
Il y a quelques mois, j’avais lu le témoignage d’une maman catholique, elle expliquait son quotidien et quelle place prenait la religion dans sa vie et celle de sa famille. J’avais trouvé ça courageux de sa part, d’écrire cet article à une époque où la reliion n’a plus vraiment la côte.
De la primaire à la 3e (équivalent du Secondaire 3), j’ai été scolarisée à l’école catholique. Un choix qui peut paraître surprenant, quand on sait que mes parents sont farouchement athées. Si je n’ai aucune opinion sur ce choix, qui relevait probablement plus du souhait de choisir une école adaptée à ma scolarité (j’étais globalement en avance et les profs de maternelle avaient recommandé que je sois en double niveau pour faciliter un passage rapide dans la classe supérieure), j’en ai une sur le fait d’avoir été à l’école catholique : ça a eu un impact majeur dans mon ouverture au monde. Mais avant de vous dire pourquoi, il faut d’abord que je vous raconte…
J’ai commencé ma scolarité de primaire dans une toute petite école. Elle était comme une succession de petite et grande maison de ville et le dernier étage était condamné par une chaine qui ne cessait d’attiser notre curiosité. La rumeur disait que le bâtiment avait abrité jadis un pensionnat et que les lits avaient été laissés en l’état. Il y avait une entrée, et puis une courette, la grande maison et puis une autre cour, plus grande. Il y avait un espace quelque peu délabré, qu’on appelait la cour du foot, et une sorte d’ancien garage sans porte, dont on utilisait les murs comme support pour nos pieds d’apprenti gymnastes. On montait dans les classes par une multitude d’escaliers, après s’être lavé les mains dans des lavabos de ferme qu’on s’arracherait, aujourd’hui, chez les meilleurs antiquaires. Il y avait ce savon jaune et rond, sur son axe en métal et puis les toilettes avec la porte courte sous laquelle on glissait le pied pour assurer les amis de notre présence. C’était une petite école de ville qui fermerait quelques années plus tard, à la faveur des redistributions d’élèves dans les secteurs scolaires ou menacée d’expulsion par une régie de bâtiment quelconque qui jugerait d’un mauvais oeil les escaliers de guingois et les portes grinçantes. On y serait peu, à peine de quoi remplir des classes entières. On serait des classes à demi-niveau, un CP-CE1, un CE2-CM1 et puis un CM2. Il y aurait d’autres découpages, des CM1 parfois divisés, des voyages en Auvergne et des classes vertes même au CP. Il y aurait peu d’enfants mais beaucoup de bonheur et c’est à peu près tout ce qu’il vous faut retenir pour comprendre ce qui s’en vient ensuite.
Puisque c’était une école catholique, les cours qu’ont aujourd’hui mes enfants et qui portent le nom d’Education Civique et Religieuse (ici, au Québec) se résumaient pour nous à des cours de pur catéchisme. Nous y apprenions tout ce que l’on peut apprendre à des enfants sur une religion et sa pratique. Nous priions tous les matins, mains jointes ou en coupole, debout dans les allées qui séparaient nos petits bureaux. Nous récitions alors le Notre-Père et le Je Vous Salue Marie, avec la fierté des enfants qui maîtrisent sur le bout des doigts une poésie maintes fois répétée. Nous apprenions aussi de nombreuses chansons, que je répétais à l’envi à mes parents, avec un enthousiasme tout enfantin. Ceux-ci ne pipaient mot, peut-être vaguement consternés alors du choix qu’ils avaient fait. S’ils ont pu l’être en termes d’apprentissage religieux, ils n’ont pu cependant que s’incliner devant ce que l’école m’offrait par ailleurs : un accompagnement réel et individualisé – jusqu’à des cours de rattrapage en maths qui nous ont permis, à mon amie et moi, de passer dans la classe supérieure au courant de l’année – et une admiration non feinte pour les bonnes élèves que nous étions alors. Nous étions scolaires, appliquées, premières de la classe. Nous rentrions dans un moule qui nous allait comme un gant et cela fonctionnait parfaitement.
En CE2, lorsqu’une élève de ma classe – A., une CM1 – s’est faite baptiser, j’ai découvert ce qu’était le baptême, et aussi que j’étais la seule, désormais, à ne pas être baptisée dans ma classe. J’ai le souvenir confus des déclarations parentales, celles de ses parents et puis celles des miens, à qui j’avais posé la question plus tard. Nous n’avions pas été baptisées car nos parents respectifs voulaient nous « laisser le choix » de nous convertir à une religion ou de se définir athée, le moment venu. Dans l’esprit de la plupart des parents d’aujourd’hui, cela signifie vaguement « à l’âge adulte », au plus tôt à l’adolescence. On devient mûr pour choisir une religion comme on l’est pour le sexe, finalement. Je vais vous avouer quelque chose : je pense qu’il faut avoir vécu pour faire ce choix-ci. Aujourd’hui, je ferais un choix éclairé. À l’époque, je ne connaissais que le monde agréable mais étriqué de ma petite école de ville.
