
Les balises sont posées, le plan de vol opérationnel, après l’envie de changer de carrière et l’effort consacré à mettre en place ce changement vient enfin le renouveau, ce quotidien qu’on avait espéré et qui s’est finalement mis en place, subrepticement.
Guilhem, « ex » acousticien, a donc choisi de se reconvertir vers le métier de massothérapeute. « J’avais (…) ce besoin de travailler avec mon corps, mes mains, pour aider plus directement les gens. » Après une blessure, il avait également expérimenté la massothérapie comme une « approche clé » de la gestion de la douleur et de la guérison. En complément de ses premières 450 heures de formation, Guilhem a dû assurer la partie pratique, soit 40h de massages en clinique-école. Ses journées sont alors ponctuées de 4 à 5 massages, avec 15 minutes de repos entre chaque. « De ce point de vue là, j’ai été bien préparé mais en me réorientant je ne m’attendais pas à ce rythme qui est quand même un peu effréné au début », se souvient-il. Et de plaisanter : « On ne va pas se mentir, j’ai quand même fini les premières semaines avec les avant-bras dans une bassine de glace! »
L’aspect physique, Alexandre, « ex » gestionnaire de communautés et nouvellement barbier, y a été confronté également. « C’est un métier physique qui demande d’être debout toute la journée et dont la mauvaise humeur ou la contrariété du quotidien doit être dissimulée pour que le client ait un moment relax où lui peut décompresser ».
Conciliation travail-famille
Après s’être formé de façon autodidacte en proposant ses services gratuitement aux gens de son quartier et avoir travaillé dans différents salons durant six ans, il a finalement fait le saut en ouvrant son propre salon « Parallèle Barbershop » à Verdun, dans Montréal. Un lieu qui, selon lui, le représente assez bien et au sein duquel il a l’avantage d’être seul maître à bord. « J’organise mon horaire comme je le souhaite, je fixe mes propres règles, je sélectionne ma clientèle et je peux concilier un travail au service des autres avec un horaire de famille. »
Pouvoir conjuguer travail et vie familiale a été l’un des principaux facteurs de choix pour Julie. « Ex » chargée de recouvrement et assistante en comptabilité, elle a lancé il y a quelques mois son entreprise JA Créatrice de contenu. Le tout premier avantage qu’elle voit à sa reconversion est la souplesse horaire. Les rebondissements dus à la Covid, la crèche qui ferme soudainement ou l’école qui renvoie un enfant à la maison pour cause de cas dans la classe, ont été des contraintes plus faciles à gérer dans un quotidien où Julie n’avait de comptes à rendre qu’à elle-même. La liberté d’organiser son horaire à sa guise a aussi eu un impact favorable du point de vue de sa créativité. « Je travaille aussi quand j’ai le plus d’inspiration (…), ce qui veut parfois dire de travailler le soir une fois les enfants couchés, mais je fais comme je veux. »
(In)stabilité financière
Mais flexibilité horaire ne veut pas dire que l’on travaille peu, bien au contraire. « Je ne pensais pas que ce serait aussi intense que cela, aussi souvent. Avec deux enfants en bas âge, j’ai parfois du mal à garder le rythme et la frustration de ne pas avoir encore de « gros » clients reste très présente. » Autre inconvénient de taille d’un métier de travailleur autonome : l’instabilité financière. Encore à l’aube de sa reconversion, Julie avoue être dans l’expectative. « Je ne vis pas encore de mon nouveau métier, cela pourrait encore prendre plusieurs mois et je sais que d’ici quelques temps il faudra faire le choix de continuer ou d’arrêter et de retourner dans le monde du salariat. »
Guilhem a connu également cette phase de doutes quant à la contrainte financière de la reconversion. Alors qu’il commençait à exercer sa nouvelle pratique, il s’autorisait à prendre quelques mandats en acoustique pour continuer à apporter une contribution financière suffisante à sa famille. « J’ai trouvé plus difficile justement de tenir le bout avec mon autre carrière pendant que je prenais des mandats, de ne pas céder aux chants des sirènes de l’argent proposé par mes clients. » Car son métier originel lui offrait la possibilité de gagner un salaire relativement important. « Concrètement, ça revient à refuser un salaire à 6 chiffres ou des mandats beaucoup plus conséquents pour garder ça ponctuel et dégager du temps pour faire de la réception à 17$/h qui s’est tranquillement transformée en 2 journées/semaine comme masso… » En prenant quelques mandats, combinés à son salaire fixe, il est parvenu à conserver un certain équilibre, jusqu’à finalement se consacrer uniquement à la massothérapie, sur un rythme de 20 à 25 massages par semaine environ. « Soyons clair, on ne devient pas riche en étant massothérapeute, les formations coûtent cher mais on arrive à un équilibre qui pour l’instant nous va très bien ».
Le bénéfice du salariat
Récemment, Marie, du blog Petits ruisseaux grandes rivières et auteure du livre « Education positive : une question d’équilibre », relayait sur son compte Instragram, dans une story désormais mise à la une sous le nom de « reconversion », une pluie de témoignages reçus à la suite du partage d’un article du site Les Échos « Charpentier, boucher, coiffeur, ils ont tout coiffé pour un job de bureau« . L’article et les commentaires reçus par Marie étaient éloquents au regard de cette instabilité financière qui accompagne parfois les reconversions… et de la recherche d’un salaire mensuel fixe qui peut devenir le facteur principal d’un changement.
