après-midi. Je remercie. Je souris. Je ne suis pas là. Je suis une mère en pilote automatique. Je joue mon rôle mais l’esprit est absent. Retranché derrière des sacs de désespoir. Je le vois bien, quand j’ose le regarder en face. Il a un petit fusil, un casque trop grand qui lui tombe sur les yeux et il appelle à l’aide. Je ne peux rien pour lui. C’est la vie. La mienne, la sienne. Et qu’elle le terrorise ne changera rien.
Je suis au foyer. Avant même que ne sonne le glas des journées travaillées, j’ai sauté à reculons. La vie à la maison? Non merci! Enceinte jusqu’au menton, j’ai hanté les magasins climatisés et les petits cafés pour échapper aux murs qui cloisonnaient mon existence. Qu’y a-t-il vraiment derrière les visages souriants des mères qui referment la porte au nez du facteur ou des colporteurs en début d’après-midi ?
J’ai donné naissance. J’ai biberonné. J’ai accompagné à la garderie ma première née, le bébé serré contre mon cœur. Je les ai aimées aussi fort que je détestais ces moments. Je voulais faire de leur vie un conte alors que la mienne devenait un cauchemar. Je me voulais une mère merveilleuse et je leur tournais le dos, avachie sur mon cellulaire, dès que les nuages s’amoncelaient.
Un jour j’ai pleuré dans la voiture. Sur le siège passager. Ce n’était pas la première fois. J’ai crié : « Sûrement que je fais une dépression et tu ne le vois même pas! » Il a dit si, je vois. Je vois que ça ne va pas. Mais non, je ne pense pas. Ce n’est pas que je ne veux pas voir. C’est juste que je ne crois pas. Tu n’as sombré dans rien, tu ne voulais déjà pas. Il a ajouté : « ton équilibre, c’est famille et travail. Tu n’as que la famille en ce moment, et oui ça ne va pas. Mais tu le savais, tu le sentais. A ton 4ème jour de congé maternité, avant même que le bébé naisse, tu disais déjà que tout ça, ça n’était pas pour toi. Pour moi, tu n’es pas en dépression, tu es juste dans le mauvais quotidien. Et bientôt il va changer. »
On allait partir en vacances et j’allais passer le relais. Trois semaines plus tard, le travail reprenait, charge à lui de devenir le parent au foyer. Il avait raison, cette vie-là n’était pas pour moi. Je n’avais pas eu le choix. J’avais espéré faire de mon mieux. J’avais espéré triompher. J’avais espéré pouvoir dire « ce n’était pas pour moi mais j’y suis parvenue ». Je n’y suis pas arrivée. Et j’ai choisi de ne pas me flageller. Je n’aime pas moins mes enfants parce que cela me rend malheureuse de ne me consacrer qu’à elles. Il y a des milliers de façons d’être mère, et ce n’est pas la mienne…
J’ai repris le travail. Et ma vie avec. J’ai jonglé. Appris à laisser mes préoccupations repartir avec le train qui file vers Mont-Saint-Hilaire tandis que je descends sur le quai. J’ai retrouvé ma fille tous les soirs à la garderie, et serré dans mes bras libres de tout bébé son petit corps chaud. J’ai souri devant chaque photo de ma cadette envoyée par son papa, en en réclamant encore plus, impatiente de glisser mon nez dans le creux de son petit cou. J’ai lu des histoires, fait des roulades et scandé paté-fais-toi-bien en tapant sur des seaux retournés. Et je me suis retrouvée.
Ce n’est pas toujours évident à admettre. Ce n’est pas toujours bien accepté. Il y a la connivence que je lis dans le regard de celles qui ont vécu la même désillusion. Et l’agacement de celles qui pensent qu’aimer ses enfants revient à s’en occuper à plein temps. Il y a ceux et celles qui pensent que le combo non-allaitement-maman-travaillant n’abrite en réalité qu’une femme dont les hormones ont tourné plus vite que l’horloge de la maturité et qu’elle s’est retrouvée pognée avec des mômes juste pour « faire comme tout le monde ». Il y a des tas de présomptions et pas beaucoup d’innocence. Mais ce n’est pas grave. Je défendrai toute ma vie le droit d’être un parent qui travaille, d’être un parent qui sort, d’être un parent qui vit, d’être un parent qui a le choix surtout.
