Hier midi, ma prof racontait comment, lors de son jogging, elle était allée à la rencontre des lieux qui avaient ponctué sa vie jusqu’à 20 ans : son école primaire, son école secondaire, l’appartement où elle vivait enfant, le premier qu’elle a loué seule… Elle a voyagé à travers le monde et vécu dans au moins un autre pays, mais les principaux lieux de sa jeunesse, son ancrage, tiennent dans quelques kilomètres carrés. À l’inverse, les deux autres personnes présentes, un autre étudiant et moi, serions incapable d’un tel «voyage». Nos jambes n’y suffiraient pas. Une voiture oui, et plusieurs journées devant nous. Nous avons vécu deux enfances fort différentes, mais elles se ressemblent sur un point : celles-ci ont été ponctuées de maisons et de déménagements. Pas au point des enfants de militaires ou des enfants de parents «Michelin» qui changeaient de pays au rythme des mutations parentales, mais beaucoup plus que certains des amis que nous avons croisés dans nos vies, qui ont ouvert les yeux sur un monde dont les coordonnées topographiques n’ont que peu changé.
Les enfants sont adaptables. Tout le monde le sait, tout le monde vous le dira. Il y a des exceptions cependant, et je garde en mémoire cette personne que j’aime beaucoup et qui regrette l’immigration de ses parents depuis 50 ans. 50 ans oui. Mais les enfants sont adaptables. Est-ce pour autant dire que c’est une chance, pour un enfant, de déménager souvent?
Enfant moi-même, je ne me posais pas vraiment la question. Je suis aussi la résultante de ces changements. Serais-je pire ou meilleure aujourd’hui si je n’avais pas changé plusieurs fois de villes, de maisons et d’habitudes? Seul un univers parallèle pourrait éventuellement y répondre. Serais-je à cet endroit dans ma vie? Non, probablement pas. Je ne crois pas aux destinées. Je crois que notre entourage, notre environnement et la vie quotidienne nous façonnent. Parfois on s’extirpe de son milieu, de sa bourgade, pour filer ventre-à-terre découvrir ce que le monde a à nous offrir. Parfois on voyage toute son enfance et l’on jette l’ancre sitôt la majorité atteinte pour ne plus jamais bouger. Et les gens se désolent : «S’enterrer ainsi, alors que ses parents lui avaient tant fait voir le monde». Je le répète, on est la résultante de ce que l’on a vécu. Quelle que soit l’équation. Nombre de déménagements + nombre d’écoles connues × nombre de jours où l’on a été surnommé «le nouveau» = envie de ne plus jamais bouger.
À l’inverse, un enfant qui aura beaucoup voyagé aura peut-être aussi «la piqûre du voyage». Une fille croisée un jour durant mes études, fille de voyageurs au long cours, m’avait ainsi expliqué se sentir incapable de se poser quelque part. Elle ne se sentait chez elle qu’en «transit». Un drôle de sentiment.
Pour revenir à mon interrogation initiale, car il y en avait une, je me suis souvent demandée, depuis que je suis mère, quel serait le mieux pour mes enfants. J’ai toujours aimé changer, déménager. Immigrer a été pour moi une chance, mais en tant que personne individuelle, et aussi en tant que couple, je rêve d’en voir encore et toujours plus. Parlez-moi de Boston, de Toronto, des Prairies, même de Charlevoix, de Sherbrooke, de la Nouvelle-Zélande, des pays nordiques… Je vous dirais que j’ai déjà regardé chacun de ces endroits, chacun de ces pays, pour savoir quel genre de travail on pouvait y trouver et comment y était la vie. Nous nous sommes déjà demandés si nous serions heureux ailleurs. Mais le nous a grandi.
Je n’ai aucun impératif professionnel. Mon conjoint non plus. Nous n’avons plus d’excuses. Nous pouvons parfaitement nous épanouir professionnellement à Montréal, et nous en avons d’ailleurs le souhait. Pour la première fois depuis que j’ai commencé ma vie d’adulte, je suis arrivée quelque part avec le sentiment d’avoir atteint un but, une ligne d’arrivée. Nous avons seulement toujours eu cet appétit insatiable de voir encore plus, de voir ailleurs. En bons représentants de notre génération, le monde n’est qu’une succession de stations dans un train lancé à grande vitesse.
Mais mes enfants? Les voyages forment la jeunesse, certes. Mais je ne suis pas certaine que les déménagements soient nécessaires, soient obligatoires, pour former une jeunesse équilibrée et sûre d’elle. Déménager, changer d’école et de ville, voire de pays, rend adaptable. Les plus sociables accroissent cette capacité, tandis que les plus timides se renferment. Chez certains, l’adaptabilité frôle l’invisibilité. Ils se fondent dans la masse sans laisser de traces. Puisque de toute façon on les oubliera.
