La parentalité freestyle

Quand je suis devenue mère, il rodait encore sur les Internets une tendance à la parentalité «parfaite». Nous aspirions à devenir des mères parfaites, des pères parfaits, complices, épatés, admirés. Et nous jetions sur les forums d’aufeminin.com et sur nos groupes Facebook de parents bienveillants – mais surtout pas avec les autres parents – notre connaissance des tout-petits du haut de notre longue expérience de parents-depuis-trois-semaines-et-demi. Chaque étape de la vie de notre progéniture ajoutait à notre CV de parent. Nous détenions la formule des nuits à trois mois et demi, nous maîtrisions la recette de l’introduction des aliments parfaite. Nous savions mieux que quiconque établir un diagnostic en fonction de la puissance des pleurs d’un enfant de deux mois et validions avec moult commentaires chaque acquisition réalisée à temps, et si possible avant l’heure, de nos enfants. Ceux dont l’enfant a marché à 11 mois en sautent encore de joie, quand les heureux de la marche à 15 mois ont souligné le passage obligé par une photo salvatrice. Les autres, les tardifs, se sont tus.

Et puis rapidement, comme si les extrêmes, à force de tirer leur bord de couette, finissaient par tomber du lit, les grandes déclarations de perfection ont cessé, et les parents parfaits ont laissé la place aux parents défaits. On a souligné les heures passées à bercer des poupons épuisés, on a dénombré les maladies infantiles et les temps si courts avant que l’otite ne sonne le rappel. On a affiché nos cernes et nos tasses de café souillées, notre déconfiture et notre ahurissement. On a mesuré les décibels des samedis de pluie, la longueur des puzzles et la face longue du chien. On a juré nos grands dieux que l’on nous n’y reprendrait pas, ponctuant toutes nos remarques les plus acerbes d’une photo angélique estampillée de la sempiternelle légende «Heureusement avec des moments comme ça on oublie tout».

Mais la valse des insolences ne peut connaître de l’équilibre que dans la modération. Alors on a rentré les griffes. On a secoué les relents de mauvaise foi, allumé le gros bon sens, on a décidé de se faire confiance. Les cancans des admirateurs béats ont épousé les plaintes des fatigués du biberon de minuit et l’harmonie est revenue.

Nous sommes désormais dans l’ère de la parentalité freestyle. Les intérieurs sont moins rangés, les jeux libres ont remplacé bien des cases dans les agendas si serrés de nos mini-ministres, et il est désormais admis de répondre « j’ai besoin d’un petit peu de temps pour moi » à l’enfant qui en demande toujours un peu plus.

J’ai compris, à la dure, que la richesse des souvenirs tenait moins dans la profusion que dans les moments choisis. Que ma fille aînée pouvait se souvenir longtemps de la robe rouge que je portais au matin de Noël mais avoir oublié jusqu’aux cadeaux qu’elle avait si chèrement voulus. Qu’il valait mieux danser mille rythmes endiablés avec ma toute petite que d’ânnoner mille fois les couleurs, en espérant qu’elle les retienne. Que leur apprendre à avoir confiance en elles était tout aussi important que de leur apprendre les formes ou les nombres. Et que tout finissait par venir, par s’acquérir, qu’importe le temps qui aura été nécessaire.

J’ai passé tant de temps à comparer et à vérifier pour ma première fille que j’en ai oublié d’ouvrir grand les yeux pour bien la regarder. Je validais ses étapes bouquins et commentaires à l’appui. J’étais fière lorsqu’elle était en avance, désemparée lorsqu’elle était en retard. Ça m’a pris un enfant de plus pour comprendre que tout ceci n’était pas une course. Nous pouvons éveiller, expliquer, cajoler, crier, punir autant que nous le voudrons, il n’y a pas de carte maîtresse dans cette belote infernale. Nous croyons à tort que la partie se joue entre adultes consentants, alors que les vraies maîtres du jeu portent des couches Mickey et ont déjà filé à l’anglaise en cachant le joker sous le coussin du canapé.

Nous ne pouvons pas faire, nous ne pouvons pas modeler. Mais nous pouvons conduire, nous pouvons apprendre, nous pouvons bâtir, entretenir et éduquer. Alors tant pis si c’est celle qui court le moins vite ou celle qui saute le moins haut, tant pis si elle oublie toujours le 14 et qu’il lui faut un peu d’aide pour compter jusqu’à 60. Tant pis si parfois elle chante faux et qu’elle a la trouille en haut du grand toboggan. Car à l’école, la première fois, elle a dit bonjour Madame et elle est partie dessiner, tendant le nez vers la porte vitrée pour apercevoir son futur. Parce qu’au karaté, elle tire un peu la langue quand il faut s’appliquer. Parce qu’elle dessine des minions en reproduisant les dessins de son père, et bâtit des vaisseaux pour traverser les nuages et les océans. Parce qu’elle a quitté la garderie qui l’avait vu grandir et s’est fait sa place dans un nouveau groupe, au milieu d’amis que désormais elle chérit. Parce qu’une fois la porte refermée, elle est seule. Et que seule elle est bien, elle est correcte, elle s’accroche, elle serre les poings, elle observe, elle prend sa place, elle taquine et s’épanouit. Que je n’y peux rien, que ce n’est pas nous, que c’est juste elle, ses petites ailes bien droites et son envie d’avancer.

