Vie parallèle

Rendez-vous chez ma masso (attendu comme le Messie, c’est peu dire), nous échangeons quelques nouvelles. Nous ne nous sommes pas croisées depuis des mois alors nous partageons les banalités d’usage. Elle me confie qu’elle m’aperçoit parfois promener mon chien. Je lui dis que ça ne m’étonne guère, vu que j’habite au coin de la rue. Elle ajoute qu’elle voit aussi souvent Nicolas, mon mari, attendre les enfants à l’arrêt d’autobus. Et là je retiens mon souffle.

Mon mari ne s’appelle pas Nicolas, et nos enfants ne prennent pas l’autobus.

Je n’ose pas la détromper, j’adresse un sourire mi-courtois, mi-gêné, et je change de sujet. Puis le massage démarre et comme toujours, mon esprit dérape. Qui est ce Nicolas qu’elle pense être mon mari ? Qui sont ses enfants qui ne sont pas les miens ? Plus le massage avance, plus je songe à cette vie que son imagination a créé en parallèle de la réalité, avançant dans un quotidien sûrement proche du mien.

Ce quiproquo me fait penser à ces inconnus dont on ne connaît parfois que la voix et à qui on dessine une existence. Ou à ces collègues d’amis, dont on entend parler sans cesse, et qu’on rencontre un jour. Ils sont souvent à des années lumière de la vie qu’on leur avait construite. La blonde achalante qui ponctue toutes ses phrases de superlatifs et semble vivre plus d’aventures que le hashtag « travel » sur Instagram est en fait une brunette au quotidien bien ordonné entre son tricot et ses trois chats. Le monsieur débonnaire à la cinquantaine avancée qui dîne chaque jour seul à la cafétéria est un runner aguerri, père de trois enfants, président de trois conseils d’administration et marié à une ancienne miss météo.

En dehors de ces vies qu’on prête aux autres, et souvent à tort, la confusion initiale m’a fait réfléchir à l’ensemble des possibles qui s’ouvrait devant nous. Peut être pas maintenant, mais quand nous avions davantage de cartes en main. Ce matin un candidat dans la finance m’a dit que si c’était à refaire, il referait exactement le même choix de carrière. Est-ce que c’est vrai pour tout, et pour nous tous ? Vous êtes-vous déjà demandé si vous auriez pu prendre un chemin de traverse ou juste un croisement différent ? Aurait-on atterri au même endroit, attiré malgré nous par la voie que nous devions mener, ou aurait-on pu devenir quelqu’un de tout à fait différent ? Qu’est-ce qui nous détermine, et avec quoi naissons-nous ? Les dés sont-ils pipés ou nous avons un jeu de cartes suffisant pour mener à bien la réussite de notre vie ? J’ai autant de questions sans réponses que de secondes qui s’égrènent en attendant le sommeil. La poésie d’un recommencement s’abîme dans l’illusion d’une connaissance. On ferait des choix différents en connaissance de cause. Mais c’est là où le bât blesse : nous ne connaissons guère les causes, et encore moins les conséquences. Nous jouons avec l’espoir de faire les meilleurs choix possibles, ou les moins pires. Si nous devions réellement recommencer, alors nous serions aussi frais et naïfs qu’au premier jour, pétris de certitudes et bourrés de méconnaissances. Nous ferions des choix peut-être différents mais qui peut vraiment dire qu’ils seraient meilleurs ?

-Lexie Swing- (emportée par le sommeil)

Crédit photo : Lexie Swing

8 réflexions sur “Vie parallèle

  1. Je suis toujours incapable d’imaginer ma vie alternative. Pourtant, je crois que j’ai de l’imagination… mais, je bloque aux « et si je n’avais pas… »!

    Je soupçonne que des gens dans le quartier n’ont jamais saisi le lien entre Feng et moi. Je surprends des coups d’oeil surpris si on marche ensemble, quand il fait beau :lol: On doit le voir lui de son côté, moi de mon côté… c’est rare qu’on soit dehors ensemble dans le quartier, et encore plus avec Mark.

    • Haha j’adore l’idée que des gens puissent se dire “oh mais ils sont un couple en fait !? Si si je te jure les gens du 36B, le gars qu’on voit parfois le matin ben il est avec la fille qu’on croise l’après midi, je te jure je les ai vus au parc cet après midi, ils se tenaient par la main”

  2. Coucou,

    Je suis convaincue que nombre de choix sont déterminés par notre bulletin de naissance ou plus précisément de l’endroit (géographique, noyau familial, dimensions pécunières, etc…) dans lequel nous évoluons nos premières années. Reste que nous pouvons avoir plusieurs vies en une et qu’on aurait tort de s’en priver.

    Bonne semaine à toi !

    Cécilia

  3. Une réflexion très intéressante encore une fois Lexie!

    On imagine toujours plus ou moins la vie des gens et parfois en effet quand on les voit tout notre imaginaire s’effondre.

    Je me suis souvent posée cette question de possibles choix différents et de possibles routes. Il y en aurait tant.

    Très belle journée à toi!

  4. C’est en effet un questionnement vertigineux. Que serait ma vie si le prof acariâtre responsable des stages m’avait laissée partir en Allemagne comme je le projetais ? Très probablement, elle serait totalement différente. Autre stage, autre premier emploi, autre lieu de résidence, autres rencontres, autre vie… Le film « le tourbillon de la vie » est une excellente illustration de cela. (En attendant, j’espère que tu trouveras qui est ce fameux Nicolas avec qui tu es virtuellement mariée !)

    • Mon père avait décroché un emploi étudiant (ou un stage, je ne suis plus sûre) au Canada, mais son père a refusé qu’il parte. Imagine le champ des possibles. Et s’il s’était installé la bas et qu’il y avait fait sa vie ? Un stage ou une école qui fonctionne ou non, c’est typiquement un événement qui peut conditionner le reste d’une vie.

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