Changer de métier

Ce que l’on voit de soi n’est pas le reflet de ce que les autres aperçoivent de nous. C’est vrai dans de multiples domaines : le physique, la sociabilité, mais aussi la réussite professionnelle.

Je suis passée d’un métier qui, par essence, est un domaine perverti de fausses impressions, à un autre, qui paraît beaucoup plus terre-à-terre mais qui reste somme toute méconnu.

Lorsque je parle de mon ex-métier de journaliste et que l’on me demande ce que j’y faisais, je dis que j’écrivais des portraits, que je couvrais les petits procès au tribunal. Parfois j’ajoute que j’ai couvert un festival de jazz. C’est ce qu’on veut entendre, enfin je crois. C’est surtout plus facile à décrire. Cela répond à l’idée que l’on s’en fait. Pourtant, il ne s’agit qu’une d’une partie minime, le morceau immergé de l’iceberg. Le quotidien était bien différent. Vous voulez vous faire une idée? Voici le type de titres que j’aurais rédigé, il y a presqu’une dizaine d’années :

« Collision majeure sur l’A2 »

« Les riverains de Bouchon-les-Orties en guerre contre l’entreprise Machinchouette » (et il aurait fallu couper car le titre aurait été trop long)

« Journée sportive pour les retraités de Saint-Jean »

Nous parlions de problèmes locaux : la circulation, les événements de la ville, les industries et domaines propres à notre secteur géographique, les écoles, les artistes du coin. Être journaliste local implique d’être polyvalent dans les domaines sur lesquels on écrit – c’est certain, mais cela revêtait une autre réalité aussi : suivre une actualité qui ne représentait pour moi qu’un maigre intérêt.

La première fois que je me suis sentie chez moi, j’avais 28 ans et je venais d’arriver à Montréal. Avant ça, et depuis celle que je considère comme ma « hometown » – Clermont-Ferrand – il n’y avait pas eu de chez moi. Or pour bien traiter une actualité locale, il faut la vivre, en comprendre les enjeux, s’y intéresser ou prétendre le faire. Et ce n’était pas mon cas. Je n’étais pas de là, ne souhaitais pas y rester, n’y ai jamais rien établi. Ni relation, ni possession. Seul mon chien, mon solitaire au coeur sauvage, y trouvait pleinement son compte, s’enfuyant à la moindre occasion pour traverser les prés environnants ventre-à-terre, le museau au vent et les pattes boueuses.

Le métier n’était pas pour moi. Est-ce que cela aurait été différent, à un autre niveau, dans un autre type de périodique? En d’autres termes, aurais-je été épanouie dans un mensuel à débattre de la place de la femme dans la société et de l’éducation de nos tendres chérubins? Peut-être. Mais j’en doute. Car par delà le quotidien, et le manque d’intérêt des sujets, il y avait mille aspects qui me déplaisaient. Poser des questions dans un autre objectif que de simplement apprendre à connaître une personne. Chercher à avoir « la » phrase, la citation, celle qui fera un bon titre, ou une bonne conclusion, ou une phrase à mettre en exergue. Faire des micro-trottoirs sur des sujets insipides et/ou racoleurs. Appeler pour obtenir une info. Appeler pour confirmer une info. Appeler pour obtenir une info sur quelqu’un qui est mort brutalement. Appeler pour obtenir une info sur quelqu’un qui est mort brutalement et comprendre que le correspondant n’avait pas encore eu vent du décès. Modérer les commentaires. Rencontrer des gens importants qui n’ont rien à dire. Rencontrer des gens passionnants qu’on censurera faute d’importance. Rencontrer des gens qui vous appellent « la petite stagiaire ». Rencontrer des gens qui ne veulent pas être interviewés par une femme. Corriger des articles sans queue ni tête. Trouver des titres pertinents de moins de 20 caractères. Signer un article dont le fond a été coupé huit fois et la conclusion modifiée.

Un jour je vous parlerai de tout ce que j’aimais quand même dans le journalisme. Les toasts au foie gras en tête.

Lorsque je suis arrivée à Montréal, j’ai cherché et rapidement trouvé un emploi comme journaliste. J’ai candidaté pour ce que je connaissais, et c’est tant mieux. J’arrivais en terre inconnue, avec un jeune enfant et peu de sous en poche, à cet instant mon expérience de rédactrice était ce que j’avais de plus tangible, et de plus rassurant. Cet emploi m’a permis de faire mes premières gammes comme Montréalaise, il m’a donné la confiance nécessaire, et les contacts.

