Le pays des jours de pluie

En tant qu’immigrant, on se fait souvent demander si notre pays ne nous manque pas. Beaucoup? Allez, un peu quand même. Même pas les bons croissants?

Selon notre degré d’intégration, on objecte mentalement contre les termes «notre pays», qui reflètent parfois moins le pays quitté que le pays d’accueil. Disons que «chez nous» a le dos large. Sauf les jours de pluie.

Les jours de pluie, «Chez nous» a un goût de râpées stéphanoises et de jeux de cartes. Il a la couleur de l’enfance, la voix des êtres chers. «Chez nous» a fini par devenir cet endroit où nous n’avons jamais vraiment vécu, mais souvent foulé. Ces conifères caractéristiques, ces immeubles terriblement moches, cette gentillesse gravée au cœur.

Le pays de l’enfance n’est pas celui où l’on est né, c’est celui où l’on grandit, où l’on apprend. C’est l’accent des aventures et la couleur du ciel. Ce sont les fourmis que l’on cloisonne entre deux brindilles, ce sont les pierres rêches sous les doigts. C’est le tabouret fendu de la cuisine sur lequel on se juche. Ce sont les imperfections que l’on réserve aux intimes, les torchons tâchés qu’on dissimule pendant les visites, la tasse ébréchée où l’on sait boire sans se couper. Ce sont les bols préférés que l’on doit laisser aux invités, par politesse. C’est une cachette en haut de l’escalier, derrière les étagères. C’est un prénom qu’on a inscrit au recoin d’une porte, pour laisser sa trace aux griffes du temps.

Ce sont des nouvelles, des émissions connues, des génériques rassembleurs. Ce sont des victoires, des cris dans la foule. C’est la face de Jacques Chirac qui se matérialise sur le plateau des Guignols en 1995. C’est l’adolescent juché sur un lampadaire, scrutant un peuple niortais en délire, place de la Brèche, un 12 juillet. Ce sont des supporters clermontois écœurés, place du Capitole, les genoux sous le menton et les yeux vides, murmurant «putain, une 7e défaite». C’est un présentateur météo chéri de tous s’effondrant en direct à la télévision.

Le pays de l’enfance, c’est celui des souvenirs partagés et de la terre foulée. C’est une construction du temps, une appartenance du moment, qui fait fi des origines et de la consonance des noms. Ce sont des expressions en mutation que l’on collectionne comme autant de petits cailloux. Une manière imparfaite de garder la trace de son chemin. Savoir d’où l’on vient, et en tirer la force nécessaire pour se tenir debout. Se laisser libre de choisir la suite.

-Lexie Swing-

L’école au Québec : tout ce que j’aurais voulu savoir avant

Au Québec, l’école commence à 5 ans. Les enfants entrent alors en maternelle, dans un niveau qui correspond globalement à la grande section, en France. L’enjeu y est d’apprendre les lettres, les chiffres, mais surtout – et avant tout – d’adopter une routine et une capacité à suivre des consignes, rester assis en écoutant un professeur, travailler en groupe.

Au moment d’entrer à l’école, les niveaux des enfants sont souvent inégaux, autant en termes de connaissances que d’apprentissage purement social. Certains arrivent de CPE, d’autres de prématernelle axée sur l’apprentissage théorique qui souvent couvre déjà une partie du programme de maternelle. Il y a des enfants issus de garderies qu’on dit familiales – souvent 6-7 enfants entre 6 mois et 5 ans, gardés par une seule personne à son domicile. D’autres, enfin, ont été gardés à la maison par une mère ou un père en congé parental.

Avant l’entrée à l’école, en août dernier, j’avais mille questions, que je posais régulièrement aux parents avec plus d’ancienneté et à mes amis qui avaient grandi à l’école québécoise. Depuis, j’ai obtenu quelques réponses, que je vous livre ici.

L’école finit tôt… mais il y a un service de garde

L’école a lieu de 8h15 – 14h30 (en maternelle) ou 15h30 par la suite. Je me demandais comment faisait le commun des parents mortels pour rentrer à la maison aussi tôt. Et si les enfants pouvaient rester le soir, était-ce une étude? Tous assis pendant 3h de temps? Finalement, j’ai découvert le service de garde, ouvert à compter de 7h, et jusqu’à 18h. Autant dire que de notre côté, nous l’utilisons à son plein potentiel. B. a le choix entre la salle de dessins et jeux, et le gymnase (le matin). Le soir, elle commence par une récréation, avant de passer du temps dans la salle dédiée aux jeux puis de se rendre au gymnase. Le vendredi, elle revient toujours (magnifiquement) maquillée. Sa classe possède une éducatrice dédiée, qui est présente pour eux le matin, le midi et le soir.

Est-ce que c’est vrai qu’ils mangent dans leurs salles de classe et qu’il n’y a pas de micro-ondes?

Dans son école, oui. Dans d’autres écoles il y a des micro-ondes et/ou une salle spécifique pour les repas. Mon conjoint a déjà travaillé dans un gymnase où, quelques minutes avant midi, le personnel dépliait de grandes tables pour permettre aux enfants de manger. Pour nous, c’est donc dans la salle de classe et l’enfant apporte sa boite à lunch. Un service traiteur est également disponible, si besoin est, mais il doit être commandé à l’avance (impossible de se rendre compte le matin même qu’on n’a pas de quoi nourrir son précieux).

