Il partait vers le Nord

Pointe Rouge./ Photo Marcovdz

Pointe Rouge./ Photo Marcovdz

Nous marchons au même pas. Ça lui est venu sur un coup de tête, sur un coup de grâce. Quand elle est partie, encore une fois. C’était la troisième, ou la cinquième, je ne sais plus.  Elle a déposé ses valises dans l’entrée, lui a dit que ça ne pouvait plus durer. Il l’a regardée, le coeur plein de soupirs, se demandant si ce bal incessant cesserait un jour. Elle a refermé la porte.

Je ne sais pas si c’est le bois de la porte qui lui paraissait plus brillant dans le soleil du matin. Ou bien la manière dont la poignée, à cause du verrou mal enclenché, semblait un peu de guingois, un peu trop penchée. Mais il s’est dit que c’était lui, cette porte-là. Brillante avec le coeur de guingois. Il méritait mieux que ça.

Alors il est parti.

On s’est rencontré au bord de l’eau. Non loin de Marseille, dans une crique abritée, là où la mer vient lécher les galets au point de les rendre glissants et dangereux. Il a glissé. Il s’est mis à saigner. J’en avais sur moi. Il s’est excusé. M’a demandé de l’accompagner dans son périple.

Il partait vers le Nord, ou vers l’Ouest, il ne savait plus bien. Loin. C’était le mot qu’il prononçait sans cesse. Viens, partons loin.

Et nous voici sur les routes. Il y fait chaud. Tellement, que je crois me consumer. Je me sens brûlant. À travers ses vêtements, sa peau semble brûlante elle aussi. Ses doigts, tout contre moi, abandonnent leur saveur de sel à travers de la sueur qui pourrait tout aussi bien être des larmes tant sa tristesse est palpable.

Il parle sans discontinuer. Je jurerais qu’il s’adresse à moi, même si je crois bien qu’il parle tout seul. Sa voix a adopté un ton monocorde, ponctué par de rares exclamations de rage. Mais tandis que la journée avance, les points d’exclamation s’échappent, bientôt remplacés par des points de suspension.

« C’était la dernière fois! La porte est close! Je mérite mieux que son mépris, mieux que ses aller-retours incessants… »

Ce qui n’était que la voix du coeur devient peu à peu celle de la raison. Malgré la fatigue, son pas semble alors plus appuyé, sa démarche plus sûre. Je ne pourrais en jurer, mais je crois bien que son corps se redresse à mesure qu’il prend conscience de sa toute nouvelle force, et de son indépendance retrouvée.

« Je vais partir m’installer en campagne, dans l’arrière-pays. Avec quelques grillons et l’odeur étourdissante de la lavande fraîchement cueillie… »

Il rêve à voix haute à présent. Inconscient du jour qui s’achève et de la lumière qui décline à l’horizon.

Soudain, ses pas s’arrêtent. Nous sommes face à la mer. Avons-nous fait une boucle ? Je crois reconnaître la crique d’où nous sommes partis. Il s’assied. Contemple, apaisé, l’eau que remue à peine quelques bribes de vent venues de l’Ouest.

« C’est un nouveau départ », jure-t-il, avant de se laisser aller dans une vague prière destiné au Dieu de la mer et de la destinée des âmes blessées. Il improvise, indifférent au ridicule, définitivement prêt à recommencer une vie meilleure.

Et puis il lève la main. « Merci de m’avoir accompagné, murmure-t-il. Nos chemins se séparent ici. » Et dans un long mouvement du bras, geste précis censé lui porter chance, il me jette dans la mer limpide. J’y fais trois ricochets. Je l’entends s’exclamer. Je l’entends s’applaudir.

Et tandis qu’il conjure son mauvais sort, je sombre sous la surface. Rejoignant mes pairs. D’autres galets ronds et lisses, dangereux et glissants. Seules me distinguent les gouttes de sang qui brillent à ma surface et qui, à la faveur de ma porosité, ont déjà atteint mon coeur de pierre.

———————————————————————————————————————————–

Ce texte a été écrit pour les un an des « Jolies Plumes ». Le thème était « Quête d’identité – Votre personnage va vivre une expérience qui va révéler un aspect de sa personnalité, de son identité qu’il ne connaissait pas lui-même. Quelle est cette expérience ? La vivra-t-il seul, accompagné ? Que va-t-elle changer dans sa vie ? A vous de nous raconter ! »

———————————————————————————————————————————–

Les autres participants : Virée dans l’espaceHello it’s Alexandra – Goldfish Gang Blog – Fil culturel – Ronde2nuit –  L’atmosphérique Marie Kléber – et beaucoup d’autres à venir!

 

7 réflexions sur “Il partait vers le Nord

  1. Pingback: M comme Marianne… | GoldfishGangBlog

  2. C’est vraiment très bien écrit Lexie. J’aime la façon dont tu dissèques les émotions de ton personnage. Et la chute, parfait, la chute qui fait une bonne nouvelle.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s