
Je fête mes 35 ans. « Déjà » ou « seulement », selon le point de vue duquel on se place. Heureusement, la vie fait que l’on n’avance guère seul, on vieillit en même temps que nos frères et soeurs, que nos cousins, que nos amis, chez qui on note quelques rides et des cheveux blancs en faisant fi des siens.
Comme depuis l’école primaire, j’ai une année d’avance, mes amis ont tout fait avant moi, y compris vieillir. Hier, j’étais celle qui attendait son tour, aujourd’hui je suis celle qui ferme la marche en les narguant.
Il y a quelques jours, l’une de mes amies d’enfance – une fille d’avril, comme moi – a partagé un long post sur Facebook dans lequel elle faisait le point sur les 20 années écoulées depuis ses 18 ans. Elle mentionnait ses changements de parcours, ses hésitations, et puis la place qu’elle occupe aujourd’hui. J’ai aimé la lire car, même si je pense depuis longtemps que rien n’est figé et qu’il est normal d’avoir plusieurs carrières dans une vie, il y a un côté rassurant à lire le bilan de quelqu’un qui a essayé différents chemins, qui l’ont peu à peu menée à celui qu’elle emprunte depuis quelques années. Plus encore, il en ressort cette impression implacable que chacune de nos circonvolutions amène des pierres supplémentaires, des compétences importantes pour la suite.
À l’image des noms que l’on donne aux différentes années de mariage, je trouve qu’il y a des termes qui pourraient symboliser les décennies, et ils ne seraient pas forcément les mêmes pour tous. Si je devais nommer la trentaine, je dirais que ce sont « les années de nuances ». Ce sont celles où nombre d’entre nous prennent conscience que les opinions se confrontent et que les vérités n’existent que dans la bouche de celui ou celle qui les prononce. Qu’il y a autant de possibilités que d’individus, que d’existences. Que ce qui est vrai et bon pour le voisin ne le sera peut-être guère pour nous. Et que c’est bien, ainsi.
Pour reprendre l’exercice de mon amie, je commencerais ainsi : il y a 18 ans, nous amorcions les révisions pour le bac et je ne me souviens pas avoir relu quoi que ce soit. Je me dirigeais bon an mal an vers des études de droit, alors que nombre de mes amis se destinaient à la prépa. Je ne crois pas que l’idée d’y aller moi-même ne m’ait jamais traversé l’esprit. Si c’est le cas, elle aura été vite balayée par la constatation inévitable que je n’avais pas les notes suffisantes pour simplement prétendre à y faire mon entrée, mes excellents résultats ayant été disséminés au vent à la fin du collège, alors que je déménageais tout en entrant de plein fouet dans l’adolescence. J’avais alors cessé de m’intéresser à l’apprentissage scolaire, affichant un visage mort d’ennui dans la plupart des cours. Seul mon professeur d’anglais « spé » parvenait à m’intéresser et donc à me faire travailler, le reste me passant largement au dessus de la tête. C’est donc avec des notes relativement passables – « assez bien » si j’en crois la mention que j’ai eue au bac – que j’ai terminé le lycée, pour entrer dans la vie étudiante.
Je n’avais pas un goût particulier pour le droit, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais à l’époque, et peut-être encore maintenant, il était nécessaire d’avoir une licence pour prétendre passer les concours de journalisme. Je voulais devenir journaliste parce que j’aimais écrire. Je ne sais pas si vous voyez le lien mais il n’y en a pas. Si votre enfant vous dit qu’il veut devenir journaliste parce qu’il aime écrire, dites-lui qu’il se trompe de métier. On devient journaliste parce qu’on est curieux, qu’on est tourné vers les autres, intéressé et informé. Quand on veut faire de l’écriture son métier, on devient écrivain. Je sais que certains parmi vous sont journalistes, possèdent de très belles plumes et ont vibré plus d’une fois en déroulant un portait multi-sources. Vous avez usé de l’adverbe et abusé de l’adjectif. Moi aussi. Mais le recul doit nous forcer à être honnête : le quotidien du journaliste n’est pas l’écriture. Déjà, en premier lieu, il faut être à l’aise au téléphone. Si vous m’aviez vu refuser de décrocher mon téléphone pour prendre un rendez-vous chez le coiffeur, vous auriez su avant moi qu’il y avait là un paradoxe. En deuxième lieu, il faut savoir pousser l’autre dans ses retranchements, aller chercher la vérité derrière la phrase trop bien construite. La fille qui soupirait devant sa tarte aux fraises parce qu’elle avait dit à la pâtissière qu’elle voulait un cake au chocolat mais qu’une fois l’erreur commise, elle n’avait pas osé la détromper, n’était pas de ceux qui disent : « je pense que vous ne me dites pas tout » à un quelconque élu local à la petite célébrité obtuse. Elle était de ceux qui reviennent avec un ramassis d’inepties, gribouillées sur un coin de cahier, qu’elle aurait aussi bien pu repêcher du communiqué envoyé un peu plus tôt pour l’appâter. Il faut, surtout, avoir le goût de l’information, être au fait de l’actualité, s’enthousiasmer des nouveautés. J’ai toujours été admirative des gens auprès de qui j’ai évolués et qui nourrissaient cette passion de l’information. Ils arrivaient à grandes enjambées le matin, après avoir appris l’ouverture imminente d’un complexe quelconque. Ils s’empoignaient volontiers pour savoir laquelle de leurs nouvelles devait surpasser les autres. Ils étaient parfois réveillés la nuit par un incident quelconque et à l’informateur, quelle que soit l’heure, ils répondaient : « Non, c’est pas vrai? Dis m’en plus? ». Si jamais j’avais eu l’âge d’avoir créé des contacts, ceux-ci auraient su que je ne répondais pas au téléphone la nuit, et que rien ne ressemblait pour moi plus à un complexe sportif, qu’un autre complexe sportif. Je m’étais trompée de métier, et j’ai mis quelques années à l’accepter.
