
Il est 18h, je descends l’une des rues de Saint-Bruno avec Poppy. J’écoute Delicate, de Taylor Swift, cette jeune qui a quasiment mon âge, parce que oui – flash info – Taylor Swift aussi a vieilli. J’esquisse quelques pas de danse au milieu de la rue, et on m’observe mais je m’en fiche, comme souvent depuis quelques années. Je lis sur Instagram le questionnement d’une connaissance qui s’interroge sur ce que l’âge nous enlève : le droit aux mini-jupes, aux envolées sur des balançoires, à l’insouciance.
Et pourtant, s’il y a un pas considérable que l’âge adulte nous fait faire, c’est celui de l’indifférence. Tout à coup les moqueries deviennent poids-plume et les pas de danse sont ceci de gagné sur la prison dorée des routines que nous nous sommes forgées. Les regards et les chuchotements ne sont rien, ne devraient être que de la poussière dans le moulin de nos vies, au regard de cette impitoyable vérité : il y a tellement pire. Je vivrais à grands mouvements et rirais à gorge déployée parce que je sais qu’aux confins de cette existence, sur la ligne d’horizon, l’absence et la maladie règnent en maîtresses absolues d’un monde qu’elles tentent chaque jour de mettre à genoux.
Je suis cette femme plus âgée dont je me moquais volontiers lorsque la fraîcheur de l’âge faisait rebondir mes joues et mes seins. Je suis cette femme qui s’en fiche de porter des jupes courtes et du rouge à lèvres rouge pomme sous un masque qu’elle tachera d’orgueil. J’avais 15 ans et je me croyais invincible à cause de ma jeunesse. Je croyais que j’avais toute la vie devant moi, sans jamais me douter que tout peut s’arrêter à tout instant, à chaque instant. Mais la véritable invincibilité, c’est cette conscience profonde qu’un fil ténu nous relie à l’existence. C’est cette croyance qui nous permet de faire fi des regards et du qu’en dira-t-on, parce que demain, les pourvoyeurs de bienséante parole, les libertaires, les moqueurs, les victimes, les extravertis et les taiseux, tous seront partis.
J’ai toujours aimé ce parallèle du temps dans les films, celui qui met en scène la même personne, dans un même mouvement, à différentes époques de sa vie. Je descends une rue, à 15, à 25, à bientôt 35 ans. Je suis ado, je suis adulte et presque mère, je suis libre. J’ai de la musique dans mes oreilles et un chien sur mes talons. Ce n’est pas la même musique et ce n’est pas le même chien. Ce n’est pas la même flamme non plus. Elle est ardente mais terrifiée, elle est pleine d’espoir, et puis elle brûle paisiblement, finalement.
Avec l’hypersensibilité, je dois parfois me faire violence. En absorbant les émotions des autres, on prend le beau comme le laid, les remarques positives comme le puits sans fond de bêtises qui semble parfois servir de carcan à l’humanité toute entière. Mais l’âge m’a appris à aller au delà de l’émotion brute, au delà de l’image seule. À apprécier le chemin que l’on devine et l’effort que l’on supporte. J’ai tenté, chaque jour, de prendre à revers les semblants, les faux comme les vrais. À encourager ceux qui essaient, à comprendre ceux qui n’y arrivent plus, à soupçonner la détresse derrière les mots acerbes, à soupeser l’éducation dans les prises de position, à chercher la bonté en tout et en tous. Il n’y a rien qui excuse, mais tout qui explique.
Récemment, alors que je louais l’extraordinaire facilité avec laquelle une de mes amies nouait des amitiés quand nous étions enfant, elle m’a répondu qu’il n’y avait jamais eu un seul jour facile, pas un seul pas vers l’autre qui ne lui ait coûté. Elle avait donné le change toute sa vie, soupesant chaque geste et chaque mot, quand de l’extérieur tout paraissait facile et évident. Il y a ce que l’on croit voir, et ce qu’ils ressentent. Le miroir n’est pas sans teint.
