Une seconde et elle a disparu. Je suis debout dans un rayon, les bras chargés. J’entends ma grande fille chantonner dans le rayon d’à côté, celui des céréales. Mais de Tempête, plus une trace. Je marche vite, à sa recherche. Pas le temps d’imaginer le pire, j’œuvre méthodiquement. Un rayon après l’autre, un coup à droite, un coup à gauche, ondulant dans l’allée centrale. Le temps s’étire, mais je la retrouve enfin, les bras chargés de gourdes de compotes et le nez levé, détaillant les sucettes pour bébé, qu’elle devra bientôt laisser – c’est la dentiste qui l’a dit. Je lui demande de revenir, ne pense même pas à la gronder. Ce serait les battements de mon cœur qui rythmeraient mes mots, mais il n’a pas battu plus vite, et il n’a pas battu plus fort. Il n’a pas eu peur, pas encore. Alors je lui demande de se coller à moi, et je lui adjoins sa grande sœur, qui pépie toujours, à quelques mètres à peine. Un pas de côté, et elle est repartie. Vers les caisses automatiques cette fois, où à genoux sur la tablette, elle s’escrime à marteler l’écran tactile pour lancer le processus et scanner ses articles. Sa grande sœur, avec toute l’autorité que lui confère son droit d’aînesse, la ramène en la traînant par le manteau. « T’as pas le droit », lui rappelle-t-elle sans ciller, avant de quémander des pâtes à lettres pour le repas du soir. Passage en caisse, tentative maternelle pour accélérer la cadence. Je détourne le regard vers le lecteur de carte bancaire. Trois secondes. La mèche que je relève de mes yeux me révèle Tempête, debout sur un marchepied, pianotant sur l’ordinateur à la caisse dédiée aux retours d’articles. La vie est une aventure. Surtout avec elle.
Je n’ai pas eu peur quand elle a disparu. C’est plus tard, bien plus tard, en la revoyant traverser le magasin de son pas assuré, que j’ai mesuré son absence. Elle serait partie. Ne me trouvant pas, elle aurait passé la caisse et serait probablement retournée à la voiture, sur le stationnement enneigé, à la nuit tombée.
Elle est mon intrépide. Celle qui enfonce les portes et réclame ses dûs. Il n’y a pas de situation dont elle ressorte les yeux mouillés et les lèvres tremblantes. Elle met le monde à sa hauteur, c’est à dire à genoux. Elle prend, insiste, quémande, revient, rassure, et argumente.
Fête d’enfants, le sous-sol est envahi par les plus grands. Elle est là, au milieu. Trois ans de vie, des années d’expérience. On l’entend qui insiste “donne moi la manette, s’il te plaît”. La politesse, toujours. On lui refuse l’objet convoité. Elle revient à la charge. Encore. Elle attend. Les autres ont cinq ans de plus. Elle ne se démonte pas. La manette est délaissée, faute de batterie. On la met sur son socle. La lumière passe au vert. Elle est prête, elle est là, elle saisit l’objet avant que les grands ne s’y opposent. “Maintenant, c’est à moi”.
Elle n’aura pas besoin de nous pour lui ouvrir les portes. Je gage qu’elle aura trouvé ses propres marchepieds. Il nous faut simplement l’y conduire. Lui tenir la main en lui rappelant les règles. Assurer ses arrières, pour qu’elle puisse courir loin devant. Elle nous essouffle, nous étourdit, nous rend aphones à force de l’appeler. Mais dans mon lit, ma tête répond aux battements de mon cœur: il faut sécuriser le chemin, la course sera la sienne.
-Lexie Swing-
Elle met le monde à sa hauteur, c’est à dire à genoux. ❤️ que c’est bien écrit…
Merci beaucoup 😘
Oui, c’est beau.
J’aime beaucoup !
Oh boy, la peur que tu as du avoir… même en y repensant, après coup! C’est bien que tu aies cerné son caractère, ça aide à gérer. Franchement, je crois que l’art d’être parent, c’est 70 % de connaître son enfant. Il y a des choses qui ne m’ont jamais fait peur parce que j’ai vite compris que ce n’était pas un « risque » avec Mark, et d’autres pour lesquelles je suis super vigilante.
Oui tu as parfaitement raison, il y a des choses pour lesquelles je suis parfaitement sereine avec ma plus jeune (des jeux gonflables ? Pas de problème ! Un groupe de grands enfants ? Elle va trouver sa place). Et d’autres où je sais que je ne peux pas la laisser sans surveillance. Et pareil pour sa sœur
J’ai le même modèle en version masculine…
Comment survis-tu?
« il faut sécuriser le chemin, la course sera la sienne »
J’aime beaucoup cette phrase. Je trouve qu’il y a beaucoup d’amour dans tes lignes Lexie, cette façon de l’accueillir comme elle est, intrépide, vivante, singulière. Comme chaque enfant. Seulement parfois certains sont plus compliqués à saisir, à laisser vivre.
Je la trouve facile, il n’y a pas de vrai complexité dans son caractère, elle est franche et déterminée :)
Ça prend du temps de connaître son enfant, de le comprendre et de comprendre surtout qu’il est unique. Pas grave qu’il ne soit pas comme la grande sœur, le copain, la fille de la voisine.
Chaque enfant est singulier, quand on le sait et qu’on est empathique, bienveillant, et à l’écoute, ça simplifie bien des choses!
Mais malgré tout, ce n’est pas toujours facile de les suivre 😅
Non, sans parler du fait qu’à peine tu penses les avoir compris, ils changent et te surprennent de nouveau !