Je n’imagine pas ce qu’on peut bien mettre dans une boite à lunch…

Chaque midi, mon conjoint et moi apportons nos boites à lunch au bureau, et B. mange globalement la même chose. Elle a parfois un plat chaud – placé dans un Thermos pour le garder chaud – et parfois un ensemble de petites choses froides. Ce midi, c’était quiche, légumes, chips tortilla et trempette au yogourt. Demain, couscous (en Thermos, donc). Selon les écoles, on peut être plus ou moins surveillé concernant ce qu’on met dans les boites à lunch. Les bonbons sont interdits de notre côté, mais les cupcakes pour le goûter sont autorisés. Dans d’autres écoles, des parents ont déjà reçu une note concernant le chocolat ou les chips. Et pour tous, les précautions prévalent généralement, avec une interdiction assez généralisée de tout ce qui contient des noix. Côté collation, il y en a deux à prévoir : une le matin qui doit être composée de legumes, fruits, yogourt… et une le soir, qui peut être toutes sortes de choses. Généralement je glisse à B. un muffin ou un cookie que j’ai cuit le matin. Sa boîte à lunch est entièrement zero déchet, au depart parce que j’avais peur qu’elle jette les ustensiles (couverts) avec le papier du gâteau ou la gourde de compote, et désormais par conviction.

C’est quoi, une journée pédagogique?

À ma connaissance, c’est une journée où les professeurs sont en formation. De fait, il n’y a pas cours, mais il est possible d’emmener les enfants à l’école. Certaines fois, une sortie est prévue – moyennant finances. D’autres fois, des activités sont organisées à l’école, suivant un thème défini. À date, B. est allée aux quilles (au bowling), au zoo, et au centre d’amusement. Elle a passé plusieurs journées pédagogiques à l’école également, revenant généralement maquillée et fatiguée! Les journées pédagogiques ont lieu au moins une fois par mois. Sont également prévues au calendrier des journées tempête, donc des journées de force majeure où l’école pourrait être fermée (pour cause de tempête). Elles sont affichées généralement assez tard dans la saison, en mars par exemple. À titre d’exemple, notre école a été fermée une journée en janvier pour cause de tempête, la journée de force majeure prévue est mars est donc devenue une journée travaillée normale.

Il y a vraiment si peu de vacances?

Si peu, ça dépend comment on se place, mais il y a 3 semaines de vacances durant l’année scolaire : deux à Noël et une fin février/début mars. À titre de comparaison, les écoliers français ont 8 semaines de congés durant l’année – si je compte bien (Toussaint, Noël, Hiver et Pâques). Globalement, nous trouvons quand même le rythme appréciable. Les jours sont tous pareils (pas de semaine de 4 jours ou 4 jours et demi) et globalement courts (8h15-15h30, comme écrit précédemment). Les enfants sont fatigués en ce moment, mais c’est une fatigue assez répandu au Québec par les temps qui courent, l’hiver de six mois raréfiant notre exposition au soleil et nos sorties. Bref, le printemps gagne du terrain et on saute tous de joie!

Est-ce qu’il y a des devoirs?

Chez nous, oui. Même si B. n’est qu’en maternelle. Lors de notre première réunion, les institutrices ont tout de suite précisé qu’elles n’en avaient pas donné pendant longtemps, mais qu’elles avaient changé leurs fusils d’épaules après que les enfants ont exprimé l’envie de rapporter quelques devoirs pour montrer à leurs parents leurs apprentissages et leurs progrès. On en a donc, mais avec parcimonie!

En quoi c’est différent de l’école en France?

En France, lorsque les enfants arrivent en grande section, ils ont – la plupart du temps – passé déjà deux ans à l’école. Ils ont acquis une certaine routine, ils connaissent les locaux, etc. Au Québec, lorsqu’ils arrivent en maternelle à 5 ans, tout est nouveau (sauf prématernelle 4 ans, comme il en existe dans certaines écoles) et tout est donc à acquérir. Comme nous sommes un groupe d’amies avec des enfants nés au même moment, à cheval sur la France et le Québec, j’ai pu comparer les expériences, y compris avec les souvenirs conservés de ma propre enfance. À mi-parcours, je me suis interrogée. Était-ce normal qu’elle n’apprenne pas encore vraiment l’écriture? À déchiffrer ses premiers mots? À compter jusqu’à 100? À côté de ça, j’ai vu se développer chez elle une capacité à travailler en équipe et une plus grande maîtrise de l’expression orale. Elle a aussi développé des connaissances pointues sur les thèmes abordés mensuellement, à l’instar des dinosaures. Sa photo et son nom ont également été affichés sur le tableau d’honneur de l’école pour son application – et implication – dans ses travaux. Le tableau d’honneur célèbre ainsi chaque mois un enfant par classe, dans tous les niveaux, sur un thème donné. Par exemple, le thème de janvier ou février était «j’apporte mon aide à mes camarades» et la mention au tableau d’honneur semble récompenser l’enfant qui a fourni un effort sur ce thème précis plutôt que celui qui a un don particulier en la matière. Si un instant je me suis interrogée quant à l’apprentissage théorique, je m’aperçois aujourd’hui que l’école telle que ma fille en fait l’expérience lui a offert d’ores et déjà des bases solides en termes de confiance en soi et d’implication au sein de l’école. Le mentorat entre les élèves plus âgés et les maternelles a aussi conduit à une meilleure intégration des plus petits, qui comptent désormais des alliés parmi les grands. J’ai hâte maintenant de voir ce que l’école primaire nous offrira, et à quel point l’éducation scolaire à la québécoise aura un impact sur le développement de ma fille, et sur celui de sa sœur, plus tard.