Je suis donc restée l’élève non baptisée de mon école, mais j’ai découvert qu’il existait un monde catholique en dehors des murs de celle-ci. Mes amies allaient au catéchisme en dehors des heures de classe, aux Jeannettes le week-end et à la messe, parfois, le dimanche. Elles avaient des choses en commun en dehors de l’école, et pour ça, je les ai souvent enviées. Elles n’ont cependant jamais boudé leur plaisir de m’apprendre toutes les chansons et jeux auxquels je n’avais alors pas accès. Des jeux et des chansons que j’apprends encore à mes enfants aujourd’hui.
Lorsque je suis entrée au collège (au secondaire), j’ai choisi de rejoindre une institution réputée catholique, mais qui n’en avait, pour toute honnêteté, que le nom. Les allées et venues y étaient peu surveillées et les cours de catéchisme absolument optionnels. Je me suis éloignée d’un monde que je ne connaissais finalement que marginalement pour verser dans ma passion du moment : penser des heures durant aux garçons que je rêvais de séduire. J’avais cessé de faire ma rapide prière du soir pour me bercer d’histoires à l’issue toujours très romantique, quoique répétitive, et je me suis définitivement éloignée du monde de l’enfance.
Mon retour à la religion catholique s’est faite avec fracas, à l’hiver 1999, lorsque ma famille a déménagé dans une autre ville, au milieu de mon année de 3e (Secondaire 3). Au jeu des écoles, j’avais pioché la mauvaise carte. L’institution, perchée dans un cadre idyllique, était dirigée d’une main de fer par une directrice âpre, flanquée de Soeurs lieutenantes qui jugeaient bon de plonger la face des adolescentes trop fardées sous l’eau glacée des lavabos. J’étais perdue de ce changement soudain. Alors en pleine adolescence, j’étouffais dans ce carcan étroit. Mes journées se résumaient à des altercations avec la Soeur responsable de notre niveau et à des tentatives vaines d’échapper au cours de physique où la professeure prenait un malin plaisir à me ridiculiser, au vu de mes certes maigres notes. J’étais une fois encore la seule non-baptisée, mais dans l’école entière cette fois, et la Soeur ne manquait pas de me le rappeler comme si j’étais une hérétique. Elle a d’ailleurs failli en avaler son voile, alors qu’en voyage scolaire en Espagne, lors d’une immense messe donnée dans une église renommée, elle m’a vue me lever pour aller recevoir l’ostie. Bloquée dans un rang sans fin, incapable d’intervenir sans s’attirer les foudres de l’audience, elle n’a pu qu’assister, impuissante, à la scène. J’en ris encore aujourd’hui…
C’est avec un soulagement affiché que j’ai passé la porte du collège pour la dernière fois, quelques jours avant le brevet. Ledit diplôme était ensuite remis à la direction de l’école, avec charge pour nous de le récupérer auprès d’eux. Inutile de dire qu’ils l’ont – théoriquement – toujours en leur possession aujourd’hui, puisqu’il n’était pas question que je repasse un jour les portes de l’institution.
Cette étape malheureuse de ma vie m’a permis d’atterrir, alors que je commençais le lycée (secondaire 4), à l’école publique! Douze classes de seconde, des élèves issus de tous les collèges des environs, des jeunes de ma ville et mon futur amoureux, parmi eux. J’étais à l’aube du meilleur, des années incroyables qui m’ont permis de rencontrer des amis toujours très chers à mon coeur aujourd’hui. Des amis qui ont compté et sur qui je pouvais compter. La moitié d’entre eux avait un point commun, en dehors de notre lycée public. Vous devinez? Ils allaient tous à l’aumônerie du quartier. L’endroit était ouvert au monde, aux autres, aux non-catholiques, ou du moins est-ce ainsi que je l’imagine, moi qui y ait fait tant de rencontres et tant de belles soirées. Leur monde n’était plus un espace à part qui les séparait de moi, c’était une richesse, une part pleine de leurs êtres qui éclairait leur éducation, leur quotidien et leurs réflexions différemment.
