
Demain, c’est le 8 mars, l’occasion pour le monde entier de mettre les femmes à l’honneur. Entre rappel des luttes visant à obtenir davantage de droits et promotions sur les bouquets de fleurs, on vit de grands écarts, le 8 mars. Un peu comme entre les hommes et les femmes, finalement.
Mais bref. Demain, c’est le 8 mars, la Journée internationale des droits des femmes, pour bien la nommer. On ne nait pas femme, on le devient, disait De Beauvoir, et à raison. Dans ma maison, j’ai deux femmes en devenir, petites filles de ce monde, heureusement négligentes et futiles, comme toutes devraient l’être à cet âge. Je me suis parfois demandée comment les aider à construire une bâtisse solide pour leur future moi, comment ancrer des fondations pérennes et des fenêtres si grandes et si hautes que l’horizon deviendrait un champ des possibles. Voici mes propositions.
Ouvrir les possibilités
Avez-vous remarqué comme l’on rend exhaustives des listes qui devraient être infinies ? Les jobs, les carrières, les amours… On enferme très vite les individus dans des cases préconçues, toujours trop étroites et toujours trop rigides. Pire que cela, on enferme très tôt, on envoie les enfants dans des parcours définis à l’avance, vers des voies professionnelles toutes tracées, quand on ne sait pas nous-mêmes, 20 ans plus tard, si l’on a bien fait de devenir informaticienne ou si l’on aurait pas préféré devenir mécanicienne. Et d’ailleurs, qui nous aurait vraiment proposé, à nous, anciennes filles, futures femmes, de devenir informaticiennes ou mécaniciennes. Savait-on seulement que l’orthographe se décline aussi au féminin? Ouvrons les possibilités, demandons-nous – à voix haute s’il le faut – si nous avons assez de fantaisie pour les emmener au-delà de ce qu’on jugeait possible pour nous. Oui, on peut être informaticienne, ingénieure, technicienne, mécanicienne, comme on peut être professeure, adjointe, boulangère, éducatrice. La seule limite, c’est celle de notre imagination.
Les rendre indépendantes…
Je vais être honnête avec vous : les gens qui en 2023 disent des phrases comme « trouve-toi un bon mari », même pour plaisanter, me hérissent le poil. Estimer que pour être une femme qui existe, qui vaut, qui mérite, il faut être une concubine, est tellement dépassé que cela pourrait être drôle si ça n’en était pas navrant. Le monde regorge de femmes qui réussissent, qui sont des cheffes de familles, des mères seules parfois, des entrepreneures, des employées sur lesquelles repose tout un fonctionnement. Des femmes, surtout, qui ont réussi à mener de front plusieurs vies, et à le faire bien. L’avenir de nos filles, ce sont elles-mêmes, les femmes indépendantes et épatantes qu’elles vont devenir, pas la personne qu’elles vont épouser (ou non).
… et montrer l’exemple
S’il y a un secret de polichinelle dans la parentalité, c’est bien celui-ci : les enfants apprennent par l’exemple. Ils s’expriment comme nous, embrassent nos expressions et nos attitudes, reprennent nos convictions et nos pensées, jusqu’à s’en défaire éventuellement. Demander à nos filles de devenir indépendantes et attendre papa pour changer une ampoule, c’est contre-productif. Montrons l’exemple, apprenons leur qu’on peut tout faire, pour autant que l’on s’informe et que l’on apprenne. Construisons, cuisinons, calculons, cousons, peignons, abattons et dansons, soyons toute entière et embrassons toutes nos capacités. Que nos petits arrangements de couple, entre vilaines araignées et chaussettes trouées, soient des choix et non des défaites.
Comprendre ce qui se joue dès le départ
J’y reviens sans cesse mais il y a eu un moment clé dans ma compréhension de la société (vue sous un angle dichotomique) : j’ai interviewé en 2011 ou 2012 un professeur de CP qui avait réalisé une étude dans ses classes, en partenariat avec le Planning familial du département. De son étude, étaient ressorties plusieurs situations, disons, intéressantes. Par exemple, dès 6 ans, de nombreux enfants dans sa classe avaient intégré des possibilités très genrées : les petites filles voulaient être maîtresses, les garçons voulaient être mécaniciens. Pourquoi pas, me direz-vous? Oui mais voilà : ceux à qui l’on avait dit qu’ils pourraient être, s’ils le souhaitaient, instituteurs ou infirmiers, avaient aussitôt rétorqué que « c’était des trucs de filles ». Quid des fillettes à qui, vous le devinez, les intervenants avaient suggéré de devenir elles-mêmes mécaniciennes, médecins ou ingénieures? Plusieurs (plusieurs!), âgées seulement de 6 ans, avaient alors répondu : « je pense que ce serait trop difficile, c’est plutôt un truc de garçons ». Un autre fait surprenant : le professeur avait remarqué une évolution frappante dans l’attitude des enfants lors des interrogations orales. En début d’année de CP, à tout juste 6 ans, les enfants se partageaient l’espace de discussions et de réponses selon leur personnalité, tout genre confondu. En fin d’année, une différence notable se manifestait, qui perdurerait, selon les retours d’autres professeurs, dans les classes supérieures : les garçons participaient activement, levant la main sans nécessairement connaître la réponse, relativement indifférents au fait de se tromper et prenant beaucoup de place dans l’espace de communication, les filles, quant à elles, se mettaient de plus en plus en retrait, ne levant la main qu’après s’être assurées que la réponse qu’elles allaient donner était bien la bonne. C’est intéressant de constater que ces fonctionnements interviennent très tôt dans la construction des individus car ce sont des attitudes qui s’ancrent et qui perdurent dans l’espace sociétal par la suite, les hommes prenant la parole et les femmes agissant dans l’ombre.
Leur apprendre à dire non…
Être une femme en devenir, en 2023, c’est aussi vivre dans une certaine insécurité, plus ou moins grande selon le pays dans lequel on évolue. Apprenons leur les codes, enseignons leur la liberté d’être, le droit de se tromper et celui de dire non. Disons leur bien qu’elles ont le droit de contrôler la narration, qu’il n’y a pas à fléchir si l’on souhaite autre chose. Mais aussi que l’on a le droit de se tromper, que dire oui n’est pas de la frivolité, que l’on peut être celle que l’on veut tant que cette volonté est nôtre et pleine et nous procure la joie d’être et l’excitation de vivre.
… et à réclamer leur dû
En 2023, on voit encore beaucoup d’écarts salariaux et de promotions pour lesquelles des hommes sont préférés aux femmes par le seul fait de leur genre. On voit aussi des lycéennes être orientées vers des parcours différents de leurs homologues masculins pour les mêmes raisons. Marteler aux filles qu’elles ont autant de droits que les garçons est un travail de tous les jours. Car c’est sur la scène professionnelle que se jouent ensuite les différences; des écarts conscients, internalisés, trop souvent acceptés. Un salaire se négocie, une promotion se réclame et une discrimination flagrante se dénonce. Les garçons apprennent très tôt le jeu des négociations, des contacts d’affaires, du réseau que l’on crée, maintient et enrichit. Enseignons à nos filles les règles du jeu, qu’elles en deviennent des joueuses-clés et non des pions, ballotées au gré des coups de chances, du sort et des tricheries, condamnées sans cesse à passer leur tour. Je ne doute pas qu’elles sauront faire bon usage de ces connaissances et j’ai hâte de connaître ce monde où elles auront enfin, toutes les cartes en main.
-Lexie Swing-
Photo : JP Valery