 

-Lexie Swing-

 

Photos : Matthew Henry (Burst)

C’était journée tempête

Les commissions scolaires n’ont pas pris de risque. 30 cm de neige annoncés dans la nuit : la fermeture des écoles a été anticipée dès la veille au soir. Rapidement, les garderies ont suivi. Le personnel plus que restreint – les éducatrices sont souvent des mamans d’écoliers également – rendait l’ouverture impossible. Le train passait, ou peut-être pas. Les bus seraient ralentis, visibilité réduite oblige.

C’était journée tempête. On avait tous anticipé le chaos à venir. Pas de lunchs prêts, pas de devoirs faits, pas d’habits préparés. A peine une recette de pancakes au yogourt sortie sur le comptoir. Et un accès travail à distance demandé pour la cause. A 6h du matin, le potager avait disparu, ainsi que l’allée, une partie des escaliers et l’arbuste au fond de la cour. La neige était au rendez-vous.

On a ouvert nos ordinateurs, mélangé la pâte des pancakes et fait chauffer le café. Alors que l’ancienne génération s’émouvait sur les ondes que « de (notre) temps, on allait à l’école quand même », une commentatrice a fait remarquer : « pourquoi voulons-nous à tout prix braver les éléments ? Pourquoi prendre des risques ? Nous sommes au Québec, adaptons-nous à notre nordicité ». J’ai trouvé ça juste et vrai. Pourquoi lutter ?

Nous avons fait comme nos enfants, excités comme des puces de passer un mercredi en pyjama en regardant la neige tomber – le mercredi n’est jamais un jour off pour les écoliers ici. Nous avons accepté la lenteur du jour et le travail entrecoupé de constructions de legos, et de découpage de sablés.

Il a fallu pousser la voiture prise dans la neige haute, juste à temps pour voir arriver notre service de déneigement privé, venue refaire une petite tournée. Sortir n’est jamais une bonne idée en ces jours enneigés.

Car c’est aussi ça, le Québec. Des journées tempête et de la neige à foison. Légèrement hors du temps.

-Lexie Swing-

Dans mes bottes d’hiver

On lit beaucoup de choses quand on immigre au Canada. On apprend l’été indien, on s’interroge devant les expressions, on s’impatiente devant l’incroyable nature. On ne sait pas vraiment, en revanche, le quotidien. Ça ne peut pas vraiment se raconter, le quotidien, ça ne peut pas vraiment se décrire. Surtout le quotidien d’hiver. Cette saison qui commence parfois dès novembre et s’attarde jusqu’en avril. Ces mois passés bottes de neige aux pieds et manteau de ski long sur le dos. Six mois durant, la masse est faite de silhouettes vaguement informes, épaissement vêtues et coiffées de bonnets sombres. Au diable l’accoutrement, le but est de survivre face à un ressenti -30 au petit matin sur le quai d’une gare de banlieue. Un quai de plein pied, ouvert aux quatre vents, parfaitement bucolique, cruellement froid. 

6 mois où la neige ne quitte plus le jardin, où l’herbe s’endort sous son chaud manteau. 6 mois où l’on paie le déneigement après avoir difficilement tenté de le faire soi-même et avoir renoncé à la 18ème tempête de neige de janvier, quand il n’est plus possible  de dépasser l’entrée du garage parce que la neige s’en vient jusqu’à la taille. 

Des semaines à patiner sur le lac, à descendre les cotes des parcs en luge, ou même l’allée du garage ! Des week-ends à sortir les raquettes, les fatbikes et les skis. Une vie à mi-chemin entre la ville où nous travaillons et les pistes de ski du mont qui surplombe la maison. 

Le matin, droite dans mes bottes, et frissonnant dans mes collants, je ferme les yeux. La lumière, cette  luminosité incroyable propre au grand froid, baigne nos visages endormis. Sur le quai de la gare, luttant contre le vent, je fais des ronds blancs de froid dans l’air qui se blanchit. Respirer chaque seconde, pour ne jamais oublier sa chance de se trouver ici. Il faut la mesurer, sa chance. Elle nous tiendra chaud cette semaine : les -20 s’annoncent déjà. 

-Lexie Swing-

Sa petite rentrée au Canada

Demain, c’est le jour tant attendu : Miss Swing rentre à l’école. C’est réellement un nouveau chapitre dans notre livre familial. Plus que n’importe quel anniversaire, plus que certains acquis essentiels, cette étape-ci, franche et datable, marque un tournant. En dehors de sa conscience propre d’enfant qui grandit, je me sens moi aussi une mère qui grandit. Je deviendrai demain une mère d’écolière. Mon emprise se relâche, et ma confiance devra s’agrandir pour laisser mon oisillon voler au sein de ces groupes plus larges, dans ces lieux inconnus, au milieu de ces visages nouveaux. Mais qu’est-ce que ça fait, concrètement, de rentrer à l’école au Canada?

Au Québec, on entre à l’école à 5 ans

Tous ceux qui s’interrogeaient déjà sur un retard seront rassurés : ici on entre à l’école à 5 ans, sauf exception d’une pré-maternelle à 4 ans. Ma B., pleine de ses 5 ans et demi, est donc parfaitement dans les clous. Avec elle, il y aura des enfants nés du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2013. Des presque 6 ans, et des tout juste 5 ans. Est-ce mieux de couper en octobre ou moins bien qu’ailleurs? Difficile à juger, mais comme le dit la réponse généralement formulée, «il fallait bien couper quelque part».

