Le temps de l’insouciance

TrinquerBecky G. Vous connaissez? À la faveur d’une lecture aléatoire de clips sur Youtube, je tombe sur un air que je connais et un rythme entraînant. Une chanson entendue à la radio, captée entre deux annonces dans les grands magasins. Curieuse, j’affiche l’onglet de ma vidéo. Et je déconfis.

Elle a douze ans. Environ. (19 en fait, j’ai vérifié).

Je chantonne un air scandé par un bébé à l’aube de sa vie. Une minette en chandail à bedaine qui mime le grand amour sur fond de piscine et de fête alcoolisée. Pis ça m’agace.

Je regarde la vidéo et j’envie un peu cette insouciance. Je me demande si on en a profité. Profité comme ça. Si on a suffisamment pris la mesure de ce que cela signifiait, grandir, vieillir. On voulait déjà le grand amour, les responsabilités, le premier chèque de paie, la première facture. On débattait politique avec des arguments nés dans la bouche de nos parents, en versant dans nos gorges suffisamment des cocktails de pisang ambon ou de manzana pour oublier qu’on avait pas encore 20 ans. On riait d’avoir encore le temps, autant de temps.

30 ans, ce n’est pas assez grand pour observer la vingtaine avec sérénité. On la regarde avec beaucoup de suffisance, un poil de condescendance et certainement une grosse bâche d’envie. On la regarde avec incrédulité aussi, en découvrant que de bons acteurs de films, les chanteurs en vue du moment et les sportifs les plus médaillés, sont désormais nés bien après nous.

Et puis on se souvient, de la tristesse en filigrane, de l’incompréhension, des hormones qui jouent les troubles-fêtes et des relations sociales difficiles. On se souvient des amours vaines, des amitiés qui s’éparpillent, des trahisons et de l’angoisse latente de finir seul. Pas ses jours, mais sa récréation ou son repas de midi. Et on garde de ces années une vague appréhension à l’idée de dîner seul au restaurant entre deux rendez-vous.

On regarde alors avec plus d’attention. Les corps au bord des piscines et les verres de cocktails qui s’entrechoquent. Et l’on entend que certains rires sonnent faux, que certaines postures sont étudiées, que l’acceptation de soi viendra plus tard.

Et que l’insouciance, quelque part, c’est nous qui l’avons. L’insouciance d’être nous-mêmes. Nous ne nous devons qu’à nous-mêmes, nous n’avons plus de compte à rendre à une mère qui attend le sommeil fébrile que l’on passe la porte de la maison ou à un père à l’affût de bonnes notes ou de bons résultats. Nous savons mieux ce que nous valons. Nos corps sont épuisés mais nous les connaissons par coeur. Nous disons plus haut et plus fort ce que nous pensons. Nous avons appris à nous en foutre, à laisser tomber, à accepter, à compter sur nous et sur nous uniquement. Nous vivons toujours la peur au ventre. Nous sommes désormais ces parents qui attendent l’oreille aux aguets toute la nuit durant. Ces adultes qui craignent pour leur emploi, leurs impôts ou les dégâts dans leur maison.

Mais lorsque nos verres s’entrechoquent, ils le font sans arrière-pensée. Ils n’ont plus rien à prouver. Ils n’ont plus qu’à nous faire profiter.

Et ce n’est plus du pisang ambon dégueulasse.

-Lexie Swing-

 

 

13 réflexions sur “Le temps de l’insouciance

  1. Ca doit etre la journee des bilans aujourd’hui ;) Jen e connaissait pas cette chanson, car avec la trentaine je suis devenue « has been! ». c’est fou c’est vrai de voir que bcp d’olympien sont plus jeunes que moi!
    Mais tu as raison, c’est tellement mieux de se connaitre et d’avoir confiance en nous meme :)

  2. Il m’a fait des frissons ton texte… Peut-être parce que j’approche de la trentaine. En tout cas c’est clair que ces dernières années m’ont permis d’apprendre à être moi, et d’apprendre qui était moi. :-)

  3. En fait, je ne me suis jamais souciée de mon âge. Je pense qu’on peut réussir à avoir des parenthèses d’insouciance tout en gérant une vie d’adulte… enfin j’espère. J’y travaille :-) Mais, je n’ai jamais vraiment eu l’impression d’avoir eu une période où j’avais vraiment la tête vide et le coeur à faire n’importe quoi. Chui chiante et j’étais vieille avant l’heure…?!

  4. Il résonne ton article…Peut-être parce que je viens juste de fêter mes 30 ans, et que ça m’a fait faire une sorte de bilan. Même si le grand cap que j’ai passé, avant même d’être devenue trentenaire, c’est d’être devenue Maman..

    (Juste pour info, qui n’a absolument rien à voir avec ton article, mais il y a une vente Valrhona sur VP ce soir, elle ouvre à 19h chez nous)

  5. J’avais l’impression que cette insouciance était vraie à 20 ans mais comme tu le dis elle était trompeuse – trop de choses à se prouver, à prouver aux autres. Je suis à mi-chemin entre les 30 et les 40, il me semble que les batailles gagnées me libèrent chaque jour davantage et que je m’affirme plus aussi, que le regard des autres pèse de moins en moins lourd.
    Comme quoi il peut aussi être bon de vieillir. Chaque âge ses plaisirs!
    https://latmospherique.wordpress.com

  6. Je pense qu’il y a toujours une forme de nostalgie du passé et surtout comme tu le soulignes de la vingtaine… Je crois que d’une part le temps à gommé la réalité (on oublie les moments où on a galéré) et d’autre part la société valorise des parcours jeunes (mannequins, sportifs, acteurs…) c’est le jeunisme à fond ce qui pour des trentenaires peut paraître déprimant (mince j’ai raté le coche je ne serais jamais nageuse pro ou actrice ou je ne sais quoi!) mais si on y regarde bien, ces parcours ne sont que des « exemples » et la réalité est toute autre : les « vrais » vingtenaires galèrent pour financer leurs études, payer leur logement, quitter le domicile parental, se payer une bagnole, sans parler de tous les oubliés de la société qui ne parviennent même pas à y entrer. Alors oui ce clip festif fait rêver, il me donnerait presque envie d’avoir 20 ans à nouveau mais mes 20 ans n’auraient même pas ce décor là… Même s’ils étaient bien sympas aussi ! Et j’aime me dire comme toi que nous avons grandi et nous sentons bien dans nos vies, même si j’ai aimé ces périodes aussi :-)

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