«Il est métis, d’origine indienne et homosexuel». Je me souviens encore des mots qui ont accompagné les portraits de Leo Varadkar, alors qu’il devenait le Premier Ministre de l’Irlande, puis, plus récemment, lorsqu’il a fait campagne en faveur d’une révision de l’amendement de la Constitution irlandaise qui limitait le recours à l’IVG.
Métis, d’origine indienne et homosexuel. Je sais que ces trois mots pour le décrire n’avaient pour but principal que de souligner la progression des mentalités au sein d’une société longtemps traditionnaliste. Je sais aussi que le bon titre fait le bon clic. Je me suis interrogée cependant sur l’ordre des mots, et leur utilité. Bon nombre de journaux ont laissé de côté le terme «d’origine indienne» (certains ont écrit simplement «indien», car au diable le fait que sa mère soit Irlandaise, qui peut bien être intéressé par la vérité?). Métis et homosexuel, cela suffit pour convaincre n’est-ce pas? Mais considérant le but, à savoir trancher dans le lard de la tradition… Sur quoi aiguiser son couteau (je file la métaphore) : la couleur de peau ou l’orientation sexuelle?
J’ai délaissé cette question pour m’en poser une autre, poussée par le nombre de descriptions qui me sautaient désormais aux yeux : «Mère de famille nombreuse, dirigeante d’entreprise et auteure», «Mère célibataire, musulmane voilée et femme politique»… Dans l’opinion publique, nous sommes mères, puis nous possédons un autre attribut plus ou moins intéressant (homosexuelle/d’une confession particulière/d’un handicap particulier/d’une taille ou d’un poids spécifique), puis nous sommes des professionnelles. Bref, dans mon cas, je serais décrite comme «Mère et professionnelle». Je suis suffisamment socialement typique pour évincer les autres caractéristiques, même si mon statut d’immigrée pourrait me valoir le terme de Française immigrée. Il se placerait dans ce cas après le terme mère, probablement. Je n’ai pas assez d’enfants pour être étiquetée, je les élève en couple, avec un homme, je suis blanche, je suis athée, j’affiche une taille et une corpulence basique (même si j’aimerais que mes jambes soient plus longues!).
Cependant, nous ne ressemblons en rien à ce que les mots qui nous décrivent semblent dire de nous. Avez-vous déjà fait l’exercice de vous décrire? Quel est le mot qui intervient en premier? Mère? Femme? Votre profession? Nous ne mettons jamais en premier ce qui nous semble anecdotique, même si cette caractéristique intervient en filigrane de toute notre existence : lectrice passionnée, botaniste avertie, végétarienne… Nous sommes des coches dans le tableau Excel de cette société, portant en nous les cases que nous n’avons pas su remplir : la maternité, la profession, l’argent parfois. Un lot de caractéristiques communes, dans lequel nos spécificités n’entrent pas. Ce sont pourtant ces spécificités qui font tenir le monde debout, chacun apportant ses connaissances, ses compétences, sa note à l’hymne et son instrument à l’orchestre, tout autant créateur qu’acteur.
Mais pour autant, je ne sais toujours pas. Qu’est-ce qui me définit? Suis-je une chose plus qu’une autre? J’existais bien avant de devenir une mère, mais leur présence ponctue de nombreux aspects de ma vie actuelle. J’ai été apprentie toute ma vie : j’ai appris à respirer, à me mouvoir. J’ai appris à émettre des sons, à en faire des mots. J’ai appris à lire, à écrire, à compter. J’ai appris chaque jour, et je continue. Je suis une apprentie, c’est définitif. Mais pour le reste?
Je suis apprentie, auteure, femme, conjointe, mère et professionnelle, lectrice passionnée, cuisinière gourmande et végétarienne, en mouvements. Ça vient d’un jet, c’est drôle. L’idée d’auteure intervient chez moi avant le reste, car tout passe par les mots. Je les apprends, je les écris, je les transmets, je les féconds, je les abrite (et ils m’habitent).
Surprenant exercice… À quoi ressemblerait-il pour vous?
-Lexie Swing-