Immigration au Canada : ce qu’on n’avait pas imaginé

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En voyage aux USA, tout près./ Photo DR Lexie Swing

Immigrer, c’est se préparer à une autre culture, à un autre mode de vie. Parfois très différent, comme dans le cas de H. à Dakar. Mais malgré toute la préparation psychologique possible, il y a des choses auxquelles on ne s’attend pas, des détails qui nous ont échappés. En immigrant au Canada, je n’avais pas pensé à:

La neige. Je connais la neige. J’allais souvent au ski enfant. Et puis entre Clermont-Ferrand et Saint-Etienne, à l’approche des bois noirs, elle est souvent très présente au coeur de l’hiver. Je connais la neige. On l’attend, on trépigne, elle tombe, on court dedans. Et puis le lendemain on se lève et elle a fondu. Ma réalité canadienne : s’il arrive que la neige de décembre fonde avec un retour ponctuel de la chaleur aux alentours de Noël, la neige de janvier, elle, tient bien. Elle n’est pas juste en montagne, pas juste en campagne. Elle tombe, elle reste, et elle est partout. C’est comme être en station pendant trois mois, chaussé de ses moon-boots et de son blouson de ski. D’ailleurs il n’est pas rare que le forfait pendouille de la poche de poitrine. Personnellement, j’adore (le couic-couic de la neige sous les pieds, vous vous souvenez?).

Le médecin. En France, quand je suis malade, j’appelle Patrick (Patrick, c’est mon médecin) et il me dit de passer dans la journée. Au pire, si c’est la 151e cystite de l’année, il laisse l’ordonnance sur la tablette à l’entrée. Et si c’est dimanche, le médecin d’astreinte au système de répartition de mon département envoie directement l’ordonnance à la pharmacie de garde. Ma réalité canadienne : Nous avons eu la chance de trouver un médecin de famille (un médecin traitant) et c’est presque mission impossible. Quand je suis malade je passe au sans rendez-vous le matin et on m’indique à quelle heure je vais pouvoir revenir. Ou bien j’y vais avec mon ordinateur et je travaille de là-bas. Quand les filles sont malades, j’attends d’être bien bien sûre que ça ne va pas passer tout seul, je ne m’amuse pas à aller voir leur pédiatre juste pour le plaisir de faire « constater » leur nouveau rhume. Si je veux voir mon médecin de famille, c’est rdv le mois prochain. Pour l’angine on repassera, par contre pour le suivi c’est bien. Vivre au Canada apprend donc à relativiser ses menus problèmes et éviter de plomber le système de santé en toquant chez le médecin à la moindre interférence gastrique. Ce n’est pas forcément toujours un système rassurant, c’est certain. Mais au moins il responsabilise.

Le maudit Français. En France, on se critique beaucoup entre Français. On dit que les autres Français sont intolérants, râleurs, on a un peu honte en voyage quand on voit un Français faire une crise à la réception d’un hôtel. Mais quand il est question d’unité nationale on répond présents. Parce qu’il s’agit de notre pays, de nos origines. Ensuite on se remet à critiquer. Ma réalité canadienne : il y a deux types majeurs de Français immigrants au Canada, celui qui vient vivre à l’étranger et celui qui vient en France. Oui vous avez bien lu. Certains de nos compatriotes arrivent au Canada en pensant arriver en France. Après tout on parle français, on mange des patates et surtout il y a fuuuull de Français dans certains coins de la Province. Ils ne sont pas prêts pantoute à découvrir que le Québec, ce n’est pas la France. Ils déplorent l’usage des mots, trouvent la grammaire fantaisiste, et les relations entre humains difficiles. Faque, ils font ce que tout bon Français de souche fait dans une telle situation : ils critiquent. Ouvertement. Ça ne plaît pas aux Québécois, qui se font soupçonneux lorsqu’ils nous voient débarquer avec nos Pajar hors de prix et notre accent pointilleux. Alors même si tu arrives la fleur au fusil avec ton drapeau blanc et ta volonté de t’intégrer, tu tomberas toujours sur des Québécois pas ravis du tout de te voir là. Juste parce que tu es Français? Juste parce que tu es Français… Vois-tu comme, en France, les Marocains intégrés ou tentant de l’être paient pour le seul Marocain qui a décidé que la France, c’était correct de la considérer comme le Maroc vu qu’on y parle français de même et que toute la gang du bled est déjà là et qu’il peut donc ruer dans les brancards et faire des pieds de nez aux règles et lois françaises ? Et ben c’est pareil. Il arrive que tu doives ramer grave pour te faire accepter, et pour certains tu resteras toujours le petit Français avec ton pain blanc, ton béret et tes critiques malvenues sur la grammaire malmenée.

