Lulu

Je ne sais pas ce qui m’a fait penser à elle, soudainement. Un mot prononcé, une odeur particulière, un grattement sur la porte… Il y a longtemps qu’elle est partie, et je pense rarement à elle désormais. Notre histoire a été suffisamment jolie et douce pour éviter l’atermoiement. Nous nous sommes connues au début de nos vies, avons vécu ensemble 7 belles années, et même séparées quelques mois. J’ai grandi, elle a vieilli. Et une nuit, elle est partie.

J’ai toujours eu des animaux, de l’aube de ma vie à mon quotidien d’aujourd’hui. Ils se sont succédé, à la hauteur des années dévolues à leur propre existence. Chien après chien, rongeur après rongeur. Sur le tard, des chats ont fait leur apparition. Et puis quelques années ensuite, un cheval, puis un autre.

De tous, Lulu restera ma favorite, ma destinée. J’avais 19 ans lorsque je l’ai adoptée dans une animalerie. Mes parents avaient déménagé, me laissant pour quelque temps la maison où nous habitions, avant que je la quitte à mon tour pour rejoindre un appartement en centre-ville. Mon premier appartement.  La maison était vide, à l’exception d’un fauteuil en osier, d’un lit, d’une vieille télé et d’autres choses que le temps a effacé. Lulu en a fait son terrain de jeu, s’aventurant peu à peu. Lorsque nous avons déménagé, quelques semaines plus tard, ce fut le vrai début de notre vie à deux. Nous descendions deux fois par mois dans le Sud-Ouest, sa cage tressautant sur le siège arrière de ma Fiesta. Elle était de toutes mes vacances, de tous mes week-ends. Notre seule vraie séparation fut de quelques mois, alors que je m’envolais pour l’Irlande. Perchée sur sa cage, elle attendait la dernière attention, la dernière caresse. Plus tard, elle a emménagé avec l’amoureux et moi dans notre premier appartement. Son amour des fils électriques lui y a joué un vilain tour, et c’est ébahi qu’un jour nous avons entendu un bruit sourd – son corps électrifié projeté contre le dessus du meuble – avant qu’elle ne se rue au milieu du salon, les yeux exorbités, sa tête blanche entièrement noircie.

Elle est allée d’une habitation à l’autre, jusqu’à Orbessan, où elle a coulé des jours tranquilles pour sa dernière année. Je faisais alors des trajets tous les deux mois vers Paris. J’y passais une quinzaine de jours, mon amoureux s’occupant de la maisonnée, à laquelle s’était adjoint le chien, quelques années auparavant. C’était l’un de mes derniers voyages, de mes derniers déplacements à Paris. Lulu ne mangeait plus depuis quelque temps et mon conjoint savait ses jours comptés. Je rentrais le vendredi soir, descendant en gare d’Agen d’où nous roulions ensuite vers le Gers. La nuit était avancée lorsque nous sommes arrivés. Mes affaires déposées et quelques mots échangés, je me suis attardée. La gamelle était intacte, l’abreuvoir propre d’une eau jamais bue. J’ai posé ma main sur sa tête, l’appelant doucement par son nom. Dans mon ventre, ma première à naître n’était encore qu’une ébauche. B. était à l’aube de sa vie, Lulu au crépuscule de la sienne. Leurs chemins se sont croisés dans cette dernière caresse.

Au matin, elle était partie.

-Lexie Swing-

8 réflexions sur “Lulu

  1. Je l’adorais. Sa photo est, d’ailleurs, dans la galerie des ancêtres à la maison. Tout comme ta chatte morte la veille de ton départ au Québec. Elle aussi avait compris que l’heure était venue de s’en aller…

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