Changer de carrière : la genèse

On ne décide pas de changer de carrière un beau matin. Ou plutôt si, peut-être qu’un soir, entre le boulot et le métro, on se demande ce qu’on fait là, et à quoi ça sert, tout ça.

Les changements de carrière ne sont pas tous la résultante d’un même état d’esprit. Ils sont parfois une prise de conscience, celle que la vie qu’on mène manque de sens et n’est pas, ou plus, en adéquation avec nos valeurs. Ils sont une envie d’autre chose, un ailleurs différent, un espoir face à un quotidien pas désagréable, mais un peu terne. Ils suivent souvent une goutte d’eau, celle de trop, celle qui fait partir l’esprit en torpille : une ambiance de travail difficile, un but professionnel abscons, des horaires de travail dictés au mépris de tout équilibre.

En décembre 2020, un sondage réalisé au Canada par la firme LifeWorks rapportait que 24% des répondants mentionnaient envisager changer d’emploi, et 20% supplémentaires hésitaient à ce sujet. L’une des représentantes de la firme estimait alors que les travailleurs de moins de 40 ans étaient deux fois plus susceptibles que les tranches d’âge supérieur à changer de carrière.

Qu’est-ce qui nous pousse à changer de carrière lorsque l’on a étudié parfois des années pour un domaine ? Ou que l’on parlait depuis l’adolescence d’un certain métier ?

L’un de mes amis, Guilhem, âgé aujourd’hui de 38 ans, a commencé son premier métier par l’effet d’un « accident positif ». « Je terminais un master en France pour travailler en génie conseil en acoustique, or étant encore jeune et fraichement marié, je-on décidait qu’un petit tour à l’étranger pouvait être très formateur. » Son sujet de thèse, il le choisit en fonction de la destination : Montréal. « Je postule, ça marche, on arrive avec nos deux valises et notre chat et c’est parti pour une thèse qui va durer 5 ans, sur un sujet qui m’a amusé, dégoûté, intéressé par certains aspects, mais jamais vraiment passionné comme peuvent souvent le dire des étudiants qui ont choisi un sujet de thèse plutôt qu’une destination exotique pour la faire. »

Un nouveau contrat l’entraine vers 5 nouvelles années dans la même profession. Cinq années durant lesquelles il ne se pose guère la question de l’après, jeunes enfants obligent. Jusqu’à la prise de conscience, qui a pris pour Guilhem la forme d’une grande lassitude, doublée d’une impression de manquer de perspectives d’avenir dans le rôle qu’il occupait alors.  » La perspective de devenir prof à l’université ne m’enchantait que très moyennement, je voyais les jeunes profs autour de moi travailler beaucoup trop et aussi la frustration des aspirants profs et les efforts interminables que prenait cette quête pour eux ». Il s’interroge sur la possibilité de faire de la recherche dans le privé, à son compte, mais déchante. « Je me rendais déjà compte que j’allais surement faire du développement de produits pour ajouter à la pile de gogosses technos déjà existants. »

La lassitude, c’est aussi ce qui a conduit mon amie Violette, dans la jeune trentaine, a changé de métier. Après avoir suivi un parcours littéraire, elle se tourne rapidement vers la presse écrite et y devient pigiste. En septembre 2020, alors qu’elle exerce sa profession depuis déjà dix ans, elle prend la décision d’y mettre un terme. « À l’origine, je voulais avoir un métier qui allait me permettre de ne pas m’ennuyer et dans lequel je pouvais écrire », souligne-t-elle. « Mais la part consacrée à la partie créative et intellectuelle devenait moindre par rapport au temps passé à démarcher les rédactions, relancer et relancer encore… » Les tâches administratives, le manque de support mais aussi l’impression de courir sans cesse après sa paie gangrènent souvent le milieu du journalisme, à plus forte raison lorsque le métier s’exerce à la pige.

Outre les difficultés relatives à l’environnement particulier, comme l’orientation prise par certaines rédactions en faveur d’articles « faisant du clic », le milieu encore sexiste, le manque de solidarité entre les pigistes et l’impression de stagner, autant en termes d’expérience que financièrement, ont eu raison des dernières ambitions de Violette. Cette impression de faire du sur-place est particulièrement fréquente chez ceux qui envisagent de changer de carrière. Parfois proches du « bore-out », selon l’expression désignée pour décrire l’ennui, la perte de sens et l’absence de possibilités d’évolution qui peuvent conduire à un état dépressif, nombre de travailleurs décident de changer de voie professionnelle pour sortir de ce schéma destructif.