La carte de crédit. En France, j’avais une carte de crédit. Depuis mes 16 ans. 16 ans, t’imagines? J’avais un découvert autorisé, et passé ce découvert je ne pouvais plus utiliser un cent de plus. Même si je me retrouvais en rade au sommet de l’Himalaya avec comme seule issue un pot-de-vin à refiler au chef des sherpas. Lorsque je l’utilisais, ça faisait baisser le solde de mon compte immédiatement. Et lorsque je voulais retirer de l’argent au distributeur, j’utilisais cette même carte. Ma réalité canadienne : Ma mère, dont la finance est le métier, m’avait expliqué que ce n’était pas pareil sur le continent nord-américain. Là-bas on avait des cartes de CREDIT. Ouais mais moi aussi j’avais une carte de crédit, et puis quoi? Et puis elle avait raison. Lorsque nous sommes arrivés au Québec, nous avons ouvert un compte et reçu en retour une carte de débit et une carte de crédit avec un plafond de 1000 dollars. Lorsque nous retirons de l’argent, nous utilisons la carte de débit. Nous pouvons également payer avec la carte de débit mais l’achat est prélevé immédiatement sur notre compte. La plupart du temps, nous utilisons la carte de crédit. Visa, Mastercard, même chose que partout. Ce crédit, il faut le rembourser. Chaque semaine, nous évaluons les dépenses réalisées avec la carte de crédit et versons la somme correspondante depuis notre compte pour rembourser le solde. Au fur et à mesure du temps passé au Québec, l’organisme de crédit propose d’augmenter la limite autorisée. Vous pouvez donc avoir droit à, disons, 10 000 dollars. Et là ça peut poser problème. 10 000 dollars, c’est idéal quand on veut payer des billets d’avions pour aller au bout du monde. Mais il faut les rembourser, et vite si possible, sous peine de devoir payer des frais importants. Beaucoup de magasins proposent leur propre système de crédit. Et c’est dans la culture du pays que de passer par ces crédits pour s’offrir des choses. Télévisions à crédit, ordinateurs à crédit, plancher et peinture à crédit, etc. Comme ce n’est pas dans notre culture d’origine de tout acheter à crédit, les Français s’en sortent plutôt bien dans ce système, évitant d’acheter des choses qu’ils savent ne pas pouvoir rembourser immédiatement. Mais qu’importe les origines, tout le monde peut-être envouté par la poule aux oeufs d’or. Et se retrouver englouti dans une spirale infernale de surendettement. Sans un organisme comme la CAF pour venir en aide.

Les mots. En France, on comprend globalement quand les autres nous parlent. Même les patois régionaux laissent la place au français universel de France la plupart du temps. Bien sûr, certaines expressions surprennent parfois. Comme quand je dis « boseigne » à quelqu’un qui ne va pas bien, ou qu’on parle d’aller à la vogue. Mais, en voyant le visage de l’interlocuteur, on se reprend vite car on a conscience d’utiliser un mot de patois. Ma réalité canadienne : Le français du Québec ne ressemble pas vraiment au français de France. Et ce n’est pas du patois, c’est la langue de la province (j’insiste là-dessus). La structure de la phrase est la même, ils se ressemblent pas mal à l’écrit mais à l’oral c’est une autre affaire. Outre le fait que je ne comprenais pas du tout lorsqu’on me parlait au départ, il y a encore aujourd’hui des mots qui me manquent. Quand je fais une recherche pour un produit en particulier dans google, il m’arrive de le taper en anglais, faute de trouver la correspondance en français du Québec. Les articles de puériculture en sont un bon exemple : sac à couches (le sac où on met les affaires de bébé), bassinette (berceau), bas (chaussettes), mitaines (gants, avec des doigts), formule (lait infantile), drap contour (drap housse), etc. Maintenant j’ai deux fois plus de façons de dire les choses, et ça me plaît beaucoup (et je peux faire tourner en bourrique mes amis en France). Il y a aussi des utilisations auxquelles on ne se fait pas, comme pour moi « bouffe » et « cochon ». Bouffe est vraiment usuel. Il désigne la nourriture, mais pas vraiment au sens familier du terme. Il est utilisé dans les publicités, ou pour désigner le « food-court » (l’endroit où on peut trouver à manger) dans un centre commercial par exemple. Et quand on dit qu’un plat est cochon, c’est pour signifier qu’il était bon et copieux. « C’est cochon » entendrez-vous parfois s’exclamer votre ami au restaurant. C’est drôle, et ça me déconcerte toujours!