En pratique, cela signifie aussi que l’enfant n’est pas dans le même état d’esprit, la même maturité, que s’il commençait l’école à trois ans. Il comprend parfaitement ce que l’idée d’école signifie, il a notion des enjeux, il a saisi que l’an prochain serait celui de la grande école et des apprentissages de la lecture et du calcul. Il comprend plus, appréhende plus parfois aussi. Mais il est aussi très impatient. Pour un parent, les laisser s’envoler à 5 ans est rassurant. Et je peux comparer facilement : mes filles ont 5 et 3 ans, ce qui signifie qu’en France, Tempête pourrait entrer à l’école cette année. Serait-elle prête? Oui, pourquoi pas? Est-ce que je la vois mieux rester deux années de plus à la garderie, les cheveux au vent sur son tricycle, s’épanouissant au milieu de son petit groupe, dans son petit local? Absolument.

Je n’ai pas tout compris à la liste de fournitures

Je crois que l’incompréhension face aux listes de fournitures est universelle, mais lorsque s’y ajoutent des termes différents parce que propres au pays ou à la région où l’on a immigré, les choses se corsent! Je sais maintenant ce qu’est un duo-tang et j’ai déduit facilement que la boite de douze marqueurs était une boite de feutres et non de surligneurs. Mes quelques années déjà passées ici m’avaient préparée au cartable (qui est un classeur) et à l’efface (qui est une gomme). Bon, il y a deux-trois affaires pour lesquelles j’ai rendu les armes, appelant au secours amies et vendeur bien intentionné.

Le midi, c’est boîte à lunch

Dans nos écoles, point de cantine. Le midi, les enfants apportent généralement leur contenant type Tupperware®, ou des versions plus élaborées de boites compartimentées. Dans notre école, il n’y a pas non plus de micro-ondes (personnellement je préfère, qui sait ce que les gamins seraient susceptibles d’y mettre?). Petits sandwichs, quiches, légumes variés, muffins salés, œufs durs et bâtonnets de fromage seront donc au programme. Pour les plats chauds, nous avons investi dans un contenant Thermos. De notre côté, tout a été prévu pour limiter les déchets. Pour l’environnement, bien entendu, mais aussi pour éviter que partent à la poubelle des contenants qui n’y étaient pas destinés. Rien à jeter, rien à perdre donc.

Comme la plupart des écoles – je pense – un service de traiteur est possible. Ma fille pouvant être très picky, je ne suis pas certaine de l’employer de sitôt!

Il y a un service d’autobus scolaire

Les autobus scolaires, les fameux bus jaunes des films, on les trouve ici aussi. Il est possible de les prendre dès la maternelle. En pratique, en dessous d’une certaine distance, l’enfant n’y a pas droit car il est réputé pouvoir marcher jusqu’à l’école. C’est notre cas. En pratique également, l’autobus vient chercher les enfants proches de l’heure de début de l’école, et les ramène drette après la fin des classes. Comme nous partons trop tôt et revenons trop tard pour attendre avec notre fille l’arrivée de l’autobus et pour l’accueillir à son retour, ça n’aurait pas été non plus envisageable. De notre côté, elle ira donc à la garde le matin et le soir.

Les jours sont courts et les vacances peu nombreuses

En maternelle, B. sera en classe de 8h15 à 14h32 (précisément) avec un peu plus d’une heure pour manger. À compter de la primaire, elle finira une heure plus tard. Les horaires sont les mêmes chaque jour de la semaine d’école. Elle aura des vacances à Noël et une semaine fin février ou début mars. En complément, des journées qualifiées de pédagogiques sont prévues chaque mois. L’enfant peut être en congé ou venir à la garde de l’école et profiter de l’activité organisée ce jour-là (parfois il s’agit d’une sortie). Pour les professeurs, les journées pédagogiques sont des journées de formation. Il existe bien sûr des congés pour jours fériés mais également 3 journées de congé pour force majeure. À ma connaissance, ils visent à couvrir la possibilité d’école fermée en raison d’une tempête de neige ou de verglas, par exemple.

Mes filles iront à l’école publique francophone

Notre ville compte 3 écoles maternelles et primaires publiques francophones. Dès lors que nous avons choisi de les envoyer à l’école publique, nous avions l’obligation – n’y voyez aucune critique – en tant qu’immigrants issus d’un pays francophone et ayant fait leurs études en français, d’envoyer nos enfants à l’école francophone. (Je crois que la loi est différente pour les personnes sous visa de travail temporaire). Des amis ont inscrit leur enfant à l’école anglophone, après avoir prouvé que l’un des parents au moins avait étudié en anglais. Il existe également des écoles spécialisées, qui peuvent être publiques (alternatives) ou privées (arts-études, Montessori, écoles internationales…). Et des écoles privées, dont les coûts diffèrent et qui ne sont pas liées à une confession (elles peuvent l’être mais ce n’est pas la majorité, je le précise ici car en France on voit souvent les écoles privées comme confessionnelles, bien qu’à ma connaissance ce ne soit pas nécessairement le cas.Toute précision sera bienvenue ici).

Tout ça, ce sont les grandes lignes. En pratique, l’école est certainement bien différente. Elle est connue pour être notamment plus à l’écoute des individualités et pour encourager les enfants dans leurs réussites plutôt que de pointer du doigt leurs faiblesses. On a bien hâte, en tout cas, d’en faire la découverte. Première réunion des parents ce soir, rentrée demain, à nous l’école!

