
Il y a peu, j’évoquais sur Instagram la nécessaire bienveillance dont nous devions faire preuve face aux craintes de nos enfants, bienveillance qui dans ce cas s’était soldée par des menaces (après moult autres étapes) car 1) le monde ne peut pas s’arrêter de tourner parce que l’enfant répète à l’envi qu’il « n’est pas capable » et 2) passer la commande à sa place parce qu’il a « peur de parler à la dame » ne lui rendra probablement pas service, sur le long terme.
En partageant cette anecdote et en rencontrant une approbation quasi unanime parmi mon lectorat (mon compte est privé et mon lectorat réduit à des gens capables d’échanges sereins et d’arguments mesurés, ceci est la clé d’un usage épanoui d’Instagram), j’ai aussi reçu un nombre important de messages de contacts reconnaissant qu’eux-mêmes connaissaient toujours cette gêne à l’âge adulte. Une idée qui m’a d’autant plus fait réfléchir que j’ai passé de nombreuses années à me défaire de cette timidité qui était devenue une prison. Je mangeais le plat que je n’avais pas commandé, j’acceptais les conditions d’emploi que je n’avais pas négociées, je jonglais avec des rendez-vous que je n’avais pas su déplacer, j’accommodais des demandes que je n’avais pas pu refuser. Chaque intervention devant un groupe, même d’amis, était précédée de tergiversations. Je retournais la phrase dans ma tête, cherchant le bon ton, la bonne formule. Parler en public revenait à pratiquer une langue étrangère : je craignais sans cesse que les mots m’échappent, que le sens diffère, qu’une question fuse à laquelle je n’aurais pas su répondre. Depuis l’enfance, je laissais passer ma chance. Comme nombre de fillettes de ce monde – je l’ai appris plus tard – j’ai attendu d’être certaine de détenir la bonne réponse pour lever la main. Mais les certitudes étaient aussi passagères que les rayons du soleil à l’automne dans le Pas-de-Calais.
Curieusement, les gens comme moi passent pour des personnes dotées d’une grande capacité d’écoute. Puisque nous ne parlons pas, c’est que nous sommes attentifs. En réalité, j’ai travaillé fort pour développer la concentration nécessaire à une écoute active. Longtemps, j’ai rappelé mes interviewés le lendemain de l’entrevue pour leur demander leur nom, que j’avais échappé après la phrase de salutations. J’avais dit bonjour, l’avais-je dit suffisamment fort? Étais-je avenante? A partir de combien de secondes était-il normal de lui proposer de s’asseoir? A quel moment couper sa phrase pour recentrer la discussion? Perdue dans mes calculs, dépoussiérant sans cesse mes connaissances de l’art sociétal, je manquais les présentations, échappais le titre à rallonge et restais finalement suspendue à l’anecdote dont je savais déjà qu’elle serait une exergue.
Lors de mon échange sur Instagram, j’ai compris que nombre d’entre nous acceptons encore d’être enfermés dans la cage de notre gêne. Nous sommes adultes, responsables, nous avons des emplois, des enfants, des biens dont nous remboursons chaque mois les crédits, mais nous restons tenus en joue par la peur d’être pris en défaut, par la crainte de donner la mauvaise réponse. A un moment, au détour du chemin, je me suis mise à défier cette gêne. J’ai commencé à m’entêter, à lever la main sans connaître la réponse, à me faire confiance. J’ai entraîné mes enfants avec moi, et peut-être bien qu’elles ont été le déclencheur d’un mouvement bien plus grand qu’elles, avide que j’étais de vouloir montrer l’exemple. J’ai décroché le téléphone, demandé des remboursements, admis que j’avais tort, refusé d’abandonner. J’ai choisi le bon gâteau, dit ce que j’avais sur le coeur, défendu ce en quoi je croyais.
