J’écris ça et je ne m’en étais même pas rendue compte avant. Nous sommes au quart du siècle, assez fou non ? Ça l’est encore plus de se souvenir (péniblement) du moment où l’on a fêté mon quart de siècle. C’était à la fois follement excitant et terriblement jeune (25 ans!), autant dire que c’était il y a longtemps.
J’ai un souvenir précis de l’année 2000, rapport au fait que j’ai changé de ville, d’établissement scolaire (deux fois dans l’année), et qu’elle a marqué le début de la plupart des amitiés que j’ai forgées depuis. D’ailleurs, c’est aussi cette année-là que j’ai rencontré celui qui est devenu mon mari. Si un jour une historienne se plonge dans l’histoire oubliée des auteurs de blogues méconnus, elle soulignera peut-être que ma vie a vraiment commencé au XXIe siècle. Elle va vraisemblablement s’y terminer également, rapport au fait que je n’ai pas la génétique de Jeanne Calment. Si tu ne sais pas qui est Jeanne Calment, le siècle dernier t’a épargné.
Je n’ai pas écrit depuis longtemps. Il y a un an l’enfance est partie. On ne sait jamais trop quand ça va arriver, je m’en rends compte aujourd’hui. On croit que l’enfance part quand l’âge adulte arrive mais c’est faux. Nous restons enfant aussi longtemps que ceux qui nous ont tenu la main continuent à le faire. Il a suffi d’une carte pour que le château s’écroule. L’enfant en moi a eu peur et elle est partie. Et comme c’est elle qui a commencé à écrire il y a plus de 30 ans je n’ai plus vraiment su quoi faire.
Alors j’ai écrit un livre pour enfants. J’y ai mis du Roald Dahl dedans, un peu de Petit Nicolas et un paon, aussi. J’y ai mis une fille aux cheveux bouclés et beaucoup d’ironie. J’y ai mis une grand-mère aventurière. J’y ai mis mon humour et mon cœur et l’enfant est revenue. Elle ne sera plus jamais la même, elle sait désormais que sous le château il n’y a qu’un gouffre vertigineux. Mais elle se tient en équilibre sur les ruines et elle danse. Parce que le château a sombré mais que l’amour flotte. Et que ses souvenirs auront toujours le goût des gâteaux du Carmel, au bout de la rue.
Je suis désolée d’être partie si longtemps. J’ai continué à lire ceux qui publient, et à échanger avec ceux qui partagent sur les réseaux sociaux. Je suis chanceuse car je suis bien entourée.
J’ai lu sans cesse et partout combien 2024 avait été une année éprouvante, et si je connaissais quelque chose aux astres, j’y verrais peut être la rétrogradation sibylline d’une planète tumultueuse. 2025 sera différente. Je vous souhaite en tout cas qu’elle vous donne le courage de vous accomplir.
Rendez-vous chez ma masso (attendu comme le Messie, c’est peu dire), nous échangeons quelques nouvelles. Nous ne nous sommes pas croisées depuis des mois alors nous partageons les banalités d’usage. Elle me confie qu’elle m’aperçoit parfois promener mon chien. Je lui dis que ça ne m’étonne guère, vu que j’habite au coin de la rue. Elle ajoute qu’elle voit aussi souvent Nicolas, mon mari, attendre les enfants à l’arrêt d’autobus. Et là je retiens mon souffle.
Mon mari ne s’appelle pas Nicolas, et nos enfants ne prennent pas l’autobus.
Je n’ose pas la détromper, j’adresse un sourire mi-courtois, mi-gêné, et je change de sujet. Puis le massage démarre et comme toujours, mon esprit dérape. Qui est ce Nicolas qu’elle pense être mon mari ? Qui sont ses enfants qui ne sont pas les miens ? Plus le massage avance, plus je songe à cette vie que son imagination a créé en parallèle de la réalité, avançant dans un quotidien sûrement proche du mien.
Ce quiproquo me fait penser à ces inconnus dont on ne connaît parfois que la voix et à qui on dessine une existence. Ou à ces collègues d’amis, dont on entend parler sans cesse, et qu’on rencontre un jour. Ils sont souvent à des années lumière de la vie qu’on leur avait construite. La blonde achalante qui ponctue toutes ses phrases de superlatifs et semble vivre plus d’aventures que le hashtag « travel » sur Instagram est en fait une brunette au quotidien bien ordonné entre son tricot et ses trois chats. Le monsieur débonnaire à la cinquantaine avancée qui dîne chaque jour seul à la cafétéria est un runner aguerri, père de trois enfants, président de trois conseils d’administration et marié à une ancienne miss météo.
