«It doesn’t take much to be a decent human», littéralement : ça ne prend pas grand chose pour être un humain décent. Voici ce qui légendait une vidéo visionnée il y a quelques jours. Dans celle-ci, un motard avise une vieille dame s’apprêtant à traverser au passage piéton. Après s’être arrêté, le motard met pied à terre, cale la moto sur sa béquille avant de tendre un coude bienvenu à ladite vieille dame et lui permettre ainsi de traverser avec aide, et en toute sécurité.
D’aucuns auraient parlé de héros ordinaire. «Tous les héros ne portent pas de cape», lancent volontiers les publicitaires à l’approche de la fête des mères – après nous avoir servi de la soupe sexiste durant les 364 jours précédents. Et s’il n’y avait pas d’héroïsme, dans les menus gestes du quotidien? Si c’était… de la simple décence, que de tenir une porte, adresser un merci ou porter secours?
Lors d’un cours, récemment, on m’a posé la question : «qu’est-ce qui t’énerve le plus chez les autres?» Vous savez, c’est cette question typique, à laquelle on répond généralement suivant notre humeur du moment, nos valeurs ou bien ce qu’on croit acceptable, et à la mode. On y évoque la bêtise, l’intolérance, l’orgueil. J’y ai souvent tu mon ressenti, moi qui détestais les gens «grande gueule» qui prennent la foule à parti et le monde en tenailles, dans un besoin de revanche qui s’indigne de tout, de la frite mal cuite au prix de l’essence, laissant de côté la faim dans le monde et le déclin des écosystèmes car on peut rire de tout mais s’indigner seulement de certaines choses.
Ceci dit, nous évoluons tous, en grandissant (même si rendu là, seul l’âge grandit) et l’agacement se disperse. Bloquant désormais les intempestifs râleurs par ce geste de parfaite désinvolture qu’est le fait de mettre ses écouteurs et de lancer Spotify fort fort fort, j’ai rabattu ma réponse vers mon nouvel ennemi : le pas-aidant. Au Québec, c’est un moyen facile de qualifier une situation négative : «pas fin» (bête), «pas vite» (bête) (mais pas bête dans le même sens, saisissez la nuance). Pas aidant donc, comme dans «je m’en câl…. que tu marches juste derrière moi, je ne tiendrais pas la porte pour tout l’or du monde même si tu me le demandais à genoux». Ou comme dans : «on vit dans la même rue depuis cinq ans et on débarque au même arrêt et à la même heure tous les jours de labeur que compte cette vie mais jamais ô grand jamais je ne t’adresserais plus qu’un simple regard distrait, nullement effrayé par tes bonjour joyeux ou tes remarques répétitives sur la météo qui nous étonne».
Le pas aidant est ma bête noire. Il a remplacé à ce titre le bien-pensant. Celui-là même qui sait mieux que toi comment élever ta fille et nourrir ton chat. Qui avertit plutôt qu’il ne conseille, et juge en posant le regard. Le bien-pensant n’a de prise que si on lui fait l’aumône de tendre l’oreille. Le bien-pensant a donc disparu de mon existence, remplacé par le pas-aidant.
Notez que l’on peut être bien-pensant et pas aidant tout à la fois, l’irrespect allant curieusement de pair avec une connaissance totalitaire quoique surfaite de la société et de ses besoins. Le pas-aidant m’insupporte, car outre les portes qu’il me jette dans les jambes, les regards qu’il fuit et les merci qu’il retient, il m’envahit l’esprit. Souvent, je m’interroge, je tambourine, répétant inlassablement : «Je ne comprends pas ces gens-là». Comment peut-on lâcher une porte sans jamais regarder derrière soi? Comment peut-on oublier de dire s’il vous plaît, ou merci, quand on est un adulte fonctionnel? Comment peut-on croiser quelqu’un, recevoir son bonjour, le dévisager sans mot dire, pour finalement tourner les talons sans avoir desserré les dents. Passionnée de psychologie, j’élabore des théories et excuse les incompris.