Je crois que j’aimerais ça, que les repères de mes enfants puissent se concentrer sur quelques kilomètres carrés. Au moins sur une partie de leurs vies. Qu’elles évoluent, sûres d’elles, dans un monde qu’elles connaissent et maîtrisent, pour laisser toute la place au reste. Qu’elles n’aient pas à se soucier de se faire connaître. Que leurs racines bien plantées leur apportent le nécessaire, pour qu’elles n’aient à gérer que le superflu.
Je crois que j’aimerais ça oui, puisque c’est aussi pour ça que je suis venue ici. Dans l’idée de leur offrir quelque chose de spécial, une chance particulière, un endroit que nous avions choisi pour y faire notre nid. Elles seront libres plus tard de choisir où faire le leur.
La réflexion demeure…
Et de votre côté? Comment avez-vous grandi? Et qu’avez-vous choisi?
-Lexie Swing-
Crédit photo : Lexie Swing (quand je la vois courir ainsi j’ai toujours la musique de La Petite Maison dans la Prairie dans la tête).
«même de Charlevoix«!!!!!! :D
J’ai vu des postes en communication ! Tu imagines ? :))
Je n’imagine rien à Charlevoix … à part leur super pub il y a quelques années avec le Mexicain qui disait «¡Caramba! Quelle chance vous avez dans Charlevoix cet hiver!» :D (oui la pub a pas duré longtemps, lol)
J’adore lol! Tu devrais l’écouter et y aller cet hiver ;)
Oui les enfants s’adaptent. Mais à partir du moment où les parents sont satisfaits de leur choix.
Nous voulons tous les meilleur pour eux.
Le tout est de savoir où sont nos limites, ce que nous sommes prêts à vivre ou pas.
Je pense qu’il est bon à un moment de se demander pourquoi on veut changer et ce que l’on attend en tant que famille de ce changement. À partir du moment où l’on a des enfants en âge de subir la situation, ça ne devrait plus être unilatéral
Comme tu le dis si bien tout dépend aussi des enfants et de leur personnalité. Mais c’est vrai qu’une certaine stabilité doit faciliter la construction de leur personne justement. Du moins jusqu’à la pré adolescence je pense, âge ou on commence par fois à avoir envie de se démarquer justement et explorer différentes versions de soi?
En fait c’est paradoxalement plus dur si Le changement intervient à l’adolescence, des quelques retours que j’en ai
Ton billet tombe à pic…on se demande si nos enfants sont adaptables, si on peut ou doit les amener ailleurs, tout laisser, maintenant que le pays qu’on avait choisi, où ils sont nés mais qui n’est pas le notre nous rejette tous, eux y compris.
Qu’est ce qu’ils en pensent de leur côté ? Et vous pensiez partir pour quel pays ?
Très intéressante question ! J’ai souvent » bougé » enfant, et visité des pays autres que la France avec beaucoup de curiosité et de sympathie. Ainsi j’ai aimé la Suisse. Mais ce que je n’appréciais pas, ce sont les changements de maisons de mes parents ! Je revenais de vacances, et je me trouvais dans une autre maison !Ma mère aimait décorer et était fort douée, si bien qu’elle décidait de tout changer, même ma chambre, sans m’avertir.
Le résultat est que, pour mon sentiment de sécurité, dès que j’ai travaillé, j’ai acquis mon appartement, mon » chez moi « , mes 4 murs … à moi, même si mon compagnon avait sa maison de famille.
Je tiens à mes » mes 4 murs » !
Je pense qu’il faut parler aux enfants, les associer aux projets.
amitiés
Est ce que tu as beaucoup déménagé et changé d’école ?
Article intéressant (et bien écrit, comme toujours ;-) ). Bon, je n’ai toujours pas d’enfants, et ce ne sera visiblement pas encore pour l’année qui vient, mais parfois, du fait de nos projets qui partent un peu dans tous les sens tout en étant cohérents pour les – au moins – 10 années qui viennent, je me demande comment je devrai/pourrai m’organiser avec un ou deux mômes dans cette vie 100% nomade qu’on envisage… Et j’ai beau tourner le truc dans tous les sens, je n’ai pas de réponse autre que la suivante : JE m’adapterai. Parce que oui, ce sera aussi à moi de m’adapter, et non à l’enfant de tout subir sous prétexte qu’en théorie, il fait preuve d’une plus grande capacité d’adaptation qu’un adulte. Je pense que certains stades de la vie sont plus propices que d’autres au changement. J’ai la sensation que l’adolescence, période délicate où on a tant besoin de repères et où on se forge la personnalité, n’est pas l’idéale pour multiplier les changements.
