Petit guide à l’usage de nos proches français

On s’en va bientôt visiter la France, son pain, son chocolat, son vin, son aligot, ses viennoiseries (j’ai faim, ça se voit non?) et son soleil (j’espère!). Avec moi j’emmène mes enfants (deux, un petit modèle, un grand modèle). Deux enfants qui ont grandi loin de la France. Avec tout ce que ça comporte comme avantages et inconvénients lorsqu’ils se retrouvent en Mère Patrie. Il se peut qu’il y ait des quiproquos. À ce titre, je vous propose donc à vous, mes amis et famille de France, un guide rapide et non exhaustif qui nous sauvera à tous bien des malentendus.

– La première fois qu’elles vont vous voir, elles vont crier et avoir la trouille. C’est que vous étiez derrière un écran d’ordinateur et maintenant vous êtes faits de chair et d’os. Laissez-leur un peu de temps pour s’habituer.

– Elles vont probablement confondre vos noms (mais rassurez-vous, la petite appelle aussi son père «Maman»).

– Elles ont l’accent du pays où elles vivent, surtout la grande. Elle dit «lô» pour là, elle dit «ça se peut-tu?», elle dit (souvent) «bas» pour «chaussette». Je sais que c’est tentant de la corriger mais sachez-le, ça ne va pas me plaire. Ça ne va pas lui plaire à elle non plus (elle a quatre ans et elle pense qu’elle a raison sur tout, imaginez quand elle a VRAIMENT raison). Et surtout, surtout, rire en criant «lô, t’entends elle dit lô!», ça ne fait rire que vous. Surtout pas moi. Regardez-moi bien, est-ce que je ris?

– La liste des mots qu’elles utilisent et qui ne sont pas les mêmes qu’en France est fort longue. Parmi ceux que vous avez le plus de chances d’entendre, vous noterez «abrier» (couvrir, avec une couverture par exemple), «la doudou» (la couverture), «le toutou» (le doudou), «yogourt» (yaourt), «chandail» (t-shirt), «tuque» (bonnet), «espadrilles» (baskets), «glissade» (toboggan), «suce» (la sucette, que la petite appelle «sussa»), «mitaines» (moufles), «cami» (débardeur), «kleenex» (mouchoir), «collation» (goûter, valable aussi le matin à 10h), «gars» (garçon), «allo» (coucou) (très courant, elle n’a pas été polluée par une certaine star de la téléréalité, rassure-toi), «s’enfarger» (se prendre les pieds dans quelque chose, comme dans «j’m’a enfargé dans la queue du chien, papa!»), «tu me niaises-tu?» (tu te moques de moi?). Un poupon est un bébé, un jeune enfant. Une poupée type nouveau-né est un bébé (je sais, je t’ai perdu).

– Elles sont en t-shirts par 15 degrés. Rappellez-vous que chez nous il faisait -15° il y a trois mois. Par 30 degrés de plus, toi aussi t’afficherais ton plus beau marcel.

– Elles mangent à 18h. Ça n’oblige personne à dîner à cette heure-là mais ça veut dire que dès 17h30 elles vont vous tanner sévère pour passer à table.

– «Tabarnak» est un très vilain mot. Je sais que ça peut paraître drôle comme ça, mais ne me donne pas l’envie d’apprendre «Putain de bordel de merde» à tes enfants, si tu vois ce que je veux dire.

– Au Québec, on dit les mots en anglais comme ils se prononcent… en anglais. Même si c’est une phrase en français. Si tu appelles «Spiderman», «Spidèremane», ne t’étonne pas qu’elles ne connaissent pas.

– «Les amis», ce sont les autres enfants. «Allez, va jouer avec les amis au parc» ne signifie pas qu’elles ont sympathisé avec tout le quartier mais juste qu’il y a un petit groupe d’enfants à l’air avenant apparemment du même âge. Au Québec, on est amical par essence et méfiant par exception.