Mais je suis lasse d’excuser. Qu’on les maîtrise par l’éducation, qu’on les applique par respect de règle ou qu’on s’y adonne par empathie naturelle, on devrait tous être régi par les mêmes règles minimales d’entraide. On devrait se sortir le nez de nos téléphones, blottis dans nos nombrils, et reconnaître enfin le monde qui nous autour.
On devrait, si vous le voulez bien, se prêter à un exercice facile : se demander, à chaque personne croisée, ce qu’on pourrait apporter de positif à cet instant de sa journée. Que ce soit un simple sourire, un rire partagé, une porte retenue, un bonjour échangé, des paquets que l’on aide à porter, un compliment que l’on a adressé, une place dans le bus que l’on a laissée, une main sur l’épaule que l’on a déposée ou une conversation de politesse à laquelle on s’est pliée.
Cela fait du bien, de se tourner vers le monde, de sortir de soi. Parce qu’il vaut mieux être une personne décente au quotidien, qu’un héros, juste une fois.
-Lexie Swing-
Photo : Cherie Lee
Whaou
Il y a un truc qui m’horripile ici, c’est l’individualisme très ancré dans la société et cette idée que « l’autre » dérange. Moi j’aime bien l’idée de vivre tous ensemble, de « supporter » les travers, les habitudes, les p’tits plaisirs et défauts des autres, les travers et les coutumes. Je trouve ça sympa si la personne à côté de moi dans le bus porte du parfum, si l’aîné décide de faire la conversation dans la file du supermarché, si les voisins cuisinent un dîner qui sent bon, etc. C’est au choix, la vie en société peut amuser ou insupporter… et je trouve que trop de nord-américains ont perdu l’habitude de se confronter « aux autres » parce qu’il y a de la place ici et qu’on peut s’isoler chez soi, rester dans sa voiture et ne plus croiser personne… et devenir intolérant :-/
Je trouve que c’est assez répandu dans les sociétés occidentales en général. As tu trouve que c’était différent en Amérique du Sud ?
L’autre? Mais quel autre?
Le monde ne tourne t’il pas seulement autour de moi?
Je suis comme toi à me dire « je ne comprends pas ces gens là ». Je ne comprends pas l’indifférence, je ne comprends pas les bonjour qui se prennent des murs en pleine face, je ne comprends pas les portes qui claquent sur ceux qui sont à deux pas derrière, juste deux pas, je ne comprends pas la désinvolture de certains, je ne comprends pas les gens qui en voyant une maman avec une poussette dans le métro ne lui proposent pas un coup de main, je ne comprends pas…
Mais dès qu’une personne me renvoie un sourire, dès que quelqu’un donne chaleureusement sa place ou ouvre la porte spontanément alors qu’il ne descend pas à l’arrêt, alors je me souviens qu’il y a encore de belles personnes, que le monde n’est pas totalement perdu!!
Oui et il y en a plein aussi et c’est probablement la majorité. Mais reste cette interrogation face à l’irrespect
Mais oui ! Totalement d’accord avec ton analyse ! Plions nous à cet exercice ! Soyons là, présents, dans les petits moments du quotidien, dans le banal, dans le courant. Merci pour ce magnifique billet. !
Merci Charlotte 😘
Il y a beaucoup d’individualisme dans notre société, pour ne pas dire d’égoïsme, mais malgré cela, les gens se dérident assez vite je trouve. Quand on sourit, ils répondent par un sourire. Quand on engage la conversation, ils répondent (dans la plupart des cas). L’irrespect dont tu parles est je pense plus la marque de personnes qui sont dans leur bulle, que de réels égoïstes. Mais il restera toujours des irréductibles malpolis, bien entendu, visiblement tu en as rencontré pas mal ;-)
Ce n’est pas la majorité que je rencontre mais je suis en fait surprise de cette minorité que je ne comprends pas vraiment.
J’adore ! C’est juste parfait ! Et puis, en prime, être décent te le rend 1000 fois en plus de rendre heureux.
Absolument !