Lorsque l’une de mes filles a commencé à montrer des hésitations similaires aux miennes, j’ai refusé de l’envelopper de coton. Pire : j’ai développé mille stratagèmes pour la confronter, tout le temps. J’ai acheté une carte pour qu’elle puisse payer elle-même sa crème glacée, je lui ai fait des listes à présenter au boulanger, je l’ai inscrite à la natation, au tennis, j’ai payé des cours de ski, je l’ai entraînée sur la glace alors que je savais à peine faire du patin moi-même. J’ai refusé de commander ses plats au restaurant, refusé d’appeler ses amis pour elle, refusé de parler à sa place.
Je veux qu’elle trouve sa propre voix, même si ça lui coûte, même si elle est terrifiée. Je veux qu’elle comprenne que c’est ok d’avoir peur, d’en trembler, de se dire que c’est la merde, de se demander ce qu’elle fout ici; mais qu’ensuite, il faut aller de l’avant, il faut enjamber la béance, et ne permettre à aucune peur irrationnelle de nous retenir. Un jour qu’elle se terrait en cherchant à se mettre à l’abri de quelconques regards, son père la saisit par les épaules et rugit : « Prends ta place B., tu existes ».
Alors à toutes celles et à tous ceux qui, il y a quelques jours, m’ont écrit pour me dire qu’ils se sentaient encore trop gênés parfois pour faire certaines choses, je vous le dis : prenez votre place, vous existez, personne ne le fera pour vous, vous avez le devoir de parler pour vous-même.
-Lexie Swing-
Photo : Ryan Bruce
Très intéressant Lexie.
J’ai longtemps été comme ça aussi, réservée, n’osant pas, me limitant.
Petit à petit c’est devenu plus facile de sortir du cocon, et je pense que mon fils y est pour beaucoup. Ses peurs ont fait écho aux miennes et je me suis dit que je ne pouvais pas lui passer ça aussi, cette peur de mal faire, mal dire.
J’ai pris de l’assurance en même temps que lui au final.
Merci pour ton partage et tes mots.
Je pense que l’on a vécu le même processus :)
Tout pareil ici aussi ! Je me fais violence comme pour conjurer le sort et que cette anxiété sociale ne se transmette pas aux futures générations. Mais même si on peut apprendre à vivre avec, je crois que ce trait de caractère a quelque chose d’inné et qu’on ne peut complètement s’en débarrasser. À l’inverse de mon fils, ma fille a une aisance sociale incroyable (pour moi c’est une extra-terrestre!). J’espère donc au moins faire gagner un peu de temps à mon fils en partageant avec lui ce que j’ai appris. Et je pense comme toi que les pousser à faire des choses qui leur sont inconfortables, leur permet d’apprendre plus vite à dépasser leurs appréhensions et vivre nom d’une pipe !
J’ai la même situation ici, une enfant paralysée en société et l’autre qui y danse comme si elle avait fait ça toute sa vie :)
Ma plus grande peur, petite, était que la maîtresse ou le maître m’envoie porter quelque chose dans une autre classe. Ça se faisait, à l’époque, d’envoyer un élève faire passer un message ou autre. J’en tremblais d’aller seule dans les couloirs, de trouver la bonne salle, de frapper à la porte et d’interrompre la classe…
J’avais aussi très peur de répondre au téléphone ou d’appeler. Bon, c’est passé, ça!
Je n’ai jamais trouvé la recette miracle pour être à l’aise partout et en tout temps. Je suis capable d’aborder de parfaits inconnus et je ne suis pas timide, mais je reste mal à l’aise en groupe (ce que je ne suis pas avec une ou deux personnes). Va comprendre…
J’essaie de donner à Mark la confiance qui lui manque. Il a une voix, il SAIT faire, personne ne se moquera de lui. Ça a bien marché en France cet été de l’envoyer acheter son pain au chocolat ou de le laisser se débrouiller pour de petites choses. Ça vient…
ça me parle tellement ce que tu dis… j’étais totalement comme cela petite et adolescente (et encore jeune adulte). Je n’ai pas encore trouvé la solution miracle pour être sûre de moi, mais j’essaye !
Je te trouve confiante quand tu t’exprimes en tout cas !
à l’écrit oui, mais à l’oral c’est encore une autre affaire ;-)