Je suis journaliste. Je pourrais être boulangère ce serait bien pareil. Mais j’écris des articles. Des articles que j’espère éclairés. Que je rédige plus ou moins vite selon mes contraintes horaires. Parfois celles-ci sont telles que j’oublie un accord quelque part. Ou alors je relis mal mes notes et j’écris 15 au lieu de 16. Des fois, je veux faire un peu mieux que bien. Et je me donne du mal. Parfois, j’écris sur un sujet barbant, comme des Olympiades pour personnes âgées. Et comme je refuse de tomber dans le cynisme, je donne dans l’enthousiasme. Je loue la dextérité de Micheline, 103 ans, capable de mettre un panier à 3 mètres quand je suis capable de le louper les deux bras dedans. Ou je transmets mes félicitations à Georges, dont l’habileté lui permet de jouer au croquet avec sa canne. J’essaye de rendre vivant un sujet dont le caractère soporifique n’est plus à démontrer. Et puis le courriel arrive. Il arrive souvent. Plus vous vous donnez du mal, plus il a de chances d’arriver. C’est mathématiquement incompréhensible mais factuellement révélateur. De quoi ? De cette tendance qu’ont les gens, les lecteurs, les interviewés, les clients de la boulangère, à faire dans la demi-mesure.
« Je trouve ça regrettable que vous ayez ainsi jugé notre manifestation sans même prendre le temps d’en comprendre la teneur, votre travail journalistique laisse à désirer, et votre sens de la rigueur est hautement discutable ». Voici en substance le courriel que j’ai reçu après l’article sur les Olympiades. Le fait de tourner de vieilles personnes en sportifs de haut niveau ? La mention des âges des interviewés ? L’oubli d’un partenaire de premier plan ? Pas du tout. J’avais écrit, histoire de donner de la chair à l’histoire, que Georges (en plein partie de croquet) suait un peu sous la tôle de la salle. S’en est suivie une polémique de portée villageoise. Le comité d’accueil ayant pris cette phrase pour un affront personnel fait audit hangar qu’ils prêtaient généreusement à ces ingrats de petits vieux.
Faire dans la mesure est un sport international lorsqu’il s’agit de se plaindre, que ce soit d’un service, d’un produit ou d’un article. J’ai récemment reçu un message m’indiquant que le contenu de mon article était criblé d’erreurs, car j’avais inscrit que 70 élèves allaient participer à la formation, alors qu’ils étaient en réalité 72. Et c’est sans compter sur la mauvaise foi de certains interviewés qui, au choix, n’avaient pas compris que c’était pour un article (« bonjour, je suis journaliste, c’est pour un article… »), faut-il donc que je leur envoie un pigeon voyageur pour confirmer mes intentions? – ou ne se souviennent tout bonnement pas m’avoir parlé, malgré nos échanges de courriels.
Mais si j’en parle, c’est parce que la forme m’importe beaucoup plus que le fond. Pourquoi utiliser les mots « incompétence », « nul », « bidon », « inadmissible », et autres de la même veine, lorsque l’on souhaite simplement corriger une erreur de chiffre ou dire que l’on aurait pas écrit les choses de cette manière là. Pourquoi insulter la boulangère lorsque le pain est un peu plus cuit que d’habitude? Pourquoi hurler sur une pauvre secrétaire ou un employé de centre d’appels, pour finir par lui dire « Je sais que ce n’est pas de votre faute mais… ». Il n’y a pas de mais. Tourner 7 fois la langue dans votre bouche et vos pouces au-dessus du clavier avant de laisser votre venin couler entre vos lignes. Vous ne savez pas de qui vous pourrissez la journée en face. Alors qu’un courriel avec un bonjour, un « merci » et un « cordialement » aurait eu tout autant d’impact. Sauf qu’en plus il y aurait eu du respect dedans. Ça vous aurait fait du bien. Et à moi aussi.
Merde alors.
