
Friendship./ Photo Stefano Corso
J’ai 20 ans. Il me voit arriver les yeux rougis. Je cacherais bien ma peine mais un simple bonjour amical me fait monter les larmes aux yeux. Je tourne sur le parking, évitant les regards. Il ne veut pas vraiment savoir. On se côtoie sans se connaître. On est amis une fois par semaine quand le sport nous réunit. Il me demande si ça va, tu peux en parler je suis là. C’est de la politesse. C’est une porte ouverte par la bienséance. Je m’y engouffre. Dévoile ma peine amoureuse. Ris jaune de ma propre désillusion : « Il est parti, encore ».
A cet instant, mon nombril est le monde et ma rupture un orage qui déferle sans faillir sur ma journée. Il a un geste de compassion. J’y vois de la compréhension, de l’empathie. Je crois qu’il sait que la vie s’est arrêtée au moment où la porte a claqué.
Il a 7 ans de plus que moi. Il ne me dit pas que demain, le jour se lèvera. Il se retient de me seriner que ce n’était qu’une histoire sans importance. Il sait que ma vie ne s’arrête pas à ce type-là, à cet amour-là, aussi douloureux qu’il soit en cet instant. Il devine qu’un matin je mettrai moi-même le point final à cette histoire qui aura trop duré, et que je partirai sans me retourner. Il me souhaite de connaître un jour ce qu’il espère pour lui-même : l’amour infini, et infiniment solide, le bonheur d’avoir des enfants, la chance d’affronter la vie à plusieurs.
Nous sommes tous les témoins des errances des autres, à qui nous nous retenons souvent de dire le fond de notre pensée, convaincus – avec raison je crois – qu’il faut commettre ses propres erreurs pour avancer, et exister. J’ai épongé les larmes d’amis qui sont mariés aujourd’hui; j’ai soutenu des filles formidables prises dans le flot du parcours PMA et de la naissance qui ne vient pas, qui sont désormais des mamans accomplies; j’ai accompagné dans la santé comme dans la maladie, parce que c’était ainsi. On est garants de ces moments de doute, responsables d’affirmer avec conviction que des jours meilleurs s’annonceront bientôt. On accueille le désespoir d’un « ma vie est foutue » avec l’importance qu’elle demande et la légereté qu’elle suppose. Car bien sûr, la vie continue, même après que la porte a claqué. Et puis un jour on se retourne, on mesure le chemin parcouru, incrédules devant la grandeur des obstacles et la force dont on a fait preuve. Et on ne peut s’empêcher de rire : « Quand je pense que je te disais qu’il n’y avait plus d’espoir… Mets-moi des baffes la prochaine fois que je te dis ça ». Mais ni la prochaine, ni les suivantes, des baffes on ne recevra. Car les témoins sont là pour ça, être épaule et espoir, empathie muette et sourire rassurant. Jusqu’au prochain tremblement.
-Lexie Swing-
Un vrai plaisir de te lire!
Merci :)
Ton texte est splendide Lexie. Oui nous sommes appelés à être ces témoins de tant de combats, de chagrins et de joies. Nous célébrons ou nous consolons. Tu le dis bien, nous sommes là comme d’autres ont été ou sont là pour nous.
Très joliment exprimé !
C’est beau. Et sage en plus. On apprend aussi pas mal de choses en étant témoin des hauts et bas des autres, d’ailleurs.