Parfois, ce n’est pas la lassitude mais plutôt la prise de conscience que l’on ne s’est pas engagée dans la bonne carrière qui pousse à agir. Pour Julie, 38 ans, il s’est agi surtout au départ d’un concours de circonstances. Désirant suivre son conjoint muté à La Réunion, elle démissionne de son poste de chargée de recouvrement et assistante en comptabilité. Ce rôle, explique-t-elle, « ne correspondait en aucun cas à (ce qu’elle visait) comme poste après (ses) études. » Son métier dans le recouvrement, Julie ne l’a en effet pas vraiment choisi. C’est plutôt l’urgence ou l’impératif de trouver un emploi qui l’ont fait cheminer dans cette voie. Titulaire d’un Master 2 en Management des Affaires Internationales, trilingue, elle rencontre des difficultés pour décrocher un emploi dans sa branche. Alors qu’elle vit à Dublin, en Irlande, elle trouve un emploi en recouvrement dans une entreprise d’envergure mondiale. « Je me suis dit que ce serait une bonne opportunité pour avoir un pied dans un grand groupe et évoluer par la suite », souligne-t-elle. Malgré sa clairvoyance et la conviction qu’elle ne devait pas rester trop longtemps dans ce poste « pour éviter qu’il ne (lui) « colle trop à la peau » », en sortir s’avère finalement plus difficile que ce qu’elle avait espéré. Après une année sabbatique à voyager en Amérique Latine, Julie retourne en France… et retrouve du travail rapidement grâce à son expérience en recouvrement. Le piège se referme. C’est une sorte de cercle vicieux que de se professionnaliser dans un métier que l’on occupait à l’origine seulement de façon temporaire. On souhaite en sortir, mais l’on ne trouve guère d’emploi sans l’expérience requise. On y retourne, parce que l’on a acquis les compétences et la légitimité nécessaires. La motivation est absente mais l’expérience redirige sans cesse vers l’emploi que l’on finit par honnir.

Parfois, aussi, c’est un cheminement logique qui se profile, le souhait de s’orienter vers quelque chose qui nous tentait depuis longtemps, sans que l’on ait réussi à sauter le pas plus tôt. Les premières études d’Alexandre, 38 ans, le mènent vers la programmation. Ces études, censées lui apporter de belles perspectives professionnelles, sont cependant éloignées du métier de coiffeur pour lequel il nourrit un intérêt. À ce moment-ci, l’aspect financier devient un frein. « Je n’ai pas pu concrétiser (cet intérêt) car il fallait que je passe un an à temps complet en formation, je n’aurais pas pu travailler en même temps et je ne pouvais pas me le permettre. » En arrivant au Québec, c’est un rôle de gestionnaire de communauté pour le quartier de Verdun, à Montréal, qu’il occupe finalement. Interagir avec les gens de son quartier et générer de l’attraction pour les commerçants locaux donne du sens à sa mission. En parallèle de son emploi, Alexandre développe une gamme de produits artisanaux pour l’entretien de la barbe. « Celle-ci m’a permis d’être en relation avec le monde des barbiers qui prenait beaucoup d’émergence à Montréal », estime-t-il. Lorsqu’il n’est pas prolongé dans ses fonctions, Alexandre prend alors naturellement le virage de ce monde-ci, renouant ainsi avec ses premières amours.

Ainsi, la reconversion peut simplement prendre la tournure d’un cheminement serein, une suite d’événements menant d’un emploi à un autre jusqu’à trouver celui qui fait vraiment vibrer. Ou bien celui qui fait le plus de sens, à un moment donné. Et lorsque l’on finit de s’interroger sur ce qu’on laisse derrière soi, alors peut-on sereinement se poser la question de l’après et mesurer les efforts nécessaires pour parvenir à son but. Mais est-ce si facile, de se reconvertir ?

-Lexie Swing-

8 réflexions sur “Changer de carrière : la genèse

  1. Je me retrouve dans ces lignes. On ne choisit pas toujours et quand on choisit on ne sait pas toujours quelle forme ou quel avenir vraiment, il y a tellement de paramètres et nous aussi nous changeons, nous ne voulons pas toujours les mêmes choses qu’au début.
    Se reconvertir on en entend beaucoup parler mais ce n’est pas une mince affaire. J’ai voulu et puis j’ai mis en stand by. Peut-être qu’un jour j’irai au bout de cette envie.
    A suivre…
    Beau et bon weekend Lexie.

      • Bonjour Lexie. Aujourd’hui je suis assistante de direction. Le métier en lui même me plait. Mais ça n’est pas un job de coeur. Et vu la façon dont les choses évoluent, d’ici quelques année ce métier n’existera plus ou alors dans une version qui ne sera plus adaptée à mes souhaits! On verra!

      • Qu’est ce qui te fait penser qu’il n’existera plus ou différemment ? Est ce qu’il y a bcp de choses qui sont faites désormais par ordinateur, voire sois-traitées ?

  2. Heureusement pour moi, j’aime toujours mon métier. J’enseigne en primaire et je suis dans la même école depuis 21 ans. Les années se suivent mais ne se ressemblent pas puisque les enfants changent et c’est toujours une « mayonnaise » différente. Et puis en 21 ans, il n’y a plus qu’une collègue qui est là depuis le départ. Par contre, je n’en peux plus de ne pas être reconnue financièrement et du mépris du ministre, de l’administration etc…. mais dès que je rentre dans ma classe, ma bulle je sais pourquoi je me lève.

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