On donne la vie à nos enfants, mais il n’est marqué nulle part qu’on doit donner la nôtre avec.
Mon petit soldat d’esprit a lâché son fusil et retrouvé sa plume. Et il va mieux, merci.
-Lexie Swing-
Très bel article ! Je crois que je suis pareil… en travaillant à 80% j’ai trouvé un bon équilibre.
C’est exactement ce que j’aimerais : un trois quart temps. L’équilibre serait parfait je pense
C’est difficile de travailler à temps partiel au Québec ?
J’ai l’impression que c’est comme en France en fait
Même si petites, tes filles ont désormais leur vie et tu as la tienne. Ne jamais rien sacrifier. Pour ne jamais rien regretter… plus tard.
On regrette sûrement tjs un peu, je me dis… Il n’y a pas de monde idéal n’est ce pas? On voudrait pouvoir tout faire, se dédoubler…
Très courageux comme article! J’ai mis du temps à réaliser cela et à l’assumer.
Poignant à lire…
Merci Lucile! En termes de courage, tu en as à revendre pour beaucoup!
Je sais que je ne peux pas rester à la maison. Les deux mois d’été ça va parce que je sais que je vais y retourner. J’admire ma mère qui travaillait à la maison et qui du coup était là pour nous. Quand je le dis on me regarde souvent de travers mais c’est comme ça
Quand tu as un temps donné c’est un peu différent et pourtant… Je savais que j’avais une date de fin… Peut être que le fait que ce soit l’automne et l’hiver plutôt que le plein été a joué
Je me retrouve dans ton texte pour mon grand. J’avais tellement besoin de reprendre le travail !
Je croyais aussi que ce n’était pas pour moi de rester à la maison. Pourtant, avec l’arrivée de numéro 2 j’ai savouré chaque journée de mon congé maternité. Et si j’avais pu, j’aurais bien prolongé…
Je n’y aurais jamais cru avant.
Peut-être que pour ta troiz tu seras contente d’être en congé maternité :-P
Je reconnais bien là ton humour!! ;)
À chaque fois que je lis qu’une autre maman que je connais soit par ses écrits sur la toile, soit dans la vraie vie, a eu des moments de déprime, ça me fait quelque chose. Je me sens très conne aussi, parce que j’ai longtemps cru être la seule qui ne vivait pas mon nouveau status de mère comme « j’aurais dû », genre lunettes roses, enthousiasme à toute épreuve et 100 % d’énergie. Ben apparemment, dans la vraie vie, on se pose toutes des questions, on doute, on est mal des fois, trop de choses à assumer, psychologiquement et matériellement. Bon.
J’ai compris très rapidement que laisser tomber une activité pro pour être 100 % maman/gardienne/partenaire de jeu/femme au foyer n’était pas du tout pour moi. Je ne me serais pas épanouie. J’adore Mark et j’ai vraiment du plaisir à découvrir le parcours éducatif d’un tout-petit, mais j’ai un besoin vital de passer le relais et d’avoir ma vie à moi. Curieusement, je n’ai jamais trop culpabiliser là-dessus… mais en fait, peut-être que si, parce que j’ai longtemps cru pouvoir tout faire, le piège de celles qui travaillent de la maison, en indépendante!
Je suis très admirative du fait que tu aies pu travailler à la maison tout en le gardant, cela relève du vrai défi pour moi!
Je n’ai pas encore de petit, mais je SAIS (enfin on verra) que je reprendrai le travail. Je ne pense absolument pas être faite pour être mere au foyer… Apres chacun son choix :) Mais je comprends ta reaction entièrement. Et alors que je ne suis meme pas mere, les gens autour de moi me font me sentir coupable parfois pour avoir dit ca… Alors je n’imagine meme pas pour toi.
Et c ‘est vrai qu’un congé parental en été doit être plus agréable, surtout avec les hivers que nous avons ici!
Quel travail tu fais d’ailleurs? Je ne me souviens plus?
Rien de bien foufou, je suis office coordinator (Admin, HR, marketing, IT) pour une petite boite. Pas bcp de choix ici :(
C’est bien que ton homme ait pu y mettre son regard. De toute évidence, il a su comprendre et trouver les mots nécessaires pour accepter la réalité de ton équilibre. Je crois que l’admettre est déjà un grand pas, en plus s’il est appuyé par sa moitié, la déferlante est assurément moins grande.