En dehors de ces vies qu’on prête aux autres, et souvent à tort, la confusion initiale m’a fait réfléchir à l’ensemble des possibles qui s’ouvrait devant nous. Peut être pas maintenant, mais quand nous avions davantage de cartes en main. Ce matin un candidat dans la finance m’a dit que si c’était à refaire, il referait exactement le même choix de carrière. Est-ce que c’est vrai pour tout, et pour nous tous ? Vous êtes-vous déjà demandé si vous auriez pu prendre un chemin de traverse ou juste un croisement différent ? Aurait-on atterri au même endroit, attiré malgré nous par la voie que nous devions mener, ou aurait-on pu devenir quelqu’un de tout à fait différent ? Qu’est-ce qui nous détermine, et avec quoi naissons-nous ? Les dés sont-ils pipés ou nous avons un jeu de cartes suffisant pour mener à bien la réussite de notre vie ? J’ai autant de questions sans réponses que de secondes qui s’égrènent en attendant le sommeil. La poésie d’un recommencement s’abîme dans l’illusion d’une connaissance. On ferait des choix différents en connaissance de cause. Mais c’est là où le bât blesse : nous ne connaissons guère les causes, et encore moins les conséquences. Nous jouons avec l’espoir de faire les meilleurs choix possibles, ou les moins pires. Si nous devions réellement recommencer, alors nous serions aussi frais et naïfs qu’au premier jour, pétris de certitudes et bourrés de méconnaissances. Nous ferions des choix peut-être différents mais qui peut vraiment dire qu’ils seraient meilleurs ?
Cette semaine, je fête mes 38 ans. Quand j’ai commencé à écrire, j’étais une jeune première de 26 ans et j’ignorais tout de l’âge adulte, ou presque. 38 ans ce n’est pas petit, et même si je ne m’inquiète pas encore de la grandeur de mon âge, j’aime bien plaisanter sur le fait qu’on est désormais sur la pente glissante. Je serai tentée de dire qu’avoir 40 ans ne me fera probablement rien mais qui peut vraiment savoir ce qui nous bouleverse ?
J’ai de la chance, parce que je suis la benjamine du club. L’âge que j’ai, les copains l’ont déjà eu; l’ordre des choses et du temps est respecté. Une de mes proches se plaignait récemment de ses 36 ans (je ne suis pas la benjamine de tout le monde), arguant qu’elle se sentait trop jeune pour s’aventurer déjà du mauvais côté de la trentaine. Mais de mon côté, ça ne ferait aucun sens quelque part, car dans les douze années qui me séparent des premières publications, il y a eu tant de vie que des années lumières ne pourraient la contenir. On n’accompagne pas un enfant aux portes de l’adolescence, on ne gravit pas des échelons professionnels, on ne dit pas que l’on est amoureux depuis bientôt 17 ans sans que les traces du temps qui passe ne se reflètent quelque part. Ces douze années, ce sont tout sauf de l’immobilisme et les cheveux ont blanchi sur le chemin.
Il y a quelques années, à l’occasion des anniversaires, on voyait parfois fleurir sur les blogues ou les réseaux des listes du type « 10 choses sur moi que vous ne savez peut être pas » ou un titre du genre, avec un sex-appeal qui n’avait rien à envier à un hors-série Cosmo : 10 régimes qui ont fait leurs preuves avant l’été ou 10 raisons de porter sa jupe au niveau des aisselles pour un été caliente. Oui j’ai un truc avec l’été, ça doit être parce qu’on sort juste de l’hiver. Bref, j’étais souvent impressionnée par leurs capacités à décrire avec précision leur personnalité : j’aime les petits pois échalotes choucroute, surtout en octobre entre 10h et 13h30; quand j’étais petite, je suis tombée un vendredi 13 d’un poney nain qui s’appelait Cracotte et je me suis fracturée le tibia en trois endroits distincts. J’étais fascinée par le caractère à la fois exceptionnel de leurs traits de personnalité et la façon dont on pouvait y adhérer sans retenue. J’étais aussi admirative qu’elles se connaissent si bien. Personnellement, je n’étais pas capable de dire si j’aimais plus les petits pois le jeudi que le dimanche et, le jour où je suis tombée de cheval la tête sur un tronc d’arbre, j’ai oublié jusqu’à mon nom, alors la date …
La trentaine avançant (se terminant), je me connais mieux et j’ai le goût de me prêter à l’exercice. Dix, c’est un peu le désert de Gobi en termes de traversée alors tentons cinq.
– Je porte le nom d’une impératrice qui fut d’abord une prostituée, et je tire une satisfaction toute personnelle de cette ascension qui n’est pas la mienne. Sur la liste des prénoms considérés, il y avait également Athenaïs et Tabatha. Est-ce que notre prénom détermine notre histoire ? Vous avez trois heures.
– Je voue un dédain farouche à la télé-réalité consistant à enfermer ensemble un groupe d’adolescents attardés. Je ne comprends ni le but des participants ni le plaisir que cela procure à ceux qui les observent. Est-ce le même engouement que lorsqu’on s’extasie, à travers les grilles du zoo, sur l’attitude du panda indolent qui mâchonne imperturbable son bambou ? La justification que je comprends le moins à cet égard est « ça me vide le cerveau ». Personnellement ça le remplit d’une série de questions socio-psychologiques et d’une grande terreur quant au devenir de la race humaine.
– J’ai changé de ville à l’âge de 3 mois, 3 ans, 6 ans, 13 ans, 19 ans, 21 ans, 23 ans, 27 ans et 29 ans. Quand je suis arrivée dans ma ville actuelle, j’ai immédiatement senti que j’étais arrivée à bon port. Un vrai coup de foudre.