-Lexie Swing-

12 réflexions sur “La parentalité freestyle

  1. J’adore ta manière d’écrire Lexie!
    Oui on apprend à lâcher prise, à accepter nos enfants comme ils sont.
    Comme le dit si bien Estelle, leur donner confiance ouvre bien des portes.

  2. Le lâcher-prise, pour nous aussi, est venu du temps où n°1 est entré à l’école maternelle (3 ans).
    Fini le contrôle presque total de son évolution, avec complicité de la nounou, fini d’avoir l’œil sur tout ce qu’il fait, apprend, entend et répète (bonjour gros-mots) … la fin d’une ère.
    A la première réunion de l’école, tels d’autres parents, la seule question qui avait de l’intérêt : QUE FAIT-IL DE SA JOURNEE MAINTENANT ?
    Du contrôle que nous pensions avoir, nous nous sommes transformé en guide, à corriger la trajectoire, les comportements, redresser le vol, prendre le bon cap (oui je suis lancé dans les expressions, et je mélange sûrement).
    Pour lui apprendre la confiance en soi, nous le félicitions pour ce qu’il réussi à faire, nous l’encourageons, lui apprenons l’échec, mais ayant eu un manque de confiance en moi jusqu’à un âge avancé, je ne sais pas si ce que je fournis est suffisant, bien que j’ai le sentiment que oui, mes parents avaient-ils aussi cette impression alors que de mon point de vue ce fut un échec ? J’espère qu’on le verra au fur et à mesure qu’il grandit, qu’on saura l’aider, déjà d’avoir n°2 force un peu le caractère, alors avec n°3 en cours, ça devrait finalement bien aider :)

    • Moi j’ai été victime de timidité pendant très longtemps. Qu’est ce qu’on peut faire en tant que parent pour rendre les choses différentes ? Pour la confiance en soi j’ai l’impression que ça passe beaucoup par le fait de réaliser des choses soi même. Plus tu fais, plus tu prends conscience de tes capacités. Je pense que c’est ce qui a manqué à certains de mes amis. On faisait beaucoup pour eux et on ne leur apprenait pas que l’échec est indispensable à la réussite, ce qui fait qu’ils s’arrêtaient à la moindre barrière. Au Québec la notion d’échec est très valorisé, si tu échoues c’est que tu as essayé. En France ce n’est pas vu du tout de la même façon

  3. Je me suis assise sur tellement de mes principes que je crois que j’ai un trône… Des fois, je suis heureuse d’être dans le freestyle, parce que de belles choses en émergent et je vois Mark grandir et s’épanouir. Des fois, je suis vraiment frustrée de ne pas pouvoir faire passer ce qui compte pour moi, car je ne suis pas vraiment en phase avec certains principes éducatifs ici qui me sont imposés par le biais de l’école (ou de la société).

    • Je joue parfois (beaucoup) sur le « à la maison on fait comme ça ». Parfois je lui compare aussi des choses qui se font en France et d’autres qui se font ici, pas tant pour qu’elle adopte les façons de faire à la française mais plutôt pour qu’elle comprenne qu’il n’y a pas qu’une seule façon de faire et une seule bonne réponse

  4. Parfois, c’est tellement dur de lâcher prise…
    Comme je dis souvent, il y a autant de configurations que d’enfants, ou de familles.
    Avec Lilas, 3 ans, en permanence avec moi à la maison, j’avoue que je me perds souvent entre ce que je voudrais et ce que je fais, entre « la théorie et la pratique ». Parfois on traine en pyjama, on joue, et tant pis pour le linge à étendre et la vaisselle à faire. Et parfois, tout s’enchaine sans qu’on n’ait pu partager un moment de jeu. C’est culpabilisant tout ça, avoir envie de faire au mieux pour elle et se sentir dépassée, étouffée par le quotidien.
    Je sais qu’avec l’école à la maison qui se profile je serai obligée de lâcher prise, parce que justement, ce que je veux lui offrir, c’est qu’elle puisse prendre confiance en elle tout en allant à son rythme.

    Bref, pas simple d’entre parent ;-)

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