Bonne rentrée à tous!

-Lexie Swing-

PS Sentez-vous libres de corriger les affirmations ci-dessus, c’est ma première fois à l’école québécoise, je ne suis pas l’abri d’une erreur!

Une main toute entière {Immigration}

Dans quelques jours, j’entrerai dans la cour des grands. Je serai un 5 ans et +, comme dirait ma fille. J’aurai, à mon actif, 5 ans d’immigration. 5 ans, une main toute entière. À mon échelle, c’est une poignée d’années. À celle de mon aînée, une existence entière.

Nous avons basculé, inexorablement, vers l’inertie du quotidien, l’habitude. Je ne questionne plus – pour autant que je l’ai jamais fait – je parcours, je vis, j’oscille dans cette continuité apaisée. Nous y avons nos repères, géographiques et sentimentaux. Nous avons vécu des premières fois, des deuxièmes, des dizaines et centaines. Nous avons déménagé à l’intérieur de ce même pays, de cette même province. Nous sommes passés de la ville à la banlieue, de un à deux enfants, d’un appartement à une maison avec jardin, d’un job à l’autre.

Et c’est peut-être ça qui marque un changement. Grandir à l’intérieur de son immigration, s’y installer, y faire son nid. Accepter une nouvelle réalité, et la transformer à son image. La faire sienne.

Nous aurions, probablement, fait tout cela. Nous aurions eu deux enfants, nous aurions acheté une maison, nous aurions évolué professionnellement, nous serions partis en vacances. Mais nous l’avons fait dans une autre dimension et à un autre niveau. Au sein de traditions et de paysages différents.

Nous avons construit le nid et sommes partis à l’aventure. Nous sommes désormais sereins. Les aventures elles-mêmes ont pris une autre mesure et s’inscrivent dans des frontières géographiques dont nous n’osions pas rêver. Nous planifions des voyages en Gaspésie, aux Iles-de-la-Madeleine, en Nouvelle-Écosse, en Colombie-Britannique… Nous revenons du Nouveau-Brunswick et avons passé plus d’une fois la frontière avec les États-Unis. Nous avons été à de nombreuses reprises vers l’Ouest, visitant l’Ontario. Et nos souhaits nous amènent à Hawaï (qui se prononce Hawaiii), à Seattle ou San Francisco, en Amérique Latine. Sur ce même continent.

La vie est-elle si différente ici ? Non. Les pas que l’on fait sont les mêmes, seul le chemin est différent. Ici, il est sec en été, lumineux et enneigé en hiver. Il est ruisselant au printemps et se couvre de feuilles écarlates l’automne venu.

L’important, finalement, est d’y être bien. Que l’horizon soit lumineux et la route pas trop sinueuse. Depuis 5 ans, et pour longtemps, je suis ici, et j’y suis bien.

-Lexie Swing-

Nous sommes ceux qui sont partis

A sa tante, un soir de juillet, B. a reproché : « Pourquoi as-tu déménagé en France, pourquoi tu es partie alors que nous sommes tous ici? » L’incrédulité a vite laissé place à l’amusement : « Mais ce n’est pas moi, c’est vous qui êtes partis, a-t-elle expliqué. Vous viviez en France et vous êtes partis vivre au Canada. »

Nous sommes ceux qui sont partis. Et bien qu’elle n’ait jamais ignoré qu’elle était née en France, mon aînée n’avait jamais fait le lien du départ. Nous avions déménagé, nous avions tout quitté, pour nous établir ici. Il lui était impossible de mesurer le poids du départ, la richesse de nos espoirs, la valeur des souvenirs. Elle ne peut se rappeler des meubles laissés derrière, de sa première chambre dont nous n’avons emportée que des photos et quelques objets déco, de la maison en haut de la colline où nous vivions alors. Nous avons pris l’essentiel – nous trois et notre chien, des vêtements et quelques ustensiles. Les livres et les CD dorment encore dans les garages de nos parents, nos cadres les plus grands ont rejoint d’autres murs et les meubles ont été éparpillés dans les demeures familiales.

« Ce n’est pas juste!, a déclaré B. plus tard ce soir-là. J’aimais ça, moi, la France. Pourquoi vous m’avez fait partir? » Sans le savoir, elle a fait écho à une question qui nous revient souvent, au rythme des visites. La seule qui se soit jamais posée au sujet de notre expatriation.

Peut-on vivre loin des siens?

Je n’ai pas la réponse à cette question. Je l’ai posée, plusieurs fois. Mon compagnon aussi. On vit, oui, loin des siens. On pourrait vivre mieux, s’ils étaient présents. On vit simplement, finalement, ce qu’on appelle des compromis. Pour vivre ici, j’ai fait des compromis. J’ai accepté que nos si proches, soient loin. Parce que j’étais convaincue qu’une vie meilleure nous attendait ici.

Et ça n’a rien d’un Eldorado. Je ne vous parle pas d’idéaux. J’ai vécu cette vie-ci, immigrée au Canada depuis 5 ans. Je sais ce que j’y ai gagné, j’ai mesuré ce que j’y ai perdu. Pour être ici, nous nous sommes déracinés. Mais que dire de mes enfants? Où sont-elles leurs racines? Nous, première génération de notre immigration, nous sommes les voyageurs. Nous sommes, et serons toujours je crois, en transit. Nous sommes entre deux réalités, deux cultures, deux existences. Nous avons inventé notre quotidien, créé notre normalité. Mes filles, elles, sont d’ici. Cette culture est la leur. C’est la deuxième génération, celle qui s’enracine.