Après 8 ans d’études et quelques années de pratique comme journaliste, je me suis exilée au Canada avec mon conjoint et notre bébé de six mois. Nous étions tous les deux à la croisée de nos vies professionnelles et l’expatriation a servi de détonateur. Mais aucun chemin n’est jamais sans issue : grâce à mon expérience, j’ai décroché en quelques jours un poste de rédactrice pour un média en ligne. J’y suis restée plusieurs années et y ai joué différents rôles, autant en rédaction qu’en supervision. Mais il est un moment où la vie nous rappelle à l’ordre, quand on a fait semblant trop longtemps qu’un domaine, un métier, était fait pour nous.
Après avoir accouché de ma deuxième fille, les barrières sont tombées d’un coup. Lorsque vous faites une dépression post-partum, il devient impossible de prétendre. J’ai pleuré sur des parkings, la vue brouillée par les larmes et la grisaille, avec pour seul phare des néons de magasins vacillants. Et s’il y avait le corps qui rendait les armes, il n’y avait pas que ça. Il y avait l’évidence, comme une nappe d’écume sur une bière opaque. Elle était à portée de gorge alors je l’ai bue d’un coup. Quand on se rend compte que le chemin qu’on prend est une voie pleine de ronces, le premier réflexe n’est guère de sortir son calepin et de dresser la liste de ses compétences transférables. La première étape, c’est le renoncement, c’est l’acceptation. On pose les fesses au bord de la route et on accuse le coup en se disant que l’on resterait bien là pour l’éternité, dans cet entre-deux léthargique.
La suite, vous la connaissez. Les mois ont passé, j’ai finalement repris mes esprits et j’ai commencé à faire des listes. De ce que je savais, de ce que je valais, de ce que je voulais. Un matin de décembre, j’ai publié sur notre site internet une offre d’emploi, à laquelle j’ai postulé le soir venu. J’ai été contactée, rencontrée, engagée. Et j’ai basculé dans le monde du recrutement.
L’histoire ne s’arrête pas là. Alors que j’occupe mon poste depuis 4 ans et gravi des échelons, je m’interroge encore régulièrement : est-ce pour moi, suis-je à la bonne place? De multiples signaux me laissent penser que le cap est bon et la mer tranquille. Mais j’envie ceux qui ont des convictions, ceux qui se disent qu’ils sont au bon endroit, au bon moment, et pour longtemps. Ceux qui ignorent le doute. Je crois qu’ils sont de plus en plus rares, cependant. Le monde d’aujourd’hui est ouvert aux multiples carrières, il rend libres les indécis. Je navigue sans trop savoir où le courant pourrait me mener. Je bâtis quelques certitudes, aussi. Ce goût pour les autres, ce désir ardent d’être en équipe. Et je noircis des pages pour combler mon besoin d’écriture. Mes héros se prénomment Théo, Sarah, Fabio… un jour je vous en parlerai.
Je ne sais pas à quoi ressemble la suite du chemin. Ce que je sais, en revanche, c’est que chaque virage restera une continuité. Nous ne repartons jamais de zéro, nous multiplions les kilomètres en même temps que les connaissances. L’âge qui avance est aussi le reflet de ce que nous avons appris, et construit.
Alors, aux 35 années passées, et aux nombreuses futures. Puissent-elles renfermer de belles surprises.
-Lexie Swing-
Photo : Matthew Henry
Bon anniversaire Lexie
Merci Matt :)
Happy Birthday! J’aime comme toi les p’tits bilans aux anniversaires. Tant que je peux ajouter des éléments à la liste, avancer en âge ne me déprime pas puisque c’est marquer du temps bien* utilisé…
* utilisé à tester-apprendre – découvrir – vivre… bref pas du temps perdu.
Profite bien des 35 prochaines!!
Merci beaucoup ! Je fais peu de bilans en réalité mais tu as raison, ça permet aussi de prendre conscience du chemin parcouru!
Joyeux anniversaire Lexie ! Le chemin compte plus que la destination.
Je suis bien d’accord :) merci beaucoup !
Bon anniv’!
C’est marrant, je te vois toujours plus âgée, dans le sens de « sage », « an old soul ». T’en as fait des choses en 35 ans!
Avec un jour de retard, joyeux anniversaire Lexie !
Merci beaucoup !
Happy 35 + 5 jours :) toujours agréable à lire. Je vais retenir « les années nuances » pour la trentaine, c’est effectivement bien ça je trouve…
Merci beaucoup :)
C’est important de faire le bilan sur sa vie. J’ai 38 ans et depuis la crise du covid je fais beaucoup d’introspection. Se remémorer les pans de sa vie permet d’évoluer, de prendre conscience si on est resté dans ses priorités ou si on s’en est éloigné…
Joyeux anniversaire Lexie :-) merci pour ce récit de ton parcours, que j’ignorais. Je sens une évolution chez toi en ce moment, je l’espère fructueuse et épanouissante !