J’ai téléchargé «Nanette», sur Netflix, sans trop savoir à quoi m’attendre. On me l’avait conseillé en me précisant qu’Hannah Gadsby était humoriste. Elle aurait pu parler de la pluie comme du beau temps qu’il faisait, je n’aurais jamais pu deviner vers quoi je m’en allais.
Je pourrais vous dire de même. Installez-vous devant Nanette et vous verrez. Peut-être me feriez-vous confiance, peut-être oublieriez-vous, peut-être hausseriez-vous un peu les épaules, en passant votre chemin. Pire : peut-être l’ajouteriez à votre liste «à voir», à vos souhaits, à vos projets, et elle tomberait dans l’oubli au profit de quelque série au suspense haletant ou d’une nouvelle saison de Suits.
Et vous manqueriez alors une leçon de vie comme nous n’avons que peu l’occasion d’entendre. Car «Nanette», c’est avant tout un one-woman-show. Celui d’une Australienne, humoriste depuis une dizaine d’années, et qui a fait de son homosexualité le sujet de ses spectacles.
Je me suis installée dans mon fauteuil de train, avec 25 minutes devant moi et l’esprit ailleurs. Je n’étais pas entièrement à cette affaire, mais le spectacle se laissait regarder. C’était confortable. Drôle. Grinçant envers les hommes. J’ai éteint mon téléphone en entrant dans la gare et j’ai oublié le spectacle quelques jours durant. Et puis un soir, à la faveur de l’oubli de mon roman du moment, j’ai relancé le spectacle.
Je m’attendais à rire. Je ne m’attendais pas à pleurer. Car c’est au creux des silences, ces silences d’attente fébrile qui ponctuent parfois les rires, qu’Hannah Gadsby a soudainement sifflé la fin du jeu. Dans nos oreilles ouvertes, l’humoriste a enfin pu déposer sa vérité. Celle qui se cache sous le vernis de l’autodérision, à la commissure des sourires fatigués. Car une bonne histoire drôle, nous dit-elle, est une introduction et une punchline. Un contexte et une pirouette. Mais l’histoire humaine, la vraie, c’est celle qui s’étire par-delà les rires. La chute, la fin de l’histoire et les ressentis des protagonistes. Hannah Gadsby reprend alors le fil de l’histoire, la réaction de l’homophobe ridiculisé, l’amertume des palais honnis. Avec la violence, des mots et des gestes, en filigrane des scènes ainsi décryptées.
Ce spectacle, c’est son chant du cygne. La fin de sa carrière d’humoriste pour laisser place au reste, la guérison. Pour nous, c’est autre chose. Le départ peut-être, la transition. Ce spectacle est nécessaire, pour savoir et pour comprendre. Pour changer les choses, enfin.
Extraits (traduction libre) :
«J’ai construit ma carrière sur l’autodérision et je ne veux plus faire ça. Est-ce que vous comprenez ce que faire preuve d’autodérision signifie quand cela vient de quelqu’un qui est déjà considéré comme marginal? Ce n’est pas de l’humilité, c’est de l’humiliation.»
«Je ne m’identifie pas comme transgenre. Mais je suis clairement un genre «pas normal». Je ne pense même pas que lesbienne est la bonne identité pour moi. Vraiment pas. C’est aussi bien que je vous le dise. Je m’identifie comme fatiguée. Je suis juste fatiguée.»
«Les punchlines ont besoin de traumatismes, parce que les punchlines ont besoin de tensions et que les tensions se nourrissent de traumatismes. L’an dernier, je n’ai pas révélé à ma grand-mère mon homosexualité parce que j’ai toujours honte de qui je suis. Pas intellectuellement, mais ici (elle désigne son cœur), j’ai toujours de la honte. Tu apprends de la partie de l’histoire sur laquelle tu te concentres. J’ai besoin de raconter mon histoire correctement.»
(À propos de son enfance en Tasmanie, où l’homosexualité n’a été décriminalisée qu’en 1997)
«70% des gens qui m’ont élevée, qui m’ont aimée, en qui j’avais confiance, pensaient que l’homosexualité était un péché; que les homosexuels étaient des êtres abominables, des sous-hommes, des pédophiles. Lorsque j’ai commencé à m’identifier comme gay, il était trop tard, j’étais déjà homophobe.»
Nanette est un apport essentiel à la cause. La cause homosexuelle, en premier lieu, mais la cause humaine en général. Sur le rapport à l’autre, le rapport à soi, la place des hommes et des femmes, la peur de ce qui nous est étranger, et le besoin, indispensable, de faire évoluer des sociétés qui rejettent encore certains de leurs membres au nom d’une normalité artificiellement créée.
– Lexie Swing –
À noter : À ma connaissance, le spectacle est disponible en VO sous-titré uniquement, de quoi vous exercer l’oreille au passage.
Je note, je vais le regarder prochainement. Merci pour la découverte, je reviendrais te dire…
Oui j’ai hâte que tu me dises ce que tu en penses
Je suis d’accord quand elle dit que l’autodérision, c’est parfois de l’humiliation car derrière, il y a souvent de l’autodénigrement. J’irai voir :)
Oui, surtout quand il y a une difficulté d’acceptation derrière. J’ai toujours pensé que rire autour de certaines choses permettait de mieux les accepter, mais je comprends la logique de son raisonnement. On ne rit pas tous avec le même cœur, disons
… et peut-être que l’on utilise l’auto-dérision pour se faire intégrer, mais au final cela ne dure qu’un temps ! Je ne connaissais pas cette série / témoignage (je ne sais pas comment dire…) mais tu me donnes envie de regarder. Je te dirai ce que j’en ai pensé !
Oui je pense que ça nous paraît forcément comme une bonne intégration – ce qui est sûrement le cas d’ailleurs. Mais ce qu’elle aborde ici c’est le fait que ça ne nous aide pas à traverser notre propre histoire
Ça fait plusieurs fois que je lis des articles élogieux sur ce spectacle mais je ne savais pas qu’il était dispo sur Netflix. Merci pour l’info, je l’ajoute à ma liste mais en priorité haute !
Pardon j’avais lu ton commentaire mais avais oublié de l’accepter. Tu me diras ce que tu en penses