– Voir les gens interagir entre eux est à la fois source de fascination et de stress pour moi. J’aime voir aller les gens (sauf quand ils sont enfermés tous ensemble dans une maison avec piscine et qu’ils ont un QI proche du montant de mon compte en banque) mais je perçois très fortement leurs sentiments, leurs doutes et leur détresse. Une personne qui peine à trouver sa place dans une discussion, une autre dont l’esprit s’échauffe car elle se sent incomprise, et c’est tout mon système qui se met à bouillonner. Souvent, je suis tentée d’échapper à cette observation douloureuse, y compris lorsqu’elle est fictionelle. Les sentiments larmoyants sur petit écran ? Très peu pour moi.
– Je ne suis ni casse cou ni spécialement courageuse mais j’ai une conscience du danger comparable à celui d’une huître. Marcher sur un pont glissant ? Pas de problème. Sauter de l’avion en espérant que le moniteur a bien vérifié le parachute ? Les doigts dans le nez. Si quelqu’un dit que ça passe, c’est que ça passe. Je fais confiance. Tiens regarde de l’eau bouillante.
Je me suis un peu égarée dans cet exercice. Vous ai-je parlé de mon admiration pour la concision ? Bref, je vous invite à tenter le coup à votre tour, en commentaires ou dans un petit message juste pour moi.
A 14h08, samedi dernier, notre avion s’est posé sur le tarmac de l’aéroport Montréal-Trudeau. A 14h10, je rallumais mon téléphone. Au milieu des messages reçus, celui de mon amie qui m’annonçait le décès de son père. Ce n’est pas n’importe quelle amie, comme ce n’était pas n’importe quel père. D’ailleurs ce sont en réalité mes amies, au pluriel, et une grande famille que j’ai eu la chance de côtoyer depuis les premiers mots que j’ai couchés sur des feuilles.
Ces mots que j’écrivais, leur Papa les lisait. Pas à l’époque, probablement, mais plus tard oui. A l’instar de celles et ceux qui, ici, sur les réseaux sociaux ou par message privé, ponctuent mes écrits de leurs réflexions, commentaires et appréciations, il n’hésitait jamais à rebondir, interpeller l’un des membres de sa famille ou partager un passage qui lui avait plu.
J’en aurais écrit mille, des articles, si ça avait pu rallonger le chemin. Je l’aurais pavé de poésie, de doux et d’espoir. Mais même les mots les plus rares n’ont pas ce pouvoir.
Je ne savais pas tout de lui, pas grand chose même. Vous savez comment c’est, les parents de nos amis. On entre chez eux sur la pointe des pieds, attendant dans l’ombre, statufié, de se voir désigner une heure, un espace, un coin de table où l’on sera les bienvenus. Et puis on revient, jour après jour, année après année, à mesure que les amitiés grandissent. On s’invite pour tout, pour rien et un jour, on est comme chez soi. Je ne savais rien de plus de lui que ce que l’enfance avait su voir : une voix, une stature, une place à table, un rire, une façon de s’adresser aux siens. Mais lorsque, plus tard, la vie a fait son oeuvre et remplacé nos pitreries d’enfants par des préoccupations d’adultes, j’ai emporté dans mes bagages la sérénité qui se dégageait de cette vie, la bonhommie avec laquelle on m’accueillait et le sentiment que, si je me perdais un jour, le Nord pourrait sans peine se trouver à leur table.
A l’entrecroisement des mers et des terres, il y a parfois un phare qui brille plus que les autres. Et lorsque la lumière s’éteint, alors c’est tout un équipage qui doit réapprendre à se guider à la lueur des étoiles. Je souhaite à mes amies et à leur famille tout le courage possible pour faire face à cette épreuve.
Nous sommes le mardi 26 décembre, le dernier mardi avant la nouvelle année. Il y a un an tout juste, je nous faisais une promesse : publier un article par semaine pendant un an. C’était une tentative, à peine un espoir. Après avoir joyeusement grandi depuis 2012, le blog n’avait pas résisté au désarroi de la pandémie de 2020 et l’inspiration s’était tarie à mesure que l’isolement s’installait. Il n’était pas le seul à végéter et bien des espaces ont fermé depuis, comme on met la clé sous la porte d’une boutique qui avait pourtant connu de belles heures de gloire. J’ai hésité à renouveler le bail et puis j’ai eu envie de nous laisser une chance. Je crois que je n’avais pas envie que Lexie Swing disparaisse complètement.
Alors nous y voilà : un an de publications ! Le calendrier que j’avais prévu a pris le bord en cours d’année, et certains articles sont arrivés sur les réseaux aux petites heures de la nuit le mardi. J’ai souvent mis ça sur le compte du décalage horaire. De ces articles ont découlé des échanges précieux, des idées, des fenêtres sur votre monde, et c’est ce qui m’a toujours donné envie de publier ici, autoriser le partage, les échanges et donner corps à nos idées communes.