Il n’y a pas de lieu idéal, celui-là même où s’additionnent nos aspirations, nos espoirs et leur présence. Je regrette parfois une vie qui n’existe pas. Une vie où ils jouent entre cousins, où elles grandissent auprès de leurs grands-parents, où nous sommes entourés par la famille au quotidien. Mais une vie, aussi, où elles sont des filles libres, des femmes qui pourront s’accomplir. Où on les respecte, et où elles pourront traverser une ville entière sans se faire manquer de respect, parce qu’elles sont des femmes. Une vie où nous avons trouvé, professionnellement, notre place. Où nous avons acheté notre première maison. Une vie simple, entre grande ville et grands espaces.

Il n’y avait pas de gros lot à gagner, et nous savions les dés pipés. Nous avons choisi. Nous avons parié sur leur futur, et le nôtre. Nous sommes au bon endroit. Nous y sommes seuls, mais nous sommes au bon endroit. Ce sont nos coeurs, surtout, qui perçoivent l’impact de cette séparation. Le temps peut-être, amoindrira nos solitudes, à mesure que la branche canadienne fleurira.

Elles repartiront peut-être, ou partiront pour d’autres horizons. Je n’ai pas de doute que les générations à venir tiennent le Monde entre leurs mains. Notre traversée ne sera alors qu’une coudée, un noeud dans l’arbre généalogique. Que nous aurons dessiné nous-mêmes, à la sueur de nos fronts. Maîtres de nos destinées.

-Lexie Swing-

Visite surprise

«Vous voudriez venir avec moi à l’aéroport demain matin? Je dois aller chercher une collègue qui rentre de voyage!»

Sourires ravis dans l’assistance. «Quelle collègue?», demande B. qui les connaît toutes. «Oui, quelle collègue au fait?», ai-je murmuré à mon amoureux, assis sur le bord du lit. «Caroline», a-t-il lancé, dans un élan dont l’esprit a le secret. (Je découvrirai bien assez tôt si seule Madame Ingalls a insufflé cette impulsion).

Après les débats vestimentaires de rigueur, nous grimpons dans la voiture et prenons la direction de l’aéroport. Nous sommes en avance, désormais coutumiers de cette attente. Nous sommes arrivées en retard les deux dernières fois, alors que l’ordinaire délai de une-heure-après-l’atterrissage s’était réduit à 30 minutes. Tant mieux pour nos familles mais quel dommage pour nous, qui ne pouvions que saisir nos invités au vol, après de courtes embrassades et des valises jetées dans le coffre, sous la pression des moteurs des voitures en attente et des regards courroucés de fatigue des conducteurs venus récupérer, eux aussi, leur famille.

Sitôt la voiture garée, j’ai saisi Tempête sur une hanche – elle craint le bruit grouillant des aéroports – et Miss Swing par la main. Traversant cahin-caha le passage piétonnier, puis le sas tournant, nous avons franchi les portes au moment même où nos invités nous prévenaient que si les nouvelles bornes avaient extraordinairement facilité leur passage à la douane, le tapis des bagages restait pour sa part aussi désespérément immobile qu’une heure de collège en cours d’espagnol.

Les minutes se sont alors allongées, au rythme tranquille des passagers qui surgissaient par vague derrière la porte automatique. À chaque nouvelle femme, Miss Swing demandait «Est-ce elle?», avant de secouer la tête «Non bien sûr je sais qui c’est Caroline, je l’ai vue plein de fois».

Il faudra vraiment que je demande qui est cette Caroline.

Je vous passe les seize Souris Verte et les trois Crocrocro. Toutes les fois où j’ai dansé la Polka même si papa ne voulait pas, accompagnée de Petrouchka et de ses nattes blondes. Je vous passe la chute soudaine de Tempête, qui s’est retrouvée coincée, cuisses sur le banc et tête en bas, parce qu’elle avait voulu s’appuyer sur le ruban qui délimite la sortie des passagers. Et mon fou rire, à la fois honteux et amusé, parce que mes yeux rivés sur mon téléphone m’avaient empêché d’éviter la chute, et parce que la proximité du banc avec le couloir de ruban m’empêchait de la saisir pour la remonter convenablement.

Je peux vous décrire ma fébrilité, lorsque j’ai su que les bagages étaient enfin arrivés. Le visage incrédule de Miss Swing, lorsque nos invités sont apparus. Sa petite voix qui interrogeait : «Mais je ne comprends pas, où est Caroline?», et moi qui répondait bêtement «Caroline, c’est tes grands-parents!». Et Tempête qui sautait de joie, parce qu’elle n’avait rien pigé à cette affaire de collègue, et que la seule perspective d’une attente à l’aéroport était une joie suffisante pour elle.

Les voilà donc. Ils ont fait bon voyage, merci. Mes parents sont de retour pour une semaine, après être venus au mois de mars, profitant des rabais de la fin du printemps.

Comme immigrants, nous profitons de chaque instant ainsi grapillé, de chaque moment volé. Nous inventons une vie, où les vacances se font en banlieue de Montréal, plutôt que dans le sud de la France. Visiter la famille prend désormais 7h de vol plutôt que 5h de train. Et nous ne sommes pas les seuls. Mes amis sont partout dans ce monde, sur tous les fuseaux horaires. Je suis admirative de cette facilité avec laquelle nous avons construit nos existences sur d’autres terres, tout en gardant ce lien fort avec le pays qui nous a vus naître. Et je suis fière de nos familles, qui n’ont pas eu le choix, certes, mais ont changé leur perspective, faisant de la cabane au Canada une maison secondaire de choix.