Parce que c’est aussi ça, grandir. C’est deviner, comprendre et accepter. Accepter qu’on ne saura jamais tout, qu’on ne comprendra presque rien, qu’on ne devinera qu’une infirme partie de chacun. Qu’on ne saura rien des blessures et des bonheurs, que le passé restera enfoui pour toujours.
Un homme que je détestais m’a dit, à 20 ans, que j’étais belle, mais que je serai magnifique, à 30 ans. Et comme souvent, parce que la haine est un terreau fertile pour la mémoire, j’ai retenu ses mots. Objectivement, je pense qu’il avait tort. Mais je devine aussi, sous cette réflexion, une évidence : la trentaine m’a affranchie de l’image que je voulais renvoyer. Et la beauté se situe probablement quelque part à l’horizon de cette vérité-là.
J’espère que vous la connaissez aussi, cette liberté. Que l’âge adulte a apaisé vos maux, qu’il a redonné du sens à l’essentiel, en faisant fi des contraintes sociétales. J’espère que vous savez que seul votre regard compte vraiment. Que seuls comptent le vent sur vos jambes nues, le soleil sur votre visage et les petits bonheurs qui ponctuent vos journées. Les tempêtes vous portent encore les réminiscences des rires de moqueries? Fermez les yeux. Nous étions poussière, redeviendrons poussière. Entre les deux, il n’y a que votre corps qui danse. Le reste est illusion.
-Lexie Swing-
Waouh! Ce texte est tout simplement splendide Lexie. Il me parle, mais comme il me parle et fait du bien aussI.
« Il n’y a rien qui excuse, mais tout qui explique. » Oui c’est ce que l’âge qu’on dit adulte m’apprend chaque jour et dans le coeur et dans les gestes, je reste cette enfant libre et créative, je renoue avec cette partie mise de côté parce que le regard de l’autre est parfois impitoyable et que pour y faire face, on se cache un peu.
Quand à ce qui semble facile pour les autres, je me méfie toujours, on a tendance à voir ce que l’on veut bien voir, ce qui nous semble pratique chez l’autre mais le connaissons nous vraiment, dans toutes ses aspérités. Je ne le crois pas forcément.
Beau weekend de Pâques!
Merci ❤️ Je suis complètement d’accord avec toi, il y a tant de détails qu’on ne voit pas chez l’autre, tant de pensées qui nous sont étrangères…
Très beau texte 👍👋
Merci beaucoup ❤️
Joli texte, mais la fin « Entre les deux, il n’y a que votre corps qui danse. Le reste est illusion. », on ne doit pas oublier l’esprit aussi qui va avec l’âge en parallèle sans trop le fatiguer pour qu’il reste jeune … La nudité de l’esprit est plus belle que celle du corps
Oh que oui!
Je me sens tellement mieux dans ma tête et dans mon corps que plus jeune… et effectivement, il y a des nuances, des attitudes et une certaine empathie qu’on développe avec le temps. Vieillir ne me fait pas peur, en fait ça… m’intéresse. C’est un beau voyage, finalement.
J’aime ta dernière phrase :)
Quel talent Lexie. J’ai l’impression que ce sont tes mots qui dansent sur mon clavier. J’en oublie presque le fond de ton propos tant la forme est belle.
J’ai aussi cette sensation de m’être libérée du regard des autres, mais je l’ai fait toute ma vie: en choisissant un conjoint aux antipodes de mes repères et de ceux de mon entourage, en changeant de métier, en assumant de plus en plus mon hypersensibilité, en me libérant des réseaux sociaux.
Merci pour ce texte ❤️
Et comment étais tu adolescente ?
J’étais tout sauf influençable. Je savais répondre aux moqueries. Mais j’étais très attentive à mon image. Et toi?
J’aurais aimé être comme toi. J’étais… inexistante :)
Quel magnifique texte, ton talent me laisse sans voix. C’est une envolée lyrique sur un fond si criant de vérité, bravo à toi !
Merci beaucoup, ça me touche !