Les mains tendues. En France, même si la solidarité existe, on pratique pas mal le chacun pour soi. File d’attente, places assises, jour de tempête… C’est souvent d’abord pour soi et ensuite pour les autres. Le métro arrive, je dégomme Mamie Gertrude sur les rails et je m’engouffre dans la rame. Tant pis pour la blonde chargée comme une mule avec ses deux marmots, elle n’avait qu’à pas en pondre deux à la fois. Non mais. Ma réalité canadienne : j’en ai souvent parlé, c’est mon sujet préféré, mais ici il y a une vraie culture de la main tendue. Je suis trop chargée avec bébé Swing à la garderie? Un autre parent m’habille ma grande fille. Je suis trop chargée avec bébé Swing à l’épicerie? Un employé emballe mes courses et les met dans ma voiture. Je suis trop chargée avec bébé Swing dans le bus ou le métro? Deux personnes, un homme ou une femme, parfois un préado (mais un vieux non, les vieux sont partout les mêmes) jaillissent de leur siège pour que je m’assoie. Je suis trop chargée – et trempée – sous la pluie avec bébé Swing? Une famille en voiture s’arrête pour me demander si j’habite loin et si j’ai besoin d’un lift (être ramenée chez moi). Personne ne se dit que je n’ai que ce que je mérite, et que je n’avais qu’à pas pondre ma marmotte dans un pays où il faut – 25 l’hiver. Les gens sont aidants. Les gens sont gentils. Et même je dirais : les gens ne se posent pas la question. Il m’a suffi de voir des adolescentes me proposer leur assistance chaque jour lorsque je prenais le métro à côté d’un lycée de filles pour savoir que c’était dans la culture, dans l’éducation. Qu’importe qu’elles soient premières de la classe, polies et assidues ou jemenfoutistes et rebelles; j’avais l’air d’avoir besoin d’aide, elles me proposaient donc leur aide. C’est tout.

C’est tout, et c’est beau aussi. Et c’est pour ça que c’est le pays où j’ai choisi… de rester.

-Lexie Swing-

 

19 réflexions sur “Immigration au Canada : ce qu’on n’avait pas imaginé

  1. Merci pour ce parallèle entre ces deux pays si différents! Le dernier point que tu abordes me fait craquer, j’en rêve!
    J’ai vécu avec une Canadienne à Lyon, en se baladant toutes les deux en villes, j’étais sidérée de la voir aller systématiquement vers les touristes perdus, carte à la main pour leurs proposer son aide!
    Elle est retournée vivre à Toronto… Apres 10 ans passés en France!
    Depuis combien de temps vivez vous là bas ?

  2. Oh pas si différent que ça parfois à te lire… même à dakar ! parce qu’on y parle français aussi, avec quelques mots différents auxquels il faut se faire, parce qu’il y a aussi beaucoup de français, dont certains qui croient qu’ils sont venus s’installer dans un autre département français !! parce que la chaleur ,on pense connaître mais quand ça dure jusqu’en novembre, non, vraiment, c’est différent !! Parce que tu trouveras toujours quelqu’un pour t’aider… Bon, par contre ici faire crédit ça veut surtout dire « donner et ne plus revoir son argent !! » donc le système des carte de crédit ne serait pas très réaliste ;-)

    • C’est un peu ce que je trouve aussi, ma vision des choses est sûrement tronquée mais je trouve que dans certains coins en France on te contournerait plutôt que de t’aider à te relever.

  3. Oh oui quelle joie ces petites surprises, de notre cote, ca ne nous donne pas envie de…rester. Le temps qu’il faudra mais pas 10 ans en tout cas. Mais le canada offre de vrais bonus je trouve, la main tendue c’est génial! Je suis triste que mon mari n’ait pas les bonnes licences pour exercer la bas!!

  4. En quinze jours de vacances au Québec l’année dernière, nous avons pu constater certains points. A peine arrivé sur le sol canadien, tu discutes avec quelqu’un comme si tu le connaissais. Nous avons rigolé avec une fille qui avait un bar sur le Plateau car elle s’étonnait que nous soyons français car nous étions très souriants et on discutait bien avec elle… Ce séjour a confirmé notre envie de venir s’installer au Québec. On a hâte de découvrir les autres points :)

  5. Super ce billet. J’y retrouve mon quotidien avec mon « maudit » Français… En plus, j’ai le deuxième modèle « celui qui vient en France » ;-) On croit à tort que le Québec et la France sont deux cultures similaires, et pourtant il n’en est rien. Il faut du temps à un Québécois et à un Français pour se comprendre. Il est vrai que plusieurs mots n’ont pas du tout la même signification – comme « bouffe » et « cochon » -, ce qui crée de très grandes confusions « gênantes » quelques fois… On finit tout même par y arriver avec beaucoup beaucoup d’amour.

    • Je suis bien d’accord, les deux cultures n’ont rien à voir! Ce n’est pas pour ça qu’on ne peut pas se comprendre et s’entendre mais pour cela il faut s’ouvrir et s’intéresser à l’autre et non partir du postulat qu’on sait « tout » juste parce qu’on parle le même langage.

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