Je suis au Markina, un café chic de Saint-Bruno. Je suis seule. Je prends mon temps. J’ai pris ma journée pour me remettre des flots incessants de travail et de pression, de routine et de culpabilité, d’absence et d’insomnies. Je suis seule, assise au bord des fenêtres. L’angle du café donne sur un croisement large, deux rues principales de la ville s’y étreignent pour mieux se laisser ensuite. Horizontalité des routines, verticalité des espoirs, nourris ou déçus, elles sont ces routes que nous empruntons tous ici.
J’habite à quelques rues de là. J’y étais encore il y a quelques jours. Je gravissais la pente enneigée, soufflant dans la nuit froide du matin. Est-ce que vous me voyez ? J’ai les mains engourdies et les poils du capuchon qui me cachent la vue. Je progresse à l’aveugle. Et puis soudain je cours en glissant un peu car le 91 file vers moi, de l’autre côté du croisement, et que je crains de manquer son arrêt.
J’y étais il y a une semaine, juste un peu en dessous. J’encourageais mes filles à marcher dans la neige crissante, promettant de faire coucou aux chatons de l’animalerie et de passer devant le magasin de jouets. Évoquant du pain chaud. Poussant finalement la porte de la pharmacie.
J’y étais il y a quelques mois, en tenue plus légère. Riant avec mes parents ou mes beaux-parents, un café chaud au creux de la main, le chariot zigzaguant sur le trottoir. Octobre jouait à l’été et bientôt nous irions pour une toute dernière fois aux jeux d’eau du parc, en contrebas.
Juillet nous avait déjà vu passer, pédalant sur nos vélos, remontant vers le lac à la recherche de fraîcheur et de sentiers cyclistes.
J’y étais il y a trois ans, déambulant sur le trottoir, le pas plus pesant et le ventre habité. J’y ai pris des marches pour me tenir en forme, des marches pour déclencher son arrivée, et plus tard des marches en tête à tête, mon pas vaillant et son corps chaud dans le porte bébé.
Je l’ai traversé à l’automne 2014. Et je suis tombée sous son charme. Roulant à travers la ville, nous nous sommes laissés porter par la certitude que ce serait chez nous. Il y a eu cette évidence, c’est le premier de nos souvenirs.
Et au fil des années la mémoire se consolide et les moments s’empilent. Sous la neige, sous le soleil, sous la pluie battante, heureux, tristes, fâchés, complices, ou incertains, nous mêlons nos pas à la poussière du trottoir, à la blancheur de l’hiver. Ce point de repère, immuable, devient alors un phare, le signe que l’on est arrivé chez nous. Et le croisement, lieu d’hésitation, devient alors le chemin de tous les possibles, la voie de toutes les certitudes.
-Lexie Swing-
Un très joli, sensible récit – amitiés – france
Merci France !
J’aime beaucoup ta façon de décrire ces lieux que nous faisons nôtres au fil du temps
Merci beaucoup :)
Quelle merveille!
Ta plume m’a emportée dans un voyage, celui de tes souvenirs et puis après celui des miens.
J’aime ce sentiment de savoir qu’ici c’est chez nous, qu’on s’y sent bien.
Ça fait longtemps maintenant que tu es au même endroit ?
Près de 4 ans. Et j’aime cette stabilité, moi qui bougeait beaucoup avant!
Moi aussi, c’était peut-être le moment venu pour nous de nous arrêter quelque part
Un temps pour chaque chose en effet Lexie! Merci