Qu’importe comment je m’y sentais, à la fin. Et qu’importe également que le journalisme n’ait jamais été tout à fait pour toi. Bien souvent je me suis demandée ce que ma vie professionnelle aurait pu être, si je ne m’étais pas « trompée ». Et puis j’ai décidé qu’elle avait été ce qu’elle devait être. Avec le journalisme, j’ai appris la curiosité, j’ai enrichi ma culture, j’ai résisté à la pression, j’ai fait de magnifiques rencontres et surtout j’ai avancé. Je n’ai pas fait demi-tour, il y a un an. J’ai juste enjambé un pont, choisi une autre voie. A cet instant de ma vie, j’étais arrivée face à un croisement. Je pouvais choisir de continuer comme rédactrice. Je faisais du bon travail, j’aurais certainement été une bonne coordonnatrice de contenu. On me l’a proposé. J’ai observé le chemin. Il était connu oui, tangible, existant. Il était une prolongation, une départementale toute droite. De celle que l’on connaît si bien que l’on finit par s’y planter, au premier clou venu. J’ai tourné à gauche, j’ai choisi l’aventure. C’était comme sillonner les Rocheuses à bord d’une Ford Fiesta.

Ça tombait bien, j’avais toujours été bonne conductrice.

Trève de métaphores. Je voudrais surtout dire à toutes celles et tous ceux qui choisissent une autre voie qu’ils doivent cesser de regarder en arrière, en se demandant à quoi leur vie aurait ressemblé si… Nous avons pris les chemins que nous jugions possibles, nous avons parfois suivi des routes que d’autres avaient tracées pour nous. Et même si la maturité finit par nous montrer que ce n’est plus la bonne voie pour nous, qu’importe? Faites la liste des compétences acquises, dressez le bilan de vos envies, et virez de bord. On a le droit d’avoir plusieurs vies dans une vie. Le métier qui vous correspondait il y a dix ans n’est peut-être pas celui qui est fait pour vous aujourd’hui. N’ayez pas de regrets, vous n’avez rien gâché, seulement gagné en expérience.

Est-ce que vous vous êtes déjà posé la question de changer de métier?

-Lexie Swing-

Photo by Robert Nelson

32 réflexions sur “Changer de métier

  1. J’ai suivi mon mari a l’étranger et par la force des choses j’ai changé de métier. C’est vrai que parfois je me demande où j’en serais si…. mais je ne regrette rien et je suis contente de toutes les vies que j’ai grâce à l’expatriation. Merci pour ce joli article.

  2. Je sors d’une interview ici à Los Angeles. « Rencontrer des gens importants qui n’ont rien à dire. Rencontrer des gens passionnants qu’on censurera faute d’importance. » Si tu savais comme ça me parle… Excellente description du métier. (Je pense pareil mais moi, j’y suis toujours…) (Pour l’instant…)

  3. Ohh que oui, j’en le sens déjà posé la question et je me la pose encore! Ton article raisonne en moi si fort… Je n’ai pas encore osé sauté dans le vide mais j’espère y parvenir!

  4. Je suis en plein questionnement et ton article me parle beaucoup.
    C’est assez drôle d’ailleurs car il y a eu une période où je rêvais d’être journaliste mais au final, c’est vrai que souvent, le quotidien de certains métiers est moins glamour que l’intitulé…
    A l’heure actuelle, je pense plutôt à un métier orienté psychologie mais je n’ai pas encore eu le courage de sauter le pas.
    Après, comme tu le dis, il ne sert à rien de regretter le passé mais il est toujours bon de se dire qu’on a les cartes en mains pour l’avenir.
    Belle journée à toi.

    • Est ce que tu reprendrais des études ? Je crois que ce qui donne un nouveau souffle, également, c’est la perspective d’un nouveau projet. Le plus dur, finalement, reste de sauter le pas… bonne chance !

  5. La question je me la pose souvent depuis quelques temps. J’ai envie de changement.
    Et pourtant en 15 ans d’activité, j’ai couvert plusieurs postes. Je crois que j’ai la bougeotte ou bien je n’ai pas trouvé la voie qui me convient.
    Alors j’y pense, je réfléchis, je m’interroge, je ne désespère pas d’un jour faire le grand saut!
    En tous cas merci pour ce texte inspirant Lexie.

  6. Il n’y a que le premier pas qui coûte ! Le reste est affaire de découvertes, de motivations et d’opportunités aussi. Gros changement de cap en cours d’études et aujourd’hui, nouveau tournant. La thèse de recherche en sciences en poche, j’ai décidé de quitter le monde de l’unif pour entrer dans le monde de l’industrie. C’est pas évident, ça traine, mais j’y arriverai ! Et puis j’ai tellement hâte de découvrir d’autres choses, d’avoir un nouveau métier… Et clairement, ce ne sera pas le dernier… Merci pour cet article ! Bonne continuation !

      • J’avais commencé médecine, puis, après 4 ans et quelques stages, je suis repassée en biologie. Objectif : faire de la recherche. Après 8 ans dans les labos de recherche universitaires, j’aimerais bien découvrir le monde de l’industrie. Conversion en cours donc… La suite au prochain épisode !

      • J’aime pas trop les autoroutes… je préfère utiliser les itinéraires bis. Faut assumer mais ça forge le caractère c’est sûr ;-)

  7. Ayant un bon boulot que j’aime et ne pouvant pas faire de mes passions de vrais métiers desquels je pourrais vivre, j’évite de me poser la question.