Je connais plein de gens qui sont férus de bilans, comme on est parfois férus de listes. On liste les petites choses du quotidien et les grands moments de l’année, histoire de faire le point. S’autorise-t-on à raturer ce qui n’a pas fonctionné ? Surligne-t-on les accomplissements ? De quoi s’enorgueillit-on, une fois l’année achevée ?
De mon côté, il y a bien sûr eu mon nouvel emploi, en juin, et le roller-coaster émotionnel qui l’a précédé. Il y a eu nos vacances à quatre en Gaspésie, notre deuxième road-trip après le tout premier réalisé alors que les filles étaient encore toutes petites. Et puis au milieu de ces grands instants, il y a eu tous les petits accomplissements du quotidien, la simplicité d’une vie où elles ont 10 et 8 ans – les meilleurs âges à date, si vous voulez mon avis.
Je mentirais si je disais qu’il n’y a pas eu de reculs et s’il n’y a pas eu de doutes. Qu’il n’y a pas eu des moments où j’ai dû aller chercher plus loin dans mon âme pour continuer à avancer. Parfois, j’ai l’impression que la vie est comme ces jeux vidéos dont le cadre bouge sans cesse, contraignant le personnage à courir sans arrêt. Il ne peut s’arrêter sous peine de se retrouver englouti. Un instant de répit et c’est Game over. Alors on avance, pour échapper au temps qui passe et répondre aux impératifs qui reposent sur nos épaules comme autant de sacs de plomb. Parfois, c’est une course avec handicap, le kart a un pneu crevé et la direction tire à gauche. Souvent, le parcours est semé d’embûches mais on a la chance du débutant et des étoiles en case bonus. On nargue les vilains monstres avant de se prendre une carapace de tortue dans la tronche et de tournoyer sur nous-mêmes, hébétés par le choc.
Ma vie est une partie de Mario-Kart que je rejoue sans cesse. Parfois je perds, rarement je gagne, généralement je finis en milieu de peloton après avoir fait la course en tête pendant deux tours et crié victoire trop tôt. Toujours, j’apprends. La frustration, les échecs, mais surtout le fait que chaque fois, la partie recommence, pour me laisser une nouvelle chance.
Vous rappelez-vous des L5 ? “Toutes les femmes de ta vie, en moi réunies…” Un classique de la musique populaire dans des années où j’avais moins mal aux genoux, si vous voyez ce que je veux dire. En play-back le samedi matin lors du Hit Machine, le groupe monté par la grâce de producteurs ambitieux, pour ne pas dire opportunistes, ânonnait des paroles comme seules la pop (et Dieu sait que j’aime la pop) sait en enfanter.
Ce sont ces paroles-ci qui me sont venues en tête récemment, alors que mon esprit se perdait dans les méandres de mon agenda hebdomadaire. Lundi ? Psy. Mardi ? Ergo. Mercredi ? Technicienne dentaire. Jeudi ? Rencontre avec la professeure. Vendredi ? Masso. Des femmes qui nous entourent aux femmes qui nous supportent, mon monde repose en majorité sur les femmes qui gravitent autour de moi. Il faut dire que j’oscille dans un microcosme, un périmètre réduit à ma ville de banlieue où je dors, travaille, envoie mes enfants à l’école, fais mon épicerie, etc.
Les femmes y sont partout. Elles sont nos interlocutrices au café, au magasin local de produits de santé, à la petite échoppe d’aliments en vrac, au café, au salon de thé, à la crémerie, chez le coiffeur, au club mamans-bébés. Elles sont le tissu social fort des petits coins comme le nôtre, et maintiennent ce lien qu’on accuse si souvent notre époque de dénouer.
J’ignore s’il s’agit d’un trait de caractère réellement genré ou si c’est la société qui nous modèle tant à devenir une certaine version de nous-mêmes, mais je crois que c’est notamment la capacité de communication forte des femmes qui permet à ce lien d’exister. Par delà la capacité à s’exprimer pour vendre qu’on a si longtemps raccrochée à un trait de caractère masculin, on est ici dans la communication comme vecteur d’un lien social. Ici, ce sont les femmes qui parlent, qui prennent des nouvelles, qui tiennent au courant. Entre nous un réseau se crée, plus puissant que n’importe quelle plateforme. Des messages ponctuent des fils de conversation entre voisins, entre amis, avertissant d’un retard d’autobus, d’un danger sur la route, d’un événement à venir. Les questions fusent, les propositions s’entremêlent. C’est quoi la liste 5 de vocabulaire ? Quelqu’un a-t-il un aspirateur en dépannage ? Rappelez-moi le nom de la dentiste ? Qui a déjà testé le nouveau resto sur la rue d’en haut ? On y donne nos avis, nos plats bien garnis et nos bénédictions.
Je sais que les hommes sont présents, de manière moins visible certainement. Mais cette vie, ce bruissement, cet intangible effort à rassembler, cette sororité qui n’a pour essence que le besoin même d’assurer des connexions qui deviennent un rempart au monde extérieur, c’est l’apanage des femmes. À chaque heure de ma vie, j’ai une pensée pour l’une d’elle. Pour celle qui nous nourrit, pour celle qui soigne, pour celle qui les éduque.