-Lexie Swing-

Crédit photo : Lexie Swing

Où c’est chez nous?

Se sent-on vraiment chez nous un jour lorsque l’on vit à l’étranger? C’est La Maudite Française qui avait posé cette question un jour de février.

Elle était légitime cette question, surtout rendu à la fin février, et peut-être encore plus à la mi-mars, quand il y a eu l’énième tempête de neige et le début des gastros. Quand le moral flottait dans le bol des toilettes, auréolé par la seule lueur d’un cellulaire qu’on a appelé portable pendant tant d’années.

Où c’est chez nous? Je ne me suis jamais vraiment posée la question. Chez moi c’est là où est mon amoureux, toujours. Chez moi, c’est là où sont mes enfants, à chaque instant. Chez moi, c’est une maison à la façade verte et défraichie. Chez moi, c’est une maison aux volets bleus. Chez moi, c’est une maison de trois étages, au coeur débordant et au frigo rempli. Chez moi, c’est un ascenseur qui puait la pisse et un appartement qui fleurait l’amour. Chez moi, ce sont des parties de coinche. Chez moi, c’est une tresse de guimauves colorées achetées au magasin fourre-tout du bas de l’avenue. Chez moi, c’est l’odeur du foin et les aboiements d’un chien. Chez moi, c’est une pile de livres et une lampe de poche. Chez moi, c’est du Pavé d’Affinois, des crêpes surgelées et du chocolat Milka. Chez moi, ce sont leurs sourires, ce sont leurs bras, ce sont leurs odeurs, ce sont leurs photos devant lesquels je m’extasie, leurs lettres que j’épluche et leurs vidéos que je rejoue plusieurs fois.

Chez moi, ce sont des gens que j’aime farouchement, et qui pour certains ne sont plus; ce sont des lieux où j’ai vécus, qui pour certains n’existent plus. Ce sont des odeurs qui me transportent, des noms qui me plongent dans mes souvenirs et des images qui m’apaisent. Ce sont des voix, ce sont des histoires. Chez moi, c’est un amour immense avec le bonheur en noyau.

Chez moi, ce n’est ni ici, ni là-bas. C’est ici, là-bas et mille lieux sur terre, ces lieux de vacances et de découvertes, ces lieux d’expérience qui nous ont construit. Chez moi, j’en suis sûre, c’est avant tout les gens, ma famille, mes amis. Je n’ai aucun doute quant au fait que ma maison cesserait aussitôt d’être mon chez moi si ma famille n’y vivait plus. Les lieux n’ont que le cœur des autres pour battre, et le souffle des souvenirs pour exister.

Je suis étonnée, quand même, de voir des gens se déchirer de l’intérieur, attachés qu’ils le sont à la terre de leur enfance, incapables de s’enraciner dans cet autre lieu qu’ils semblaient pourtant avoir choisi. Cela ne fait que 5 ans que je suis partie, et rien n’est comme avant. Les rues ont changé, les préoccupations aussi. La télévision ne diffuse plus les mêmes émissions et j’ignore le nom des dernières stars de la chanson. De nouveaux magasins sont apparus, d’autres enseignes ont disparu, et les expressions elles-mêmes semblent avoir évoluées.

Rentrer en France était douloureux, tant l’image amoureusement conservée ne correspondait plus à la réalité qui s’offrait sous nos yeux. Les choses ont cessé de l’être quand nous avons compris que le monde, semble-t-il en mouvement, était finalement relativement statique. Et que seule notre perspective pouvait changer. Nous avons alors cessé de voir notre pays d’origine comme notre chez nous, pour le voir comme une terre de découvertes, une terre d’exploration. Nous avons commencé à y partir en vacances, pour de vrai, comme nous aurions toujours dû le faire. Ce pays de vacances que le monde nous envie, tant il est riche et magnifique, mais qui abrite du surcroit ce que nous avons de plus cher : nos familles et de nombreux amis. Qui peut se targuer de partir en vacances dans un pays à découvrir, et d’y retrouver en plus ses proches?

Finalement, c’est où chez nous? Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, physiquement parlant, c’est souvent beaucoup moins qu’un lieu paradisiaque ou une maison de vacances sur le front de mer (je ne dis pas non ceci dit!). C’est un canapé moelleux, c’est une chambre cosy, ce sont les lits de mes filles et leurs couvertures d’enfants sous lesquelles j’ai toujours un peu froid, faute d’être complètement couverte. C’est un fauteuil douillet, où je replie mes jambes pour y poser mon livre, c’est aussi une tasse fumante et mon corps penché sur ma table en bois chérie.

C’est un rebord, un recoin, une cuisine pleine des gens que j’aime. C’est chez moi parce que je m’y sens bien, parce que j’y suis apaisée, parce que j’en connais les contours, parce que j’en connais les visages, parce que j’en connais les voix.

Et ces voix-là ont tous les accents du monde.

-Lexie Swing-

Cet immigrant que je ne saurais voir

Pour défendre une certaine notion de patrie, certains, s’érigeant en pourfendeurs de l’immigration, sont portés à croire que la citoyenneté devrait reposer sur des origines, une couleur de peau, la sonorité d’un nom. Ainsi, en France, on a tendance à estimer, par défaut, que le jeune Nicolas est plus français que son ami Chen. Je ne dis pas ces noms au hasard.