– L’école commence à 5 ans. Elle n’est ni retardée ni déscolarisée. Elle va encore à la garderie puisqu’elle n’a pas l’âge requis pour commencer la maternelle.

– Le pain au chocolat est appelé chocolatine. Elle ne te «niaise» pas pour déclencher une bataille nord-sud pour qui a le bon terme.

Avec ça, nous devrions être au point pour passer de bonnes vacances! Quelqu’un peut me passer la crème solaire?

-Lexie Swing-

Mon pays d’immigrés

On rit en roumain, on s’énerve en espagnol, on s’émeut en arabe, on ironise en français et on fait des affaires… en anglais. On croise des jeunes qu’on devine asiatiques et l’on s’agace de ne pas reconnaître la spécificité de leur langue, par méconnaissance. On dit bonjour en arabe à la gardienne marocaine et l’on s’excuse d’un sourire de ne pas savoir en dire plus.

Les CV affichent les spécificités, des troisièmes langues venues d’autres contrées. Ici on parle français, anglais et souvent quelque chose de plus. Les familles continuent, avec raison, à chérir ces langues familiales, culturelles, traditionnelles. Garder ses racines pour en faire une force, une compétence supplémentaire.

La diversité nous rend riche. La diversité a rendu le Canada riche.

Nous la vivons au quotidien. Au travail, à l’épicerie, à la garderie. Beaucoup d’immigration. Juste pas toujours la même génération. Nous sommes l’immigration récente. La fille de notre première gardienne, Roumaine, a le même âge que moi. Mais c’est ici qu’elle a grandi. Les arrières-grands-parents de la blonde d’un ami, une Irlandaise, sont arrivés il y a fort longtemps et ont fait du Canada leur patrie.

Notre terreau c’est le monde mais les nouvelles racines font leur chemin dans cette terre-ci. On a transplanté nos semis dans ce pays qu’on a choisi. Et l’on ne tergiverse pas avec quelqu’un sur l’origine de son nom ou la couleur de sa peau. Car dans cette société là, celle qui se construit, nous sommes égaux. Il est mon coiffeur, elle est ma banquière, il est mon agent immobilier, elle est la caissière de mon épicerie, ils sont les amis de mes filles et de futures personnes indispensables au Québec de demain.

Cette diversité-là est physique, elle est de langue, elle est d’origine, elle est de religion, elle est de nuances de peau. Elle est visuelle, palpable, chantante. Elle est gourmande, tellement gourmande, quand elle se traduit par un potluck entre collègues et que chacun apporte un plat qu’il maîtrise. Elle est de mémoire, elle est un puzzle d’histoires, lorsque des événements surgissent, qui nous poussent à remonter le fil du temps et à comprendre le quotidien d’alors, au-delà de ce que nous ont appris nos livres d’histoire. Elle est de curiosité. Apprivoiser les habitudes des autres, plisser le nez devant des odeurs inconnues et s’amuser que tout le monde – ou presque – aime le pain.

Elle est nécessaire. Elle apporte tellement, en termes d’ouverture au monde, et de confrontation. Savoir qu’il n’existe pas une universalité mais un champ infini de possibilités.

Elle est secondaire, quand l’intérêt commun prime. Quand il faut venir en aide, quand il faut s’indigner, et quand il faut se réjouir.

Hier j’ai vu une jeune entrepreneure faire la promotion de ses nouvelles robes d’intérieur. L’une des photos principales met en scène deux magnifiques femmes. L’une blonde, aux cheveux longs et bouclés rejetés en arrière, la seconde aux yeux brillants superbes, avec un voile noué sur les cheveux. Les deux regardaient au loin, dans la même direction. Ça m’a émue, joyeusement émue, parce que c’est ça, c’est ce genre de monde auquel je crois. Une cohésion, un esprit d’équipe, une richesse faite de diversité et d’individus avec leur propre histoire, leur propre voix et leur propre visage.