Cela prend un village pour élever un enfant, et beaucoup de femmes pour y grandir.
L’hiver est à nos portes, c’est probablement encore plus vrai au Québec. Nous avons déjà essuyé nos premières neiges de la saison et le froid se fait de plus en plus mordant. Avant que les précipitations et le rythme endiablé du mois de décembre nous emporte, faisons le point sur les chouettes choses découvertes cette saison.
Emprunté à la bibliothèque, ce livre a été une belle découverte. Le titre m’en rappelait un autre, et je compte sur mon père pour s’en souvenir car il l’a retrouvé dans sa bibliothèque il y a peu. Une histoire de pommes Papa ?
Bref, ici, ce ne sont point les pommes, mais les poires, et c’est d’ailleurs surprenant, ce que l’on apprend sur ce fruit charnu. Mais l’histoire est avant tout celle d’une rencontre entre deux femmes, les plus belles des rencontres selon moi. C’est l’histoire d’une sororité. C’est l’histoire d’une adolescente en fugue et d’une femme adulte que la vie a malmené. C’est l’histoire de deux solitudes qui réapprennent à exister, ensemble. Le récit est très touchant, parfois maladroit, et flirte avec la misère humaine sans jamais y sombrer. À découvrir.
Je pourrais vous dire que nous avons ouvert cette bouteille pour célébrer un moment glorieux, un anniversaire particulier, une saison singulière. La vérité est que c’était quelque chose comme un jeudi soir, un de ces jeudis de novembre où les journées sont courtes mais les heures trop longues, entre la morosité de la météo et les agendas trop remplis. On avait le goût de boire un petit quelque chose, mais pas une bière facile comme on en consomme d’ordinaire. On avait besoin de cette odeur tenace, de cette robe nacrée, de ce goût suave qui glisse sur le palais. On avait besoin d’un bon vin rouge alors on a regardé ce que l’on pouvait bien trouver dans le maigre espace à bouteilles qui jouxte notre évier. On en a trouvé une, on ne connaissait pas le nom, on n’était plus sûr de qui avait pu nous l’amener. On l’a ouverte avec l’espoir de déguster quelque chose de réconfortant, mais on a eu la surprise de découvrir beaucoup plus que ça. Si vous aimez le bon vin rouge, je vous conseille cette découverte : Champs Pentus de Frédéric Brouca. Mes parents, à qui j’ai demandé de nous en acheter, ont découvert depuis que pour la culture de ce vin de l’Herault, le viticulteur laboure ponctuellement son sol avec un “petit chenillard St Chamond” et si vous ne connaissez pas St Chamond, c’est bien correct, mais c’est précisément ici que tout a commencé pour moi, si vous voulez mon avis.
Toujours en quête de recettes avec moins de sucre, je suis tombée sur cette pépite. Ce n’était pas la première fois que je cherchais des recettes plus saines mais c’est bien la première, par contre, que celles-ci fonctionnaient. En lieu et place du sucre habituel, l’autrice utilise de la compote de pommes, du sirop d’érable, du miel, etc. Quatre recettes de testées et 100% de réussite. Ma préférée ? Les baguettes viennoises. Réalisées avec de l’huile de tournesol faute d’avoir eu l’huile de coco souhaitée, elles étaient incroyables. Voici la recette : https://www.healthyfoodcreation.fr/baguettes-viennoises/
Avoir peur (et faire avec)
J’ai vu cette pensée quelque part. Une boîte de céréales ? Un post Facebook ? Un article de psychologie magazine? J’ai vu cette pensée et tout à coup, ça m’a parlé. Mon enfant disait souvent “mais j’ai trop peur pour” ou “je suis trop stressée pour…”. On tentait de l’aider à dépasser ses craintes, ou voulait lui apprendre à se relaxer, à relativiser, à se distancer. Et puis j’ai lu cette personne, ou j’ai entendu cette voix (appelez moi Jeanne d’Arc mais ça devait être un reel Instagram), et en substance, elle disait “oui j’ai peur, oui je suis anxieuse, et j’essaie de diminuer mon stress et mon anxiété, mais même quand je n’y arrive pas, j’avance, je fais quand même, je fais AVEC”. J’ai adoré cette idée, un concept que je porte fougueusement en moi mais pour lequel je n’avais jamais élaboré de raisonnement conscient. On n’est pas toujours obligé d’être serein, on n’est pas non plus toujours obligé d’être prêt, pour se lancer. Et ça m’a beaucoup aidé ces dernières semaines. Après la traditionnelle tentative pour ramener le calme et la sérénité auprès de ma fille, j’ai tenté : “tu as toujours peur ? Ok ce n’est pas grave, prenons ta peur avec nous et tentons quand même”. On lui a donné un nom, on l’a mise dans le sac à dos et on a poursuivi notre route. Et vous savez quoi ? Au bout de l’aventure, il n’y avait plus personne dans le sac à dos, juste la satisfaction de s’être dépassée. Essayez, vous verrez, ça fonctionne bien ! Sauf les fois où l’enfant crie “non je ne veux pas l’emmener avec moi, la peur, je veux la laisser ici”, mais que la peur, elle, compte bien se joindre à nous.
