Le coup de fil de la garderie

Vendredi après-midi. L’heure est à la détente, les courriels ont été mis à jour huit fois et les collègues ont pris d’assaut la machine à café sans que personne ne daigne regagner son poste après les trois minutes d’ordinaire small talk. Ça fait dix fois que j’entends qu’il fera -15 samedi – la chance d’avoir un bureau si près de la salle des repas – et personne ne semble être à court d’adjectifs pour qualifier cette température peu ordinaire alors même que chacun avait remisé son manteau après le 11 degrés du début de semaine.

De notre côté, la soirée s’annonce douce : la pâte à pizza est au frais, les légumes ne demandent qu’à être coupés et Netflix a récemment mis à jour sa banque de films. Tempête se gratte les oreilles depuis quelques jours et l’on s’interroge sur la pertinence de l’amener ou non chez le médecin samedi matin, mais rien que de très ordinaire finalement …

Il est 15h33 et le téléphone sonne. Je n’ai pas le temps de prendre l’appel mais c’est la garderie. Ce n’est jamais bon que la garderie appelle en après-midi. Ce n’est jamais bon que la garderie appelle tout court. Je rappelle mais le téléphone sonne occupé. Le numéro suivant, sur la liste des personnes à contacter, c’est celui du papa. J’enfile mon manteau et préviens que je pars. Je ne sais pas ce que c’est mais c’est forcément urgent. La garderie appelle rarement pour parler du temps, elle.

Dans l’escalator, le téléphone sonne de nouveau. Mr Swing a pris l’appel, il n’est pas inquiet, le pied de Miss Swing est seulement un peu enflé.
J’enrage un peu d’être partie si vite, pour un coup ou une foulure peut être, mais je n’ai guère le temps de m’interroger plus : le train démarre.

Quand j’arrive à la garderie, ma grande fille est debout, le pied droit nu. Elle claudique mais à peine. Le pied est gonflé, un peu dur, un peu bleu. Mais juste un peu.

Je la porte sur une chaise, l’habille, la laisse. Au signal, l’éducatrice de la cadette ouvre la porte du fauve, qui s’ébroue comme un petit cheval en courant pour ne pas mettre son manteau. Une Miss Swing sous le bras, une Tempête par la main – pas exactement le schéma habituel – nous rejoignons la voiture.

En attendant à la gare le train de l’amoureux, je me contorsionne depuis le siège avant en levant plus haut le pantalon de ma belle assise dans mon dos. Tandis que je la manipule, elle déclare soudain : « mon autre jambe pique maman ». Alors je soulève la jambe du pantalon. Dix tâches. Peut être plus. Je n’ose pas compter. Je bloque ma respiration. Déclare d’une voix que je veux enjouée qu’on va attendre Papa.

A la maison, on déshabille l’enfant et on compte les points. Un pour le pied enflé, deux pour l’hématome, cinq pour les tâches qui s’étendent de minute en minute. Dix sur dix pour l’angoisse.

Rapidement, la question des urgences n’est plus un « si » mais un « où ». La balance penche en faveur du Children’s. Neuf, dédié aux enfants, qualifié pour reconnaître les maladies purement infantiles, parmi les plus étranges. Je tremble beaucoup alors Papa se dévoue. En embrassant ma toute petite de 4 ans, je la regarde droit dans les yeux en m’imprégnant de la profondeur des siens. Je lui dis que tout va aller pour le mieux en faisant taire ma trouille qui me dit « et si tu te trompais? »

C’est la tempête dehors et ma cadette n’y est pour rien. Samedi sera bientôt là, la machine à café avait raison et le baromètre flirte déjà avec les -10. Coincé devant la pont Champlain, l’amoureux angoisse. A l’arrière, notre fille répond tout doucement, si doucement, qu’il se demande même parfois si elle répond vraiment.

Stationnement au Children’s, 20 dollars en moins sur le compte en banque – après une heure et demi, mais reste-t-on vraiment moins d’une heure et demi aux urgences ? Le sas, le premier guichet, le bracelet de l’hôpital – y compris pour le Loup – le deuxième guichet, le pré-triage. Rappel au pré triage, on l’envoie en zone jaune.

Ce sont les mots qui s’affichent de mon côté, sur le texto qu’il parvient à m’envoyer. Je suis déjà allée au Children’s, je suis toujours pognée dans la zone verte. Le jaune, c’est la chambre directe. Un monde jusqu’ici inconnu (sauf la fois où je me suis trompée dans la dose d’un médicament alors qu’elle était bébé). Aux urgences, ce soir-là, il est le seul papa « tout seul ».