On ne gagne rien à rester dans un entre-nous, mais l’on a tout à gagner à s’ouvrir au reste du monde, qui a tant à offrir.

-Lexie Swing-

Immigration : quelle place pour les grands-parents?

grandpaVous noterez la formalité du titre, nous allons parler d’un sujet qui fâche… Non en fait, pas pantoute, les mots-clés sont les amis du référencement, c’est tout ;)

En partant de France, nous avons laissé derrière nous une maison en pleine cambrousse, des jobs que nous ne regrettons pas, des amis avec qui nous tentons de garder le contact et… la famille. Lorsque l’on part vivre à l’étranger avec ses enfants ou que l’on voit naître sa progéniture sur une terre éloignée, se pose presque toujours la question de la famille.

C’est cet aspect qui est le moteur de bien des retours au pays, le point noir de toute immigration. Aussi grandiose soit la vie que l’on a trouvée à l’étranger, l’ombre qu’elle projette n’est pas complète. Il manque un bout du puzzle et le morceau manquant est perdu quelque part sous le canapé du salon. On le réassemble à l’occasion, pour Noël, pour des vacances trop courtes, pour un mariage de quelques jours… et puis la pièce nous échappe de nouveau.

Pour ne pas l’oublier, ne pas la perdre, il faut l’encadrer cette pièce, la mettre sous verre au milieu du couloir. Elle ne fitte pas avec les autres, elle est un puzzle à part, à qui il manque également un morceau, laissé quelque part à l’autre bout du monde.

De notre côté, nous sommes chanceux. Depuis trois ans, mes parents sont venus environ deux fois par année. Ils nous ont gardé les filles pendant les périodes de congé. Ils ont répondu présents pour veiller sur B., à la naissance de la petite dernière. Et ils étaient aux premières loges, lors de son arrivée. Mes beaux parents viennent avec une régularité métronomique, en partie conditionnée par le marathon de Montréal, profiter des beaux jours de septembre.

Miss Swing ne les a jamais oubliés. Ni les uns, ni les autres. Ils ont une place importante dans sa vie. Elle projette leur existence dans la sienne puisqu’ils s’y tiennent souvent, plusieurs fois par an. Tempête oublie probablement mais leur fait rapidement fête, on ne renie pas des gens toujours prêts pour jouer, offrir des jouets ou faire des câlins.

Est-ce qu’ils en profitent?

Oui, du côté des filles, j’en suis sûre. Du côté des grands-parents, je crois aussi, sauf quand le bébé refile la gastro à tout le monde pendant une semaine. Lorsque nous sommes partis, les vacances ont fait partie de nos arguments de vente (autrement appelés arguments-qui-font-passer-la-pilule), ce 24h sur 24, ce temps suspendu, ça nous paraissait intense mais appréciable. Nous passions des week-ends au milieu de leur quotidien, toujours bienvenus mais pas forcément prioritaires, puisqu’ils se répétaient, puisqu’il y aurait d’autres week-ends et que l’on se reverrait dans quelques semaines.

Désormais, il n’y a plus quelques semaines. On ne se revoit pas dans quelques jours. Au mieux dans trois ou six mois, parfois dans 18 mois ou deux ans. Il faut en profiter maintenant. Faire des choses folles comme un road-trip aux États Unis ou un plongeon dans un spa par -30 degrés un soir de réveillon. On mène la vie de château, on sort les grands plats et on allonge les notes.

Nos parents ne remettent pas à plus tard le temps passé avec nos enfants parce qu’ils n’ont rien de mieux à faire, là, tout de suite. Il n’y a pas de factures qui attendent sur le bureau, pas de collègue qui appelle pour rapporter un problème au boulot. Il n’y a que du temps pour rire, pour jouer, pour se disputer.

Est-ce que c’est dur?