Le miel pour les aphtes
Aviez-vous déjà essayé ça ? Il y a quelque temps, en raison d’un dentifrice un peu trop décapant, je me suis retrouvée un matin avec la bouche entièrement enflammée. Non seulement cela me gênait pour manger (sauf du chocolat, restons honnêtes) mais aussi pour parler. Après trois jours à échanger avec mes candidats le cheveu – que dis-je, la frange – sur la langue, je me suis résolue à acheter un bain de bouche. Sans succès. Puis je me suis tournée vers le seul capable de m’aider : Internet. Remède naturel contre les aphtes. Réponse : le miel. En bain de bouche ou en application, avant le brossage de dents pour éviter les caries. Le miel, antiseptique naturel par excellence. Le résultat ne s’est pas fait attendre, la boule qui s’était formée sur mon palais dégonflant dix minutes après la première application. En trois jours, c’était réglé. Et lorsqu’une inflammation similaire s’est présentée chez ma fille, on a ressorti le miel et le tout s’est résorbé en deux jours. Dans mon souvenir, c’est un délai bien meilleur que les semaines à souffrir d’aphtes. Alors la prochaine fois, testez pour moi : un coton tige, du bon miel et hop une application facile en regardant la dernière série à la mode sur Netflix. Vous me direz si ça marche.
Et vous, qu’avez-vous découvert de chouette cette saison ?
Elle a regardé le calendrier et elle a dit “ça fait juste un an aujourd’hui”, et puis “on dirait que ça fait plus longtemps qu’il est parti”. Et c’est vrai, qu’on dirait qu’une vie a passé depuis son dernier souffle, mais pas tout à fait non plus vous voyez. Parce que je me revois aussi arpenter le parc, le soleil se couchait avec une douceur lumineuse qui baignait la clairière d’un halo rougeoyant. Je m’étais dit “c’est peut être Eleven qui s’en va, il a retrouvé sa liberté et il n’a plus peur de rien”. Et c’était hier, à peine.
Il nous avait quitté dans l’après-midi après une dernière balade avec nos enfants. On s’était assis près de lui, dans notre salon, et puis l’équipe vétérinaire l’avait aidé partir. Quand son cœur s’est arrêté, il mâchonnait encore les biscuits que l’assistante lui avait donné et dans un coin, Poppy et Chester l’observaient. Ils ne l’ont jamais cherché, preuve que les animaux sentent et savent. Contrairement à nous, ils n’ont pas besoin de piqûre de rappel, ils n’ont pas l’impression d’avoir rêvé ou imaginé. Ce qui existe est et ce qui est parti n’est plus.
Il y a toujours eu des animaux autour de moi. De mon retour de la maternité à aujourd’hui, j’ai été entourée d’animaux. Des chiens, beaucoup. Des lapins, des hamsters, des cochons d’Inde, des chats et des chevaux. Mes parents ont même une agnelle désormais.
Il y a quelque chose d’incroyable à partager sa vie avec des compagnons à quatre pattes, comme si l’on était mieux connecté avec le monde. Les meilleures histoires de vie que j’ai entendues était toujours pourvues d’un animal. Sur les genoux, aux pieds, sur le siège arrière d’une voiture lancée en pleine aventure.
Ce que j’ai appris, avec le temps, c’est qu’à l’image d’une relation amicale, aucune relation avec un animal n’a le même visage. Il y a celui que l’on ne pourra jamais remplacer, celle avec laquelle on a arpenté le monde, le féru des courses folles, la fanatique des morceaux de pomme. Il y a ceux qui rendirent nos vies meilleures et ceux qui nous ont appris sur nous mêmes.
Eleven était de ceux-là. De nos premiers instants passés ensemble aux derniers, il nous a appris à faire preuve de ressources, à dépasser nos limites. Pris séparément, de nombreux moments furent des épreuves mais l’ensemble de ce chaos fut une véritable leçon de vie. Il nous a appris la résilience.
Un chien ou un chat, en autant qu’on le considère comme un membre à part entière de sa famille, peut nous accompagner durant plus d’une dizaine d’années. Ils sont au cœur des bouleversements, témoins des petits et grands changements. Eleven a vu naître deux enfants, été emporté dans un processus d’immigration, a connu notre première maison comme propriétaires. Il fut au cœur de cette décennie si particulière pour nous et j’aime à réaliser que tous ces souvenirs si forts sont teintés de son existence.
J’ai une pensée triste pour le petit chien noir et blanc de mes parents qui a rejoint lui aussi les étoiles, ce soir. Il filait comme le vent, infatigable, chassant tout ce que la terre pouvait porter d’insectes et de petits animaux. Il était déterminé, consciencieux et d’une gentillesse incomparable. Les terres moissagaises sont peuplées de ses courses folles et de son enthousiasme débordant. Et je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il s’en va alors que ça y’est, on lui avait enfin trouvé un mouton à encadrer. Tu me manqueras beaucoup petit G.