J’ai eu pour ma part une vie assez sédentaire jusqu’à mes 25 ans, et ai été traumatisée par l’unique déménagement que j’ai vécu du haut de mes 8 ans de mon sud-ouest natal vers ce nord-ouest auquel je ne me suis jamais adaptée. Avec le recul, et quand je vois ce qu’est devenue ma ville natale, je suis contente d’être allée voir autre chose… C’Était clairement une chance – et une nécessité financière pour ma famille de toute façon. Je l’ai mal vécu car en effet, j’étais super timide, et l’environnement dans lequel j’ai grandi a fait que j’avais un perpétuel besoin de me faire accepter, de me faire aimer. Pas facile à obtenir quand on a du mal à aller vers les autres et qu’en plus de ça, on est l’extraterrestre de l’école (imagine la gamine qui a grandi dans une petite cité et qui débarque avec son accent du sud dans une école de quartier plutôt aisé…).
Et tu vois, d’une vie sédentaire avec un unique déménagement, je suis passée à une vie où j’ai un perpétuel besoin de changer d’endroit, où rester plus de 2 ans dans le même pays me fait limite suffoquer… Ce n’était clairement pas ce que ma mère aurait voulu (je pense que son idéal aurait été de nous garder toute sa vie près d’elle ;-) ) mais surtout, elle était loin de s’imaginer que la petite timide qui détestait tant le mot déménagement deviendrait ainsi une globe-trotteuse ultrasociable (un peu trop parfois!).
Désolée pour ce pavé, ton article m’a visiblement inspirée !
Je suis d’accord avec toi: il y a souvent un sentiment ambivalent qui te fait réaliser qu’avoir changé pour une ville plus grande ou mieux était positif. Mais en parallèle il semble y avoir souvent une souffrance liée au déménagement
Je n’ai ni voyagé enfant, ni déménagé en fait. Tu vois le résultat :lol:
Je crois que je n’aurais pas du tout aimé changer tout le temps de lieu de vie. Pour moi, voyager et s’installer quelque part sont deux choses très différentes. Voyager a du sens si on reviens à un point d’ancrage. Paradoxalement, déménager beaucoup me semble être… au-dessus de mes forces. En fait, c’est drôle, si tu enlèves tous nos voyages, je n’ai vécu que dans deux endroits : l’appartement de mes parents à Nantes (bon, okay, un autre appart aussi de 0 à 3 ans, mais dans la même rue!) et la maison où nous sommes à Ottawa. C’est même carrément rare de n’avoir connu que deux lieux de vie
Je m’en fous un peu où je vis en fait. Pour moi, ça n’a rien à voir avec la liberté, primordiale (encore une fois, à mes yeux!) de tout mettre dans un sac et de se barrer ailleurs… sans pour autant s’y installer. Am I making sense??
Tu fais du sens pour moi quand tu dis que le voyage n’existe que parce que tu as un point d’ancrage. Sinon le voyage devient une forme de vie mais ce n’est plus la même réalité.
Rien qu’a te lire, j’en ai des angoisses… Nous, parents, faisons le choix de l’etranger et de la mobilite. Parce que ca nous plait. Parce que c’est ce que nous aurions aime, je crois, quand nous etions plus jeunes ou enfants. A coup sur, nos enfants nous en voudront, pour cela, un jour ou l’autre. J’espere malgre tout qu’ils arriveront a trouver leur bonheur, leur equilibre et leur personnalite propre, au milieu de ces changements. Je n’arrive meme pas a definir ce qui serait le mieux ou le meilleur pour eux. Si au moins ils ont des parents epanouis et heureux de leur choix, c’est finalement peut-etre un moindre mal?
Parfois les enfants peuvent devenir les excuses masquant une fainéantise qui empêche d’accomplir les rêves de voyage. Je ne sais pas si je suis très claire, là. Et je suis peut-être un peu hors propos.
Par ailleurs, je viens de tomber sur ce blog ce soir et je crois (assez fort) qu’on se connaît.
Florence
C’est drôle à l’instant où j’ai vu ton nom je me suis demandée « est ce que je lui avais parlé du blog ?? ». Ça fait si longtemps ! Et pour répondre à ton commentaire, j’aurais des goûts de voyage c’est certain! Mais peut être plus d’immigration (je suis déjà au bout du monde, sous la neige!).