Ils sont de ma famille

« Et lui, il devient quoi ? » Ce sont généralement ces interjections qui rythment mes retrouvailles avec mes parents. Assis autour de la table, à l’heure du café, nous dressons le bilan des mois écoulés. Comme bien des gens, je ne me vois guère vieillir. Je mesure le temps qui passe aux rides qui s’installent sur les visages qui m’entourent. Alors que ma mère me rapporte une réflexion faite par l’un de nos proches, je lui demande : « Comment est-il maintenant ? ». « Le même », fait-elle en souriant. « Exactement le même que quand tu l’as connu, il n’a pas changé! ». Je déglutis : « Le même, mais avec des cheveux blancs quand même non ? Et sa moustache, comment est-elle? »

Mon monde a vieilli. Ce n’est pas un jugement, c’est une constatation. J’ai vieilli aussi, je le devine sans peine, mais je suis incapable de le voir de façon aussi objective. Nous vieillissons en conservant une partie de cette candeur enfantine, invisible aux yeux des autres, dissimulée sous nos responsabilités, mais qui s’extasie devant une crêpe au fromage ou des lumières de Noël. S’il y a quelque chose que j’aurais aimé savoir, enfant, c’est que les adultes endossent avant tout un rôle. Nul ne devient brusquement sage et réfléchi, mais nous prétendons l’être, en jouant au mieux avec les cartes qui nous ont été distribuées.

Les proches que j’évoque sont moins ceux de ma famille, à quelques exceptions près, que tous ces amis que mes parents côtoyaient et qui ont forgé le socle de mon enfance. Tous ces parents d’amis, aussi, dans le giron desquels j’ai gravité, à cette manière qu’avaient les pères et mères des années 90 d’ouvrir grand leurs bras et leurs foyers pour accueillir les petits venus passer une journée ou une nuit. Les premiers souvenirs clairs que j’ai de ces proches datent probablement de leur trentaine, lorsque j’avais moi-même 6 ou 7 ans. Ils avaient l’âge que j’ai désormais et évoluaient dans des contextes similaires au mien, des familles établies, des activités ou des boulots plus ou moins prenants. Ils tenaient lieu de repères, je connaissais leurs maisons par coeur, je me fondais dans les règles établies. On mangeait différemment chez chacun – bien que tous se soient pliés en huit pour tenter de faire manger l’enfant ultra difficile que j’étais, j’espère qu’ils seront soulagés de savoir que je mange désormais presque de tout – et on y menait des activités différentes. J’étais pour eux « la fille de… » ou « l’amie de … » mais ils étaient et sont restés pour moi un repère immuable dans mon évolution. On reconnait, selon moi, les gens importants pour notre équilibre à l’enthousiasme que l’on déploie à leur partager nos accomplissements et à l’hésitation que l’on a à leur mentionner nos échecs, par crainte de les décevoir. Je ne leur dirais jamais assez merci pour l’attention et la tendresse dont ils m’ont entourée.

On « fait famille » comme on dit parfois, et l’idée va bien au-delà des liens du sang. Elle est dans ce principe que cela prend un village pour élever un enfant et j’espère jouer un jour à mon tour pour certains enfants ce rôle-ci. Celui de l’adulte qui aura compté, auprès de qui on se sera senti en confiance et vers lequel on aura plaisir à se tourner, le moment venu, pour raconter ses derniers accomplissements. Je devine déjà qui seront ces enfants et je serais aux premières loges pour les encourager.

Il y a bientôt 30 ans, je portais une robe noire et turquoise et argentée et bouffante. Je sautais sur le lit double et haut d’une chambre d’amis en clamant : « On est en 1992, on est en 1992 ». Dans le salon, les adultes riaient et trinquaient et s’embrassaient. Elle était là, fière et magnifique, extravagante. Dans mes souvenirs, elle rit à gorge déployée et secoue la vie comme un prunier. Elle prône le naturel, le temps pour soi, le soin du corps, précurseure avant l’heure d’un mode de vie désormais établi. Vendredi, mes pensées iront vers elle, comme souvent, en passant, rendant ma mémoire un peu plus vibrante, au rythme de cette énergie incandescente qu’elle dégageait. Que son souvenir vous entraîne un peu tous. À C.

-Lexie Swing-

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