Entre deux wagons

Métro Berri./ Photo Michel Filion

Métro Berri./ Photo Michel Filion

Il m’a adressé la parole sur le quai du métro, plaisantant poliment sur l’information que je lisais avec tant d’attention. Je l’ai ignoré, feint la surdité. Ils sont tous les mêmes. Ils abordent avec des sourires et des ronds de jambe, demandent l’heure en estimant le monde au balcon. Ils te complimentent quand ils t’approchent et te conspuent quand ils sont forcés de te quitter, agacés parce qu’ignorés.

Enfin ça, c’était avant.

Il m’a adressé la parole sur le quai du métro, plaisantant poliment sur l’information que je lisais avec tant d’attention. Je ne savais pas vraiment ce que le texte disait. Je relisais pour la cinquième fois la même phrase, les yeux encore à moitié fermés par une nuit trop courte. Je me suis un peu raidie. J’ai relevé la tête et j’ai souri. Il avait 40 ans et des tresses africaines. J’ai dit que c’était une information de première main, quelque chose entre la météo glaciale et les retards de train. Il m’a demandé si j’étais Française, m’a avoué que j’avais été trahie par mon accent. M’a demandé d’où j’étais Française. La formulation m’a amusée. Il m’a dit qu’il connaissait Toulouse, m’a cité la brique, la violette et le Capitole. A ajouté que c’était beau le Capitole. Mais qu’il y avait trop de crottes de chien. Pourquoi les Français ne ramassent-il pas les crottes de chien ?, s’est-il exclamé. J’ai hoché la tête, reconnu l’urgence du problème. Dit que Toulouse c’était à peu près ça. La brique, la violette et les crottes de chien. Il a ri. Le métro est arrivé. Je me suis engouffrée pour trouver une place assise pour mon gros ventre et moi. Je n’ai pas relevé la tête. Je me suis replongée dans l’article. Je ne sais toujours pas de quoi il parlait.

Ce matin j’ai échangé 20 mots avec un parfait inconnu. Ce n’était ni bon, ni mauvais. Mais pour la première fois depuis des années, je ne me suis pas sentie oppressée, je ne me suis pas sentie comme une brebis piégée qui évalue les chances de s’éclipser avant d’être interpellée. Et le Canada, pour moi, c’est aussi ça.

-Lexie Swing-

6 réflexions sur “Entre deux wagons

  1. Ca doit être plaisant en effet de discuter sans se sentir agressée. J’avais souvent des discussions matinales comme ça à Dublin, j’aimais ces mots échangés sans flou, sans problème. Juste deux êtres qui se croisent. Tous les échanges devraient être aussi simples Lexie.

  2. Ah ah ! On n’est pas en reste au sénégal, même si les conversations sont très bateau. Quand je rentre en france c’est dur… en entrant dans un commerce : « bonjour, ça va ? » « Euh… on se connait ?! » me répond la commerçante ! Visiblement il y a besoin de se connaître pour demander si ça va ;-)

    • Le ça va ici est normal, usuel, du réceptionniste au médecin, tout le monde te pose la question. Et même si on dit que c’est surfait, je trouve ça agréable.

  3. J’aime beaucoup ta photo (c’est toi qui l’a prise?) en haut.

    Et oui, j’adore parler avec des inconnus ici aussi, c’est tellement facile et plaisant! Tiens, ce matin, dix minutes de causette sur les pâtisseries à Starbucks avec mes voisins de table. J’ai rencontré des gens super sympas comme ça, juste en discutant de tout et de rien. Certains que je revois des semaines plus tard dans les mêmes magasins du quartier, et on se salue! Et pourtant, c’est pas un village Ottawa, c’est grand…

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