Bien sûr que c’est dur. Je ne suis pas certaine que l’humain soit programmé pour profiter à fond de moments dédiés. Miss Swing réalise de plus en plus leur absence et souffre de leur départ. Elle voudrait voir de ses yeux plus souvent ce qui fait le quotidien de ses grands-parents. Et puis il y a les autres, sa tante, son oncle, leurs enfants respectifs, sa grande-tante et le reste de la famille, ainsi que son parrain et sa marraine, qui sont loin et sont tributaires de nos rares retours au pays.

Alors comment on fait?

On en parle, on les inclut, on les appelle. FaceTime est devenu notre meilleur allié, et permet, à défaut d’une conversation (chez nous, avoir une conversation avec les filles est mission impossible), de se voir, de s’observer, de montrer les dernières pirouettes apprises et de refuser de chanter une chanson. On envoie des photos, on multiplie les vidéos. On installe une mappemonde pour comprendre où chacun vit, et on créé un livre photo à garder dans la petite bibliothèque des enfants. On les affiche, les photos, partout où leur regard pourrait se poser. On s’envoie des dessins, des petits colis. On garde le lien, parce que non, ce n’est pas vain.

La distance change les relations, elle ne les éteint pas forcément. Cela prend des efforts supplémentaires peut-être, mais ce qui en ressort est parfois plus fort encore.

-Lexie Swing-

Crédit photo : Conor Ogle

4 choses à savoir sur les Français du Québec (ou sur moi seulement, à vous de voir)

Humilité. Pour moi, c’est le maître mot à connaître lorsqu’on immigre dans un autre pays, une autre culture. C’est le mot à garder en tête, lorsqu’on arrive au Québec, et que tout le monde parle comme nous, mais pas tout à fait. On est encore trop nombreux à arriver à Pierre-Elliott Trudeau avec notre Bescherelle et notre bon goût sous le bras, convaincus que l’on va sauver cette pauvre nation de sa vilaine orthographe et de son adoration pour les leggings.

./ Photo Mauricio Lima

./ Photo Mauricio Lima

Humilité donc. Nous sommes ici en terrain inconnu. La culture et l’histoire y sont bien différentes de la nôtre. Notre seul point commun, outre la francophonie, c’est que nous sommes des Occidentaux. Nous avons donc accès à des choses assez communes, un niveau de vie général relativement similaire, des études supérieures, principalement des métiers de service, etc. Mais notre géographie n’est pas la même, notre développement social non plus.

Cependant, quelle que soit notre volonté de rester humble, nous restons Français. Nous restons des étrangers, en fait. Nous avons grandi ailleurs, et nous aimons donc des choses différentes. Et ce qui passe pour de l’insolence ou de la condescendance parce qu’il est souvent mal présenté ou dit avec arrogance, n’est en fait que la résultante d’une enfance dans une autre culture. Démonstration.

L’anglais. Au Québec, de nombreux professionnels sont bilingues. Et beaucoup de gens utilisent des anglicismes, parfois sans le savoir. Tout comme en France. Sauf que souvent, ce ne sont pas les mêmes qu’en France. Par contre, on lutte pour maintenir le français. Dans les magasins, dans les services, dans les écoles, dans les conversations, sur les étiquetages, etc.   En France, notre niveau d’anglais est terriblement bas. À ce jour, les méthodes d’enseignement restent encore assez inadaptées au besoin réel de la réalité internationale et du marché du travail. Alors, pour nous, l’anglais c’est presque exotique! C’est l’étranger, l’aventure, les vacances. On est jaloux de constater que beaucoup de gens sont bilingues. Bien sûr, il nous aurait suffit d’aller plus à l’Ouest pour tenter l’immersion totale, mais tsé, mets pas la charrue avant les bœufs cocotte, on n’a pas dit qu’on voulait parler seulement en anglais, parce que le français reste notre langue d’amour. Ce qui nous amène au point deux.

Le français. Récemment, un guide m’a dit que les Français étaient une chance pour le Québec car ils permettaient un maintien de la langue. Je me suis sentie appréciée et importante. Après il a dit qu’il ferait quand même volontairement du mal aux vertueