
Souper./ Photo Natasha Mileshina
Je pose la question mais je n’ai pas la réponse. Je n’ai que des pistes de réponses. Le goût de chaque individu lui est propre, et les enfants habitués à manger exactement les mêmes plats développeront parfois des goûts diamétralement opposés, l’un préférant le sucré, quand le second ne jurera que par la charcuterie. Il s’agit moins d’une habitude que d’une conséquence physiologique.
Mais comment faire en sorte que, sans prétendre lui faire « aimer » tout, on le pousse à manger le plus de choses possibles. Je ne prétends à aucune expertise, si ce n’est celle-ci : je suis l’enfant qui n’aimait rien. Votre pire cauchemar de parents. Celui avec qui chaque dîner est une foire, et chaque sortie au restaurant une crise de nerfs. L’enfant avec qui vous n’irez jamais en Asie parce qu’il ne mange ni le riz, ni les sauces, ni le « mélangé ». L’enfant qui fait une crise quand la sauce de la viande a touché la purée mousseline. Pour qui il faut demander un hamburger « nature » dans les fast-food avec l’échange surprenant que l’on sait (« Nature s’il-vous-plaît. », « Nature? Sans rien? », « Sans rien », « Sans le steak? », « Non avec le steak quand même »). Ou renvoyer une énième fois un plat de pâtes parce que « pâtes nature » pour les Italiens impliquent forcément des herbes dessus, et que l’enfant difficile ne mange pas les pâtes avec des herbes dessus (il les mange avec du Pavé d’Affinois).
Je pourrais continuer sur des lignes et des lignes ainsi. J’ai commencé à manger des tomates vers 12 ans, des oeufs sur le plat vers 14 (j’aimais les oeufs, mais pas sur le plat. Pourquoi? Mystère), le fromage de chèvre à peu près au même moment… Vers 20 ans, j’ai commencé à ajouter de la sauce dans la salade verte, puis enfin passé l’étape du riz à 22 avant d’accepter de manger des pâtes à la sauce tomate quelques années plus tard. Votre pire cauchemar, je dis.
Avec le recul, je me rends compte de la galère que ça a été pour mes parents, pour mon grand frère qui ne pouvait jamais choisir un restaurant, pour la famille qui me gardait en vacances, et pour moi-même, terrifiée de devoir dîner chez des gens que je connaissais pas, et devoir faire honneur à du foie de veau, des brocolis ou encore du boudin. J’ai voulu épargner à ma fille (celle qui mange autre chose que du lait) mes difficultés. Alors très tôt, je me suis plongée dans le petit guide du « tout faire manger à votre enfant », et j’ai su qu’il n’y avait pas de solution.
Mais qu’il y avait des possibilités.
- De deuxième plat jamais tu ne feras. C’est un principe établi. A moins d’avoir un enfant dont le goût est déjà bien marqué et qui mange presque de tout. On peut alors lui proposer un plat qu’il aime le jour où ses parents ont décidé de s’offrir des petites douceurs pour le repas du soir (généralement : des huîtres). Pour tous les autres, on oublie le deuxième plat. On goûte une bouchée, une seule. Il n’aime pas? Ce n’est pas grave. Il mangera au repas suivant. Non il ne mourra pas de faim.
- Dix fois tu reproposeras. Le goût d’un enfant se développe lentement. Des choses qu’il mangeait bien (exemple : les carottes) peuvent devenir son pire ennemi, quand il se mettra soudainement à aimer les champignons. Les spécialistes estiment qu’une dizaine de tentatives peuvent être nécessaires avant que l’enfant décide que « finalement, c’est bon ». Et quelque chose qu’il n’aimait pas à 5 ans peut soudainement devenir agréable à son palais à 10 (j’en suis la preuve).
- De dessert tu ne priveras pas. Il est mieux de ne jamais faire de la nourriture un enjeu, pour éviter des dérapages à l’adolescence vers les troubles alimentaires. L’enfant ne veut pas manger son plat, même après avoir goûté une bouchée? Il attend à table et prend ensuite son yogourt avec tout le monde. On ne menace pas « si tu ne manges pas tu seras privé de dessert ». Par contre on ne lui file pas deux petits suisses et la moitié du brie au motif que « le pauvre petit va avoir faim ». La dose normale. Il se rattrapera au prochain repas on a dit.
- Resservir tu oublieras. On ne ressert pas le même plat au goûter à son enfant, ni le soir. Et d’ailleurs on ne le laisse pas des heures devant en espérant qu’il finisse. Qu’espérez-vous en réalité?
- Décorer le plat tu feras. Il y a mille façons d’appâter l’enfant, en dessinant un bonhomme dans ses asperges ou des avions dans ses saucisses. On peut aussi dissimuler les légumes maudits dans une panure légère, noyer le poisson dans de la purée (ça fait de la brandade) (je déteste toujours ça)… Il y a plein d’idées!
- Cuisiner avec lui tu essaieras. Faire cuisiner l’enfant est l’un des actes positifs à faire pour l’aider à apprécier la nourriture. Il sera plus enclin à goûter le plat qu’il a lui-même préparé. Il appréhendera aussi différemment la nourriture, les repas, etc. Et puis vous créerez peut-être une vocation.
- Un plat spécial tu ne commanderas pas. J’ai lu il y a quelques années le témoignage d’un chef français qui disait que, selon lui, on faisait une erreur en commandant des menus pour enfants dans les restos. Souvent, ceux-ci sont en effet des plats « faciles » : pâtes, poulet, etc. Les enfants ne font donc pas l’expérience culinaire que l’on réserve souvent à un moment au restaurant. Je trouve cependant sympa que les enfants puissent manger ce dont ils ont envie au restaurant, histoire que ce soit un moment agréable pour tous. Ceci dit, l’avis de ce chef est intéressant. Comme Miss Swing mange des petites quantités, nous avons renoncé à lui commander des menus enfants pour le moment. Nous demandons plutôt une petite assiette supplémentaire, dans laquelle nous lui mettons ce qu’elle désire de nos propres plats. C’est ainsi qu’elle a découvert les crevettes (son grand-père n’a pas pu y goûter lui), la moutarde, le poulet curry, etc. A tester donc, au moins de temps en temps. Ledit chef suggérait aussi, pour un enfant plus grand qui aime la gastronomie, de lui faire faire une assiette spéciale (par là entendez « plus petite ») avec un plat de la carte.
Le point 4 m’inspire d’ailleurs quelque chose. Demandez-vous ce que vous attendez de l’apprentissage du goût. Voulez-vous que votre enfant mange? Aime? Goûte? Vous obéisse? Un enfant que l’on laisse des heures devant son plat avec les pires menaces n’apprendra pas pour autant à aimer un plat. Il ne l’aimera toujours pas la fois suivante, même si vous lui mettez de force dans la bouche, et il y a fort à parier que le plat le dégoûtera encore plus. La nourriture doit se découvrir et s’apprécier, car elle est un élément important de notre vie. Pour notre propre survie, bien sûr mais aussi pour tout ce qu’elle véhicule : le plaisir, le partage, les moments entre amis ou en famille.
-Lexie Swing-
Ça me rappelle mon enfance. Mes parents ont eu un garçon et une fille qui n’aiment presque rien en commun (d’ailleurs c’est toujours le cas): j’aime le fromage, il déteste, il adore les tomates, je déteste, il aime la viande et le tout ce qui vient de la mer, je mange toujours peu de viande et poisson et ne parlons pas des crustacés… un vrai calvaire pour les gens qui nous recevaient! Sinon, moi aussi en grandissant j’ai découvert et essayé des choses que je refusais étant petite. l’avocat, la lasagne(viande+sauce tomate), le poisson, les asperges, les courges… comment ai-je pu vivre sans manger d’avocat?? Aussi, je me souviens petite avoir décidé que tout ce qui était rouge je n’en mangerai pas… des fois on a de drôles d’idées à 5 ans.
Quand tu y penses, y’a de quoi devenir fou comme parents. J’adore le principe de ne pas manger ce qui est rouge … Ça devait pas être évident ;)
J’ai commencé les tomates à 18 ans lol.
Super intéressante ta semaine dédiée à la cuisine! Le dernier point avec les menus enfant, je n’y avais jamais réfléchi. Mais c’est vrai!
Sinon tout ça ça me fait penser à la diversification autonome, je ne l’ai pas vraiment suivie avec Hanaé mais je sais qu elle goûte et découvre bien mieux les nouveautés quand elle peut picorer et toucher avec les doigts à sa façon, choisir parmi plusieurs petites choses, etc. Mais bon, loin d être sortis de l’auberge par ici niveau bouffe! Sinon ce que je recherche c’est qu’elle goûte et surtout prenne plaisir…n’en déplaise à sa tête de dégoût parfois :-)
Ha ha j’aimerais voir « sa tête de dégoût » ;) Est ce qu’il y a des choses qu’elle ne mange pas?