-Lexie Swing-
Quand je pense que j’ai fait une maladie parce que j’ai recu un mail me disant que mon blog etait nul, mon sens de l’humour affligeant,et que j’étais debile et nulle (c’était à haute teneur littéraire). Je vais arrêter de me plaindre! Je te trouve remarquablement stoïque. Les gens sont vraiment aigris pour perdre leur temps et le tien avec des commentaires comme ca. Je ne connais pas tes articles, juste ton blog mais j’adore te suivre et tu écris merveilleusement bien.
Non mais on aura tout vu… Ton blog est génial, ton sens de l’humour poilant et tu es une personne vive, intelligent qui qui sais rire d’elle même pomdepin, ceux qui ce permettent de dire autre chose sont des jaloux !
Il s’agit bien de mon travail, pas de mon blogue. Heureusement, dans ce cadre, les internautes sont plutôt respectueux. J’aime assez cet esprit qui règne sur la blogosphère et qui est de dire « C’est son espace personnel, si je ne suis vraiment pas d’accord, je peux tout autant passer mon chemin »
J’aurais été vraiment fâchée à ta place! Et certainement plus que pour mes articles de boulot, car là ça t’attaque vraiment personnellement. Mais j’ai une théorie sur le sujet : je pense que tu as vexé le Prince Philippe et qu’il se venge. Em même temps je serais aigrie aussi si on m’appelait encore Princesse à 93 ans!
Je trouve que le mail a facilité ce lâchage. Les gens sont plus vite dans le reproche, le jugement… on peut penser ce qu’on veut du travail de quelqu’un mais à quoi bon faire des reproches tout le temps? Et malheureusement, pour reprendre ton exemple, j’ai déjà vu des personnes se plaindre de la cuisson du pain au boulanger…comme des enfants le feraient avec leurs parents qui ont trop cuit leur repas! Non mais franchement, allez ailleurs! Des fois on a envie d’en rire mais je comprends que ça puisse pourrir une journée.
On se plaint facilement de tout, hurlant sur la terre entière, ce qui gène tout à la fois les personnes qui nous accompagnent (genre nos enfants) et ne nous soulage en rien!
Grâce à mon MOOC de gestion de projets, j’ai appris à évaluer le travail des autres, en essayant d’être positif et constructif au lieu de porter simplement des jugements de valeur personnel. Au début je me disais : pourquoi le prof nous parle de ça ???? Et bien juste la formulation utilisée, ça change tout ! c’est beaucoup plus motivant et on devrait tous suivre ce cours depuis la maternelle !!!
Bref, pour avoir moi-même écrit, les gens ont vraiment à cœur que tu fasses un article sur eux et ne comprennent pas que tu as des contraintes de temps, de mots, d’efficacité, d’agréabilité de lecture… et ils s’énervent rapidement pour l’oubli d’une mention, et c’est vrai que c’est rageant quand on te fait sentir que tu ne fais pas bien ton travail alors que tu y a mis du cœur à l’ouvrage…
Ce n’est pas lucratif… mais continue surtout ton blog, tu écris vraiment très bien, même quand tu parles des vieux suants ! En ce qui concerne ton métier, je crois que ça fait malheureusement partie du package et que même les prix Pulitzer essuient des critiques pas toujours éclairées :-)
Oui… J’ai deux choses qui m’agacent dans mon travail : les courriels rageurs et les commentaires blasés. Comme un article récemment rédigé sur les comportements à éviter en entretien d’embauche. L’article est partagé, liké, etc. Et au milieu de tout ça, une fille qui écrit « ben, c’est genre… évident… à quoi ça sert d’écrire ça? ». Je suis lassée des lecteurs qui ne voient pas plus loin que leur petit bout de nombril. C’est évident, ok, mais dis pourquoi, apporte qq chose, ta pierre à la discussion… C’est ce que tu dis » avoir un jugement positif et constructif ». Tu as écrit qq chose sur ça déjà?
En fait il suffirait d’un minimum de délicatesse, de politesse, pour dire les choses qiui ne vont pas. La personne qui recevrait les critiques négatives serait alors plus à même d’apporter une réponse et ne se sentirait pas blessée dans la façon dont elle fait son travail, et encore moins démotivée.
Les gens sont très doués pour lâcher leur colère ou leurs ressentiments sur les autres, sans raison. Mais ce n’est pas la bonne solution.