Violette en a fait l’expérience. « Ex » journaliste, devenue employée de bibliothèque, elle goûte désormais avec bonheur à la satisfaction de voir tomber un salaire tous les mois. « Ça rend les choses tellement plus faciles », reconnaît-elle. Elle qui démarchait sans relâche les rédactions et courait sans cesse après le paiement de ses piges profite de cette sécurité financière. La facilité avec laquelle elle a pu mettre en place son projet de reconversion a également pesé favorablement dans la balance. Entre son bilan de compétences réalisé à l’automne 2020 et son premier emploi dans le domaine, 10 mois se sont écoulés. Le temps pour Violette de terminer ses articles en cours, terminer son bilan et même réaliser des stages de découverte en bibliothèque. Après avoir envoyé quelques candidatures en avril 2021, elle a été contactée pour trois entretiens et reçu une offre d’emploi pour deux d’entre eux. Une dynamique que même la Covid n’est pas venue ternir. « J’ai craint jusqu’au bout que ce soit annulé, avec les confinements successifs ». Mais son nouvel emploi a bel et bien commencé début juillet 2021.
Le plus difficile pour elle a été de faire le deuil de ce métier dans lequel elle avait mis tant d’énergie. « Je voyais (…) des journalistes qui relayaient leurs articles et je me disais que j’aurais aimé écrire sur ce sujet, ou bien je pensais à une publication et me disais que je ne l’avais pas encore essayée, celle-ci… » Durant quelques mois, le temps de son bilan de compétences, cette amertume plane, jusqu’à ce que finalement la rationalité l’emporte. « J’ai réalisé que j’avais essayé beaucoup, finalement, et que c’était difficile partout. »
Doutes de néophytes
L’autre aspect difficile pour Violette a été le fait de se retrouver novice, de nouveau. Passer d’un rôle que l’on maîtrise par coeur à un métier pour lequel tout est à réapprendre peut être un vrai défi moral, surtout lorsque l’on avance en âge. Dans un reportage réalisé par le Journal La Montagne, la Riomoise Marion Le Lann, ex-employée en communication se formant au métier d’encadreur d’art, aborde cet aspect particulier de la reconversion. « Pour moi, qui ai fait des études supérieures (*) : ne pas chercher à intellectualiser, mais faire ce qu’on me dit de faire comme on me dit de le faire. C’est une complexion d’esprit différente » explique-t-elle à la journaliste Géraldine Messina. Pour Violette, le salut est venu de sa capacité à lâcher prise. « Je suis arrivée en poste et j’ai eu l’impression de ne rien savoir faire, se souvient-elle. J’avais des responsabilités, on m’avait fait confiance et je me suis sentie un peu acculée. Finalement, j’ai posé des questions et j’ai avancé. » Accepter et faire accepter aux autres le fait que l’on puisse être plus âgé et débutant est la base d’une reconversion sereine.
Guilhem en a aussi fait l’expérience. La pratique primant dans l’apprentissage de son métier de massothérapeute, il a dû multiplier les possibilités de l’exercer, tout en répondant aux demandes de sa clientèle, dans un contexte concurrentiel. « La fluidité, l’écoute des besoins de la personne recevant le massage, la bonne manœuvre au bon moment, tout cela s’acquiert avec l’expérience et c’est évident qu’au début, on fait quelques erreurs qu’il faut accepter. » Après plus de 200 massages donnés à titre professionnel, il constate chaque semaine la progression que cela lui apporte.
Syndrome de l’imposteur
Le caractère difficile du fait d’être débutant dans un métier, Alexandre l’a expérimenté sous une autre forme : celle du syndrome de l’imposteur. Ce syndrome, fréquent dans le domaine professionnel en général, peut être exacerbé dans une situation de reconversion. Les attentes que l’on a envers soi-même sont supérieures à ce que l’on est susceptible d’accomplir du fait du recommencement, et la différence d’âge avec des collègues de compétences égales peut venir ajouter à ce décalage. Dans un article très récent, le magazine Capital donne des clés à ceux qui se sentent submergés par ce syndrome. En première ligne : les expériences professionnelles, avec l’appui desquelles on peut redessiner le contour de ses compétences et prendre conscience de sa valeur. Pour Alexandre, le temps et des formations supplémentaires ont été salutaires pour doper sa confiance. « Le syndrome de l’imposteur a fini par disparaître (…) à force de pratique et avec des petites formations avancées, j’ai pu combler mes lacunes. »
Lorsque l’on retrouve un équilibre financier et que l’apprentissage laisse place à une forme de maîtrise, vient alors le moment de faire un pas de côté pour mesurer le chemin accompli et décider vers quoi l’on souhaite tendre, désormais. Notre reconversion est-elle réussie ? Est-elle un aboutissement ou juste une étape vers quelque chose plus en phase avec nos aspirations réelles ? Seul le temps peut permettre d’établir les bénéfices et les pertes de sa reconversion.
-Lexie Swing-
Photo : Matthew Henry pour Burst
C’est intéressant Lexie parce que ce n’est en aucun cas le parcours linéaire que beaucoup vendent! Il y a comme pour tout dans la vie, des hauts, des bas, des remises en question et des ajustements nécessaires. Parfois une reconversion est un tremplin pour autre chose. Parfois on revient à son premier métier mais différemment.
C’est un expérience enrichissante!
Oui je suis d’accord avec toi et je crois qu’il faut se laisser cette chance-ci justement, que ca ne fonctionne peut être pas ou pas tout de suite, ou que ce soit, comme tu dis, un tremplin vers autre chose.