Je ne regrette pas un seul instant d’avoir été scolarisée à l’école catholique, moi l’enfant d’athées, non baptisée. J’y ai appris la religion, les croyances et les dogmes. Je n’ai pas appris à croire mais j’ai appris à comprendre et ça m’a ouvert au monde. Car le risque, avec l’athéisme, est de s’enfermer dans un monde où les croyances sont vaines et les religions le fruit de la folie humaine. Or les religions sont là, elles existent. Des hommes et des femmes s’y plient, dans toutes les sphères de notre monde. Les connaître, les savoir, ne veut pas dire qu’on les valide, mais nous permet de voir, d’analyser et de comprendre.
Par ailleurs, l’Histoire des hommes est étroitement liée à celle des religions. Prétendre connaître l’Histoire si l’on ne comprend pas un minimum le fonctionnement des religions, est vain, selon moi.
Mettrais-je demain mes enfants à l’école catholique si j’en avais la possibilité? Absolument pas. Car ce n’est pas la religion qui m’a construit, ou détruite à l’occasion, mais ce que les gens qui la portent en ont fait. Leur ferais-je connaître les religions, découvrir les édifices, raconterais-je les croyances? Définitivement. Pour nourrir leur tolérance et leur faire découvrir un monde riche de cultures et d’histoires, un monde de chants et de valeurs.
Et puis un monde qui a inventé le Scofa aussi. Et juste pour le Scofa, l’école catholique, je ne regrette pas.
-Lexie Swing-
Crédit photo : Matthew Henry
Quel article formidable. Merci de mettre des mots sur cet « entre-deux ».
Venant d’une famille athée, je n’avais pas été baptisée, la religion ne faisait pas partie de notre univers jusqu’à ce que mon frère exprime le souhait de recevoir le baptême. Nous avons donc été baptisés tous les 3 à la fois et nous avons commencé à aller au catéchisme puis à l’aumonerie. J’y ai vécu mes plus beaux moments d’adolescence sans pourtant « adhérer » ou croire.
La maternité a déclenché chez moi un besoin viscéral de transmettre cette part à mon fils. Il a été baptisé, il a été à l’éveil à la foi, il va faire sa communion cette année. Je trouve que ce sont de jolis rites de passage.
De la religion il en fera ce qu’il voudra mais en tant que mère je lui aurai ouvert cette porte.
C’est intéressant ce que tu dis, car quelque part, on leur impose quelque chose au départ en faisant ça, mais malgré tout c’est aussi un monde qu’on leur rend accessible car ce temps là ne revient pas. En dehors de l’apprentissage, des connaissances, si tu n’as pas vécu ces moments là enfant, il n’y a pas de retour ensuite. J’aimerais seulement que la parole se moderne. Car si j’ai croisé des gens formidables dans ceux qui travaillaient dans cette religion, il y en a encore trop aujourd’hui qui n’arrivent pas à la mettre à la page d’aujourd’hui, si je puis dire. Or si tu veux bien accompagné les gens, les enfants notamment, il faut prendre le monde comme il est.
Aaaaaahhhh…. Jeanne d’arc… que de bons souvenirs… moi j’ai vu les dortoirs quand mon père les a vidés, ils existaient bien ! Et les amitiés de 30 ans construites là-bas ! Mes enfants sont à l’école publique mais si j’arrive à m’organiser avec les autres activités, j’aimerais bien qu’ils aillent au caté pour avoir cette vision du monde.
Bon sang c’était pas qu’une rumeur alors ! 😂
Intéressant ce récit. Une correction à faire dans le premier chapitre le deuxième mot religion est devenu reliions. Sinon je constate que tu parles du choix des enfants de rejoindre ou non ce mode de vie, mais rien ne change de nos jours: d’emblée une des correspondantes indique, en gros, qu’enfant cela lui a plu alors…elle a fait baptiser puis fait faire sa communion à son fils. Donc elle lui impose ! Sans en avoir conscience.
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Non tu as raison, c’est un cheminement qui paraît encore normal aujourd’hui. Mais je pense quand même que de plus en plus de gens s’en éloignent.
Bien sûr que si j’ai pleinement conscience d’imposer cela à mon fils (comme je lui imposerais mon athéisme en refusant de lui ouvrir les portes de la foi). Libre à lui en grandissant de faire des choix éclairés : qu’il adhère ou non peu importe, il aura eu la possibilité de découvrir. Comme pour tout autre pan de l’éducation au final. Chaque jour on fait des choix pour nos enfants, celui-ci en fait partie tout simplement.
Coucou
Je ne me souviens pas de la prière tous les matins à Jeanne d’arc mais j’ai bien rigolé à l’évocation de certains souvenirs en lisant ton article !!