Super intéressant ta propre expérience et tes préceptes!
Je n’ai pas souvenir de ne pas avoir aimé le goût de quelque chose. Il y a des choses que j’aime plus que d’autres, mais je n’avais pas (et je n’ai toujours pas) de dégoût. Par contre, les textures… je déteste la pulpe. Je ne PEUX pas. Et je n’aime pas du tout la texture des brugnons. Après, quand je dis que je n’aime pas telle ou telle chose, c’est plutôt psychologique. Par exemple, les abats. Je ne sais pas si je n’aime pas le goût, c’est l’idée de manger un bout de langue ou d’intestin qui me rebute.
J’ai redécouvert des choses qui ne me faisaient pas sauter de joie enfant à l’âge adulte. Les carrottes, les broccoli, les betteraves, etc. Aujourd’hui, même si j’ai des préférences, je ne suis pas difficile du tout. Ça m’a souvent sauvé la vie en voyage. Je me demande souvent comment font les gens qui ont des régimes très précis (genre végétarien stricte, pas de X aliment, etc.) en Asie, par exemple.
Mark mange de tout, on l’a laissé goûter à tout très tôt. Il n’est pas difficile, même si un jour il va déclarer qu’il n’aime pas X truc. On laisse passer et ça revient. J’ai aussi souvent remarqué qu’il est beaucoup plus aventureux quand il a faim. Ça paraît logique hein, mais on a tendance à donner aux enfants ce qu’on SAIT qu’ils vont manger. Des fois, ça paie de prendre le risque d’attendre qu’ils aient réellement faim et de placer des choses nouvelles sous leurs yeux.
C’est très vrai ce que tu dis, on a tendance à leur donner ce dont on est sûr, sans toujours leur faire goûter des choses nouvelles. On part aussi parfois du principe qu’ils ne vont pas aimer, parce que les enfants n’aiment pas le poisson, le brocolis, le salsifis (rayez la mention inutile ;))
J’ai eu du mal à quitter le rayon de la nourriture « pour enfants » et ses boîtes colorés au supermarché. Spontanément, je prenais des biscuits pour enfants, de la compote pour enfants, des yaourt pour enfants… pis un soir de gros ras-le-bol de faisage de boîte à lunch, je n’avais pas fait les courses et je me suis mise à grommeler qu’il n’avait pas besoin de ces trucs, que c’était du marketing à la con. Et là, lumière dans le cerveau. Ben oui. Depuis, quand c,est en solde j’achète quelques produits enfants (les petit yaourts type Petits Filous, etc.) sinon c’est le même pain que maman et papa, les mêmes yaourts, les mêmes biscuits.
Pfiou. On se complique la vie des fois…
(je réagissais à la base à ton commentaires sur « les enfants ne vont pas aimer XYZ » :lol:)
En fait on se laisse attirer par le packaging, moi je suis la cible idéale de ce genre de trucs lol
Ah oui quelle plaie ça a dû être pour tes parents ! Michoco mange de tout et en bonne quantité et j’ai vraiment de la chance, c’est très agréable en effet !! Simplement à bientôt 3 ans il aime encore que ce soit moi qui lui donne, gggrrrrr. Sûrement une habitude liée au fait qu’il a longtemps mangé seul avec sa maman toute dévouée à lui….
Ah ça c’est pénible quand même! Et à l’école? Elles les font manger aussi ?
quand il mange avec la nounou le midi, il mange tout seul donc ça n’aide pas à le rendre plus autonome sur cette question. Mais on fait tous comme on peut avec le contexte dans lequel on est donc à 18 ans je ne me fais pas de souci : il mangera seul ;-)
J’applique pas mal tous ces points aussi mais un qui est dur pour moi c’est de cuisine avec les enfants! Dans la quotidien j’ai horreur de ça parce que ça fait perdre du temps, qu’elles salissent toute la cuisine, qu’il faut d’abord se battre pour qu’elles se lavent les mains, puis encore après, donc souvent je préfère dire que je n’ai pas besoin d’aide. Si on fait un gâteau ou une occasion spéciale, là ça passe mais comme personne n’aime vraiment les gâteaux chez nous (à part moi) on en fait rarement.
Le point sur les plats au restaurant est intéressant par contre.