Le concept du noyau familial comme celui du rôle de maman n’appartient qu’à soi-même et même s’il faut un sacré caractère pour l’assumer, y arriver revient à s’écouter et c’est l’essentiel.
Rien n’est parfait. Les mères qui retournent au travail se font juger. Les mères qui restent à la maison se font juger. Comme si deux clans se chatouillaient sournoisement, mais dans quel objectif ? Par culpabilité ? Pour se convaincre soi-même de son choix ? Je ne sais pas.
Il n’y a pas qu’un seul modèle de maman. Et, c’est tant mieux ! Bravo !
Ta réflexion est très juste, les deux clans s’opposent, comme s’il n’y avait que deux réalités possibles
Bravo pour ce billet qui nous aide nous aussi à y voir plus clair et à sortir de la culpabilité que l’on s’impose Lexie. J’ai très vite repris le travail après la naissance de l’escargot (pas le choix) mais j’avoue que ça m’a sauvée. Je ne me voyais pas mère au foyer (d’ailleurs ces mères je les admire) comme j’admire celles qui reprennent la route du travail le sourire aux lèvres (pourtant combien sont-ils / elles à les regarder de travers – à les juger? )
Avoir des enfants comme tu le dis ce n’est pas mettre sa vie entre parenthèse, c’est composer avec le nouveau, l’ancien, tout se qui se crée et tout ce que chacun est aussi.
Grosses bises et heureuse que tu te sentes à nouveau bien dans ta vie, c’est si important.
Merci Marie :)
Que j’étais heureuse les jours où mes congés maternité se sont terminés ! Personne ne peut savoir, imaginer à quel point ça m’a fait du bien de retrouver le chemin du travail !!! Je me souviens qu’une fois une amie de ma mère avait critiqué qu’on n’accorde pas un congé mat’ plus long à celles qui allaitent (comme je le faisais) et ma mère d’essayer de lui expliquer que je n’en aurais pas voulu, que j’étais trop mal à la maison …
Le plus important pour les enfants, c’est d’avoir des parents heureux. Pas des parents qui s’imposent une attitude parce que c’est celle-là qu’on leur dicte. Tu n’allaites pas ? Tu travailles ? Et alors ? Il vaut mieux ça que de se forcer et sombrer !!!
Profite bien des retrouvailles le soir et les week-ends.
Oh si si je peux imaginer :) Sais-tu pourquoi tu as mal vécu le fait d’être à la maison dans ton cas?
Oui, je sais : je ne suis tout simplement pas faite pour rester longtemps à la maison … Je me sens inutile, les tâches répétitives, comme entretenir la maison, changer les couches, ou même simplement aller faire un tour de poussette tous les jours, je ne supporte pas. Au bout d’un moment ça me gonfle … Alors 3 mois, c’est l’apothéose !
Par contre, depuis que j’ai eu le 2°, je suis à 80 % et je n’ai qu’un « regret » : ne pas avoir opté pour le temps partiel plus tôt … J’aime beaucoup mon mercredi avec eux !
Merci et bravo pour ce bel article qui, j’en suis sûre, pourra en rassurer plus d’une.
Et oui, tu as raison, l’important c’est d’avoir le choix. Or, c’est rarement le cas, dans nos sociétés un peu trop rigides.
Comme toi, retrouver le chemin du travail a été une délivrance. Même si a posteriori, pouvoir recommencer à travailler tout en adaptant ma charge de travail aurait été encore mieux, je suis contente de faire partie des mamans actives, qui sortent, qui aiment leurs enfants plus que tout, mais qui n’ont pas perdu leur vie d’avant en offrant une vie à leurs enfants.
Bref, bravo !
Merci :) Tu aurais aimé être à temps partiel par exemple?
Par exemple, mais je sais pertinemment que ça m’aurait pénalisé dans ma carrière future. Alors j’aurais aimé pouvoir reprendre à temps partiel ET que ce soit considéré comme naturel, et non pas lié à mon statut de jeune mère (et donc de femme, en fait !). Il y a encore bien trop de différences entre les jeunes mères et les jeunes pères dans le monde du travail, au moins en France. Est-ce que c’est également le cas au Canada ?