Nicolas est certes d’origine française mais il ne connaît rien à la France. Son père était perpétuellement muté dans un nouveau pays, il a notamment passé 12 ans en Afrique et il est né au Kenya.

Chen est né dans un bled à côté de Strasbourg, de parents chinois immigrés en France une dizaine d’années avant sa naissance. Il a été à l’école à Strasbourg, et il a été à Lyon à l’Université. Un jour, un ami commun lui a demandé comment c’était « là d’où il venait » et il a décrit un village de carte postale où les gens parlaient un français mâtiné d’allemand. Je ne sais pas s’il a fait exprès de parler de son village alsacien mais la vérité, et je l’ai su plus tard, c’est que Chen n’était jamais allé en Chine. Il s’y est rendu plus tard, seul et en backpack, pour découvrir un pays qui était celui de ses origines certes, mais qui lui était inconnu.

J’ai toujours eu plus de points communs avec Chen qu’avec Nicolas. C’était fascinant d’entendre Nicolas raconter ses premiers pas dans la brousse (sérieusement, c’est plus fancy que les trottoirs de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher non ??) mais on n’avait pas la même culture. Il ne connaissait pas les Minikeums, il restait de marbre devant les répliques cultes de la Cité de la peur ou du Père Noël est une ordure, il n’avait jamais lu Astrapi. Chen, si.

C’est cependant en arrivant au Québec que j’ai pris la mesure de la citoyenneté que je portais, et de l’étrangère que j’étais. Même si j’assimile parfaitement l’accent, et que je finis par connaître Montréal comme ma poche; même si je participe à élire le prochain gouvernement et qu’on me délivre un passeport en règle, je ne deviendrais réellement québécoise que le jour où j’en assimilerais la culture. Lorsque le nom des politiques et l’humour des comédiens trouveront écho dans mon esprit et que je pourrais fredonner une toune connue.

Et il y aura d’ailleurs ceci de différent entre mes filles et leurs cousins, qui les rendront définitivement plus proches de leurs amis d’école – quelles que soient leurs origines – qu’elles auront les mêmes souvenirs musicaux, littéraires et bien sûr télévisuels. Parce que la langue elle-même est différente et que rien – à commencer par les films – ne porte le même nom des deux bords de l’Atlantique.

Et c’est bien la preuve, s’il en faut, qu’on ne voit jamais plus loin que le bout de notre nez. Que parce que nos voisins ont les yeux allongés, le teint olive et l’accent marqué, on s’imagine qu’on sait tout : comment ils vivent, pour quel Dieu ils prient et à quoi ils aspirent. On prétend surtout savoir qu’ils ne sont pas d’ici, sans jamais se demander ce que c’est, être d’ici. Est-ce que c’est d’avoir le teint pâle et le ton affecté? Ou bien est-ce d’aimer une terre si fort qu’on a été prêt à traverser le monde pour la rejoindre? Est-ce que c’est respecter des traditions, en les faisant siennes ? Adopter des coutumes, des habitudes et tout un peuple ? Choisir un pays pour y travailler, pour y élever ses enfants et pour s’y endormir chaque soir, en s’y sentant en sécurité et à la bonne place ?

Je me souviens d’une fille, interviewée lors de ma première année au Québec, qui me disait être victime de ce que j’appellerais un double délit : nom et faciès. Elle avait un nom vietnamien, elle avait le type asiatique, et avait été estampillée « français balbutiant » par tout employeur qui croisait son CV, réduisant à néant ses possibilités d’être embauchée dans ce petit coin du Québec où elle vivait. Je lui ai parlé au téléphone. Je ne lui ai parlé qu’au téléphone même. Et pour moi elle n’est restée qu’une voix. Un accent québécois marqué. Des expressions typiques. Rien ne trahissait ses origines. Mais ses parents lui avaient légué ce qu’il y a de plus lourd à porter aujourd’hui pour un enfant d’immigrés : un nom à consonance étrangère et des traits d’ailleurs.

Notre connaissance des autres est construite sur des présupposés. Une femme au foyer est forcément inéduquée, des piercings nombreux sont l’apanage de la marginalité, l’enfant qui court au restaurant est victime d’une éducation laxiste, quand celui qui dort avec ses parents est un enfant-roi.

Notre vision est faite de cases étriquées dans lesquelles nous tentons de faire rentrer le monde qui nous entoure. Nous faisons fi de ceux qui font le grand écart, des funambules, suspendus entre deux réalités, de ceux qui résistent et de ceux dont l’esprit est trop large pour rentrer dans la case assignée.

Nous imaginons notre monde comme l’un de ces immeubles à clapiers, comme ils en poussent par dizaines dans les banlieues françaises. Ces champignons qui empoisonnent la société. Ces cages à poules minuscules qui dégueulent d’immigrants.

Ça ne rentre pas. Quand est-ce que les arriérés de ce monde se rendront compte que ça ne rentre pas? Que la vie n’est pas un putain de sudoku avec un chiffre par case. Que la palette ne suffit plus à créer tous ces métissages. Qu’il va falloir changer de plan. Cesser la linéarité. Accepter les nuances, les contours flous, la cacophonie des accents chantants.

L’aquarelle n’est pas terminée et la réalité n’est pas immuable. Essorez les pinceaux, il est temps de changer le décor.

-Lexie Swing-

Photo : Slava Bowman