  8. Ah ben il tombe bien cet article! Je suis en plein questionnement… et bien loin d’avoir trouvé une réponse! Enfin disons que je n’ai pas plus d’intérêt pour une chose que pour une autre et que tout ce que je fais pour me réorienter me ramène à mes études, à ce que je savais déjà, donc je suis assez perplexe. Je n’ai pas le problème de me lancer dans quelque chose de nouveau, mais plutôt de cultiver l’intérêt, de ne pas sans arrêt chercher la nouveauté. Et bizarrement, je suis la même aujourd’hui que quand j’ai commencé mes études, on dirait que de ce côté là, le temps s’est arrêté!
    Biz

    • Penserais tu changer complètement de branche ou juste de poste au sein d’un même secteur ? Est ce que tu t’ennuies au quotidien ? Parfois il y a aussi la personnalité qui entre en jeu. Je trouve ça difficile de trouver certaines réponses. Avant d’être ici je voulais tout le temps changer d’endroit. Dès que j’arrivais dans un nouveau lieu, un nouvel appart, je faisais des plans pour repartir. Je me demandais si je n’étais pas instable et puis je suis arrivée ici à Montréal, et j’ai compris que je cherchais juste un endroit où je me sente chez moi

      • Ah oui l’instabilité c’est tout moi! Je ne sais honnêtement pas ce que je cherche, venir à Montréal n’a rien changé pour moi de ce côté là… bref, je cherche encore!

  9. J’ai change plusieurs fois: le marketing, ll’informatique, les RH, l’administratif et maintenant le social. Aucun regret, comme tu le dit ca enrichi! Et une des choses que j’apprecie en travaillant pour le gouvernement ce sont les opportunites de changer encore et de passer a autre chose. Je pense que les carriers monotones ne sont de toutes facon plus forcement d’actualite qu’on le veuille ou non… J’espere que ca te plait toujours alors ce nouveau tournant?

    • Toujours beaucoup ! Et je trouve qu’on devient de plus en plus polyvalent à force, et capable d’apprendre de plus en plus vite ! Mais tu as eu un parcours bien rempli je trouve

  10. Cet article me parle beaucoup puisque je songe également à changer de métier pour justement faire le chemin inverse au tiens, c’est-à-dire faire des études de journalisme après seulement trois à être ergothérapeute !
    Mais c’est pas simple de sauter le pas, quitter une situation stable pour plonger dans l’inconnu, retrouver les cours après avoir goûté au temps libre et à un salaire qui tombe tous les mois, ça fait quand même réfléchir…
    Merci pour cet article en tout cas

  11. Oui tout à fait. Je suis encore indécise. Je fais aujourd’hui des choix qui me rassurent. J’ai un master en communication et ai fait toute mes études en alternance. Aujourd’hui, je ne me vois pas chargée de comm. en fin de compte. Ça me fait peur, ça ne me donne pas spécialement envie à part pour une association. J’aimerais bien de nouveau intégrer une association car je m’y sens bien. Mais j’avoue être un peu perdue encore, même après quelques mois sans emploi. J’ai rendez vous demain avec ma conseillère, peut être que j’y verrais plus clair… je ne sais pas. Je sais juste aujourd’hui que j’aurai peur de me lancer dans une longue formation pour un métier puisque je doute aujourd’hui après 1 an de CDD dans mon domaine.
    Je te remercie pour ton article en tout cas.
    Belle soirée à toi et à bientôt,
    Jessica

    • La communication est toujours une bonne base pour faire autre chose, ça apporte une culture et une aisance quel que soit le métier que tu choisiras de faire je pense. T’es tu déjà prêté au jeu de la liste sur laquelle tu notes tout ce que tu aimerais faire dans le cadre de ton boulot ?

      • Oui, c’est une bonne base. C’est vrai. Mais je me rend compte que dans le monde de l’entreprise, ce n’est pas majoritaire… alors souvent cela disparaît petit à petit.
        Je me suis prêtée au jeu de noter tout ce que je rêverai de faire sans limite. C’est assez drôle mais ne m’aide pas. Par contre, j’avoue que je n’ai pas fait cet exercice. :) je vais le faire… cela m’aidera certainement.
        Il m’est difficile de clarifier certaines situations. J’ai l’impression de me limiter toute seule dans mes idées et rêves. Je pense à faire de l’assistanat communication et administratif… pour l’aspect sécuritaire et parce que je l’ai déjà pratiqué. Mais j’ai l’impression par moments de me dévaloriser des fois. Je ne me vois pas chargée de communication car trop de responsabilités pèseraient sur mes épaules pour un premier emploi en communication… ou alors dans une pme ou association uniquement. C’est dingue car j’ai une motivation folle lorsque je sais exactement vers quoi j’ai envie d’aller… mais aujourd’hui c’est un coup flou un coup plus clair.

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