Bises
Ça m’est revenu d’un coup, plus je racontais plus c’était clair dans mon esprit! Te souviens-tu de cette fête, un soir, dans la salle qui servait de cantine, où AS, toi et moi on avait mangé des tas et des tas de parts de Scofa ?
Ouiiiiiiii ! Je pense que c’était pr le loto de l’école…
Finir ton article sur le scofa c’est mieux qu’une cerise sur un gâteau !!!
J’avais oublié qu’on mettait le pied sous la porte des toilettes pour « garder la porte », mais je nous y revois très bien !!
Te souviens tu de nos fous rires en faisant de la peinture dans la petite salle à côté de celle de Mme Renault ?
Mais non! Il y avait une petite salle ?! A côté de la classe de CE2?
La religion n’a jamais fait partie de notre éducation, le marxisme ayant envahit la famille maternelle dont je suis proche il y a des décennie. Même à l’époque où être athé était improbable socialement, mon arrière-grand-père se moquait apparemment ouvertement du curé. Je garde une grande admiration pour mon papi disparu cette année qui affirmait encore haut et fort qu’après la mort, ben y’avait rien et c’était très bien comme ça–beaucoup de gens face à cette inconnue qui nous terrifie se raccrochent in extremis à la religion (ce qui est logique si on est croyant, moins s’il s’agit d’une adoption de dernière minute :lol:)
Je crois que mon père est croyant, en fait. Il a lu la Bible en tout cas et certaines idées lui parlent. J’ai aussi du respect pour ça, parce que finalement, ce qui me fait peur dans la religion, c’est le côté oppressif et dogmatique de groupe. Bref.
Tu as finalement eu ce qui m’a manqué, des références catholiques si utiles pour comprendre tout un pan de la culture française. Je me souviens que j’étais larguée dans l’étude de certains classiques littéraires, obligée de demander à des amies pratiquantes de me faire un « Dieu 101 » :lol: Maintenant, c’est moi qui met parfois Feng au parfum :lol:
Comme quoi on a tjs des références culturelles qui sont familiales avant tout ;)
Bel article Lexie.
Jamais goûté le Scofa ! 😁
C’est particulièrement sucré mais j’adorais ça ! Je vivais juste à côté du Carmel où les sœurs en produisaient.
La religion et l’enseignement…toute une histoire! Il y a quelques années en arrière, on ne pouvait imaginer l’un sans l’autre. Aujourd’hui, on crie au scandale si les deux sont associés!
J’ai été dans une école/collège/lycée catholique, j’ai été baptisée, j’ai fait ma première communion et ma profession de foi. Il m’en reste aujourd’hui, non pas la foi, mais une certaine culture.
C’est cette culture que j’aimerais transmettre à mes enfants. On a beau parler de la France comme d’un pays laïc, la religion a fait parti de son histoire (et continue à alimenter les discussions d’aujourd’hui et à expliquer la présence du plus grand nombre de jours fériés!!), en connaître un minimum est, je crois, indispensable pour comprendre l’histoire française. Mais comment comprendre les guerres de religion (qui sont pléthores!) sans connaître la différence entre catholique, protestant et juif. Comment comprendre les débats d’aujourd’hui, sans connaître l’islam? Je n’enverrai pas mes enfants au caté mais j’aimerais leur faire découvrir l’histoire de la religion, la religion catholique tout d’abord, parce qu’elle fait parti de notre Histoire, mais aussi les autres religions qui interagissent (ou ont interagit) de près ou de loin avec la France pour lui assurer cette ouverture d’esprit indispensable à tout adultes équilibrés! Un cours intitulé L’histoire des religions?
Oui ça me plaît ton idée et je partage parfaitement ton ressenti!
J’aurais pu écrire ce texte mot à mot. Même parcours, même vécu, mémé souvenirs, même si pour moi ils se sont arrêtés aux portes du collège. J’étais aussi, avec mon frère, l’une des rares à ne pas avoir fait ma communion (pourtant, j’étais baptisée), et surtout l’une des seules à ne pas aller au « cathé » en dehors de l’école. Je n’ai jamais, jamais été exclue pour ça. J’ai vécu de très belles années dans mon école catholique. Alors merci pour cette tranche de vie que tu as décrit-là, qui a entrouvert la boîte de mes souvenirs, le même savon jaune, les mêmes portes défraîchies, le même enseignement, au bout, même s’il m’a fallu du temps pour l’admettre et l’accepter.
❤️❤️❤️
Oui, je te rejoins d’autant plus sur le fait que finalement on prend du temps aussi à l’accepter et à en faire quelque chose de définitivement positif. Je crois que c’est de manière générale le cheminement de la vie adulte :)