De mon côté, je capote. Ces boutons, tous ces boutons. Une araignée ? Une colonie de fourmis? Les bibittes ont le don de me rendre dingue. Armée de l’aspirateur, et de javel, je passe au peigne fin la maison, et nettoie à fond sa chambre, sans succès.

Méningite, maladie de Lyme, l’interne égrène les possibilités et raye ses conclusions. Maladie de Schoenlein-Henoch. Ding ding ding, nous avons un gagnant.

Quelques examens plus tard et Schoenlein est désigné grand vainqueur. Entre temps, les membres inférieurs de Miss Swing ont viré au pourpre. Ça tombe bien, purpura rumathoide, c’est son deuxième nom, à cette maladie. Une réaction auto-immune du corps à la suite d’une maladie type otite, d’un vaccin, d’une prise d’antibiotiques.

A la maison, le cellulaire vibre au gré des amis prévenus qui s’inquiètent. A quelques rues de là, une amie maman me propose de poser Tempête. Une heure plus tard, elle me promet finalement de venir la garder à la maison si je décide de rejoindre le Children’s sur un coup de tête. Un soutien précieux, à cette heure et en ce lieu, quand la famille est à 6000 km de là et que l’angoisse nous étreint.

Un pipi dans le pot (et sur les doigts de Papa) et une prise de sang plus tard, Miss Swing s’est endormie. Il est plus de minuit. Ibuprofène sera son seul traitement, ainsi qu’une surveillance des reins et des selles pendant quelques mois.

Le lendemain, elle marche à peine. Quelques heures plus tard, elle claudique jusqu’au canapé, puis annonce après le dîner (de midi) son envie d’aller se promener. Elle aura gagné un chocolat chaud en tête à tête et un Rocky dont elle est ravie. Et son père toute ma fierté, pour être un roc aussi fort et avoir gardé le cap avec elle toute la nuit, même avec un début de grippe.

Je ne verrais plus jamais les vendredis soirs de la même façon…

Et vous, avez-vous passé un bon week end?

-Lexie Swing-

 

Credit photo : Lexie Swing

14 réflexions sur “Le coup de fil de la garderie

  1. Oh purée…

    Rien qu’en lisant le titre de ton article, mon coeur s’est arrêté deux secondes. Téléphone et garderie/école, les deux mots qu’on ne veut pas accoler, pas parce qu’on veut avoir la paix loin des bambins, mais parce que subsiste toujours une vague angoisse quand on ne les a pas sous les yeux, même si ça fait des mois qu’on ne les garde plus dans nos bras 24/24, même si ça fait des mois qu’ils ont quitté notre ventre…

    Bref, j’imagine l’angoisse, la course.

    Je n’ai absolument jamais entendu de la maladie de Schoenlein-Henoch. J’ai regardé sur le Web (chose qu’en général j’évite de faire…!) et les photos sont impressionnantes. Tu connaissais?

    Bon, je comprends qu’elle va mieux, c’est l’essentiel. Et toi, remise de tes émotions, un peu?

  2. On n’aime jamais ça un appel du CPE. J’en ai eu un jeudi soir, j’ai filé pareil à 15h55. Rien de grave. Moi, ils ont le don de me faire sursauter à chaque fois, parce qu’en tant que maman élue au CA du CPE, je reçois aussi des appels pour les réunions et dossiers, sauf qu’à chaque fois, je fais le saut en pensant que c’est ma fille, alors qu’une fois sur 10, c’est pour les rencontres… sauf jeudi soir. Bon repos à ta cadette.

  3. Je ne connaissais pas la maladie de Schoenlein-Henoch. Bravo a vous deux d’avoir si bien gerer, et j’espere qu’elle se remettra rapidement en tous cas!
    Et pour le prix des parking aux hopitaux, c’est vraiment une chose qui me fait raler. Tout le monde n’a pas les moyens de payer les prix exhorbitants, alors que quand il y a une urgence ou une hospitalisation de longue duree ben on a pas le choix….
    Grosse hug a toi et ta famille

    • Oui j’trouve ça assez rageant. J’imagine que c’est pour être certain que d’autres gens que les gens qui viennent à l’hôpital ne se garent là mais tu devrais pouvoir payer moins cher avec une attestation de présence ou qq chose du genre

      • Oui, quand ton gamin est aux urgences (ou quand comme moi tu rends visite a ton frere tous les jours) tu devrais pouvoir ne pas avoir a s’inquieter de combien sa coute. J’espere que la petite malade se remet bien et vitE?

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