Le week-end dernier, j’ai doublé le nombre d’enfants de ma maisonnée. Quatre enfants sous mon toit, entre 10 et 3 ans. Nous avons fait plusieurs activités, où les gens me regardaient arriver, visiblement amusés que dans le lot, ma “petite dernière” soit une fillette blonde comme les blés.
La vérité est que ça aurait pu. Cette fillette-ci, malgré l’absence de lien de parenté, possède exactement la même tignasse que ma propre mère, à qui je ne ressemble donc pas. C’est le mystère de la génétique et de ses gènes récessifs ou non. Au jeu de l’ironie et du hasard, il arrive que la fille des copains ressemble plus à ta propre mère que toi-même, c’est ainsi.
Je digresse mais en couvant du regard mon petit troupeau, je me suis dit que ça aurait fait bien, sur mon frigo, quatre minois sagement figés sur papier glacé. Bien sûr, ça aurait fait du monde à table. Bien sûr, ça aurait rempli, encore un peu plus le silence. Bien sûr, ça aurait débordé de la voiture. Mais un cœur de parent, c’est extensible ça non ?
Depuis que j’ai eu ma première fille, j’ai côtoyé toutes sortes de familles et de projets. Des gens qui, par choix ou non, avaient eu un seul enfant. D’autres qui, comme nous, s’étaient lancés dans un doublé ou un triplé – l’histoire ne dit pas s’il est gagnant ou non. J’en ai connu qui avaient continué à remplir religieusement les places à table, d’autres qui avaient dit que c’était fini et puis non finalement.
Lorsque j’ai eu ma seconde fille et que je lisais encore des forums destinés à la maternité, je voyais parfois ressurgir cette question. “Comment on sait qu’on ne veut plus d’enfants?”. C’est vrai ça, comment sait-on que c’est assez, que c’est bon, qu’on est complet ?
De ce que j’ai pu observer, il n’y a pas une seule réponse unique, pas une situation similaire. Il y a des raisonnements, des déceptions et des rendez-vous manqués. Il y a ces couples où l’un aimerait plus mais l’autre veut s’arrêter. Il y a ceux qui étaient sûrs, avant de recroiser les yeux d’un nouveau-né.
Un certain nombre de personnes disent avoir atteint ce sentiment de complétude. L’enfant, que ce soit le premier ou le cinquième, naît, et alors qu’ils l’ont dans les bras, une certitude leur tombe dessus : ils sont au complet. Souvent, cette sensation intervient alors que l’on a autour de soi sa petite famille. Les petites têtes penchées les unes vers les autres donnent à ceux qui les ont portées un sentiment d’achevé.
A d’autres moments, ou pour d’autres personnes dont je fais partie, c’est la raison qui l’emporte. Il y a plein de raisons de vouloir un enfant de plus, mais peut-être encore plus de s’arrêter en chemin. Lorsque j’étais enfant, je voulais à tout prix un petit frère ou une petite sœur. Je ne saisissais pas l’enjeu, je ne voyais que le lien qui aurait existé avec moi, faisant fi de tout réalisme.
A son tour, ma plus jeune fille me demande un autre bébé, un cadet qui lui enlèverait le poids d’être la dernière née. De mon côté, j’ai longtemps eu envie d’une grande famille. Je nous voyais nombreux à table, j’imaginais des liens indestructibles, des regards de connivence et des amitiés par delà les relations fraternelles. Ce que je n’avais pas envisagé, c’est que je puisse vouloir une grande famille mais ne pas être la mère d’une famille nombreuse. La façon dont je me projetais ne m’impliquait pas comme mère. Je me tenais plutôt au coin de la table, soeur parmi les autres. C’était mon enfance que je réécrivais et non ma vie d’adulte que je construisais. J’ai accouché de ma deuxième fille, un post partum empreint de dépression m’est tombé dessus et la question d’accompagner un autre enfant dans cette vie-là ne s’est plus posée pendant longtemps.
Plus tard, d’autres raisons sont venues s’ajouter au moulin de nos certitudes : la maison était juste assez pour nous quatre, notre voiture aurait été trop étroite, les billets d’avion pour retourner voir nos familles trop dispendieux, nos finances nous aurait obligés à réduire les loisirs que nous accordions alors à nos deux enfants. Autour de nous, des gens aussi se séparaient, nous contraignant à réaliser qu’être parent solo n’offrait pas la même souplesse que de l’être à deux, et qu’être seul face à deux enfants était potentiellement plus aisé que de l’être face à trois ou quatre.
D’autres perspectives, moins tangibles, s’invitèrent ensuite dans notre réflexion. Le rapport entre nos deux enfants, longtemps difficile, était établi mais fragile. Rien ne nous garantissait qu’un autre enfant ne viendrait pas tout bousculer. Au contraire même, je reste persuadée aujourd’hui que l’arrivée d’un troisième enfant proche en âge aurait bouleversé la paix difficilement gagnée, propulsant ma cadette dans une place du milieu jamais agréable et créant un déséquilibre des forces. C’est probablement ce dernier point qui a clos le chapitre.
Je sais que, parmi vous qui me lisez, certains se posent encore parfois la question. Il n’y a pas de bonnes réponses. Mais je pense qu’il y a beaucoup de bonnes raisons, en faveur de l’un ou de l’autre. Et que l’aspect rationnel, même s’il ne supplante pas l’instinct parental farouche d’enfanter, ne devrait jamais être mis de côté. Nos enfants ne sont pas des petits poissons hésitants que l’on met au monde dans un trou de sable, laissant à la nature le soin de les guider dans cette vie. Ils ont besoin de nous à toutes les étapes de leur enfance, et même de leur vie d’adulte. Ce n’est pas la même chose de s’occuper de trois enfants en bas âge ou de trois adolescents, ce n’est pas le même temps, ce n’est pas la même énergie mentale, ce n’est pas le même montant financier non plus.
Lorsque j’ai mis au monde ma première fille, je me suis sentie invincible. J’étais habitée par cette impression que tout était possible et que l’on “verrait bien”. Avec le temps, avec la fatigue, avec les joies mais aussi les difficultés, j’ai compris que tout était effectivement possible, mais que cela avait un coût, notamment mental, qui pouvait être important. Je n’ai plus aujourd’hui la naïveté de croire que je m’en serais sortie quoi qu’il arrive, juste parce que j’avais suffisamment d’amour à donner.
Les filles ont grandi et mes priorités ont évolué. Est-ce que je m’interroge parfois sur la vie que l’on aurait pu mener, avec deux enfants de plus ? Parfois. Mais je n’ai jamais eu de regrets. Seulement la certitude d’avoir fait des choix réfléchis à la lumière de ce que je découvrais de nous, de moi et de ce que la vie nous offrait. J’ignore tout des enfants supplémentaires que la vie aurait pu nous amener, mais je sais tout de ceux qu’elle m’a offert, et je me pince chaque jour devant la chance que j’ai.
Cette semaine, cela fait dix ans que ma fille et moi avons posé le pied sur le sol canadien. Si vous vous souvenez bien, mon conjoint était arrivé quelques jours avant pour trouver une voiture et aménager l’appartement prêté par un ami. C’est donc seule avec ma fille de six mois et mon chien de 40 kilos que j’ai pris l’avion. C’était déjà une aventure.
Rien ne me faisait vraiment peur. Ni le fait de mettre l’ensemble de nos vies dans deux grosses valises et quelques malles. Ni celui d’emmener mon bébé de l’autre côté de l’Atlantique. Ni même l’idée de tout recommencer. L’immigration m’a rendue invincible, convaincue que j’étais de faire le bon choix pour le bon endroit, et pour la vie que je voulais vivre.
Quelque temps après mon arrivée revenaient souvent dans les journaux les mots « Eldorado » et « paradis déchu », arguant que les Français repartaient déçus de ce qu’ils avaient cru être la possibilité d’une vie meilleure.
Pourtant aujourd’hui, lorsque ma fille aînée me demande pourquoi nous sommes partis, et pourquoi nous avons immigré ici, au Canada, c’est la raison que nous lui donnons. Pour une vie meilleure. Pour nous, mais pour elles aussi. Celle qui était et celle qui serait. Le monde change vite et ce ne sera peut-être pas vrai toujours. Quel sera l’Eldorado de demain ? Et est-il seulement le même pour tous ?
Mais, à notre échelle, nous nous sommes offerts cette vie meilleure. Nos perspectives de carrière ont bondi, notre niveau de vie aussi et notre quotidien est devenu plus serein. J’ai cessé d’avoir peur quand je sortais la nuit, j’ai croisé des hommes qui ne m’ont pas interpellée et j’ai élevé des filles sans arrière pensée. J’ai vieilli et je me suis mise à arpenter la nature, comme si elle était venue à moi soudainement. J’ai traversé un pays de plus de 5000 km.
Je suis devenue citoyenne de ce pays qui m’avait accueillie et c’est un sentiment incroyable. On ne connaît pas la chance que l’on a d’être citoyen d’un pays tant que l’on n’a pas vécu dans un endroit où l’on n’a pas les mêmes droits que les autres. Aujourd’hui, je suis franco-canadienne, et je trouve ça extraordinaire.
Je me suis imprégnée de la culture québécoise et canadienne, je suis devenue un mélange, un fourre-tout d’expressions, de plats et d’habitudes. Je suis devenue une girouette, ajoutant des heures, mélangeant des expressions et confondant des lieux.
Je suis un puzzle d’enfant. De ceux dont on aurait mélangé les pièces. Je suis deux boites qui n’ont rien à voir, une image de chatons potelés et le pan d’une ville sous la neige. Mon image à moi est de guingois, morcelée, incomplète, mais lorsqu’on recule un peu, on y découvre un autre paysage, une réalité nouvelle, un monde créé en marge des possibles. Je suis une boîte de 1042 pièces, 10 ans et +, et les morceaux gondolent depuis qu’un lapin gris et patachon y a fait ses dents. Je suis une immigrée française, devenue canadienne, dans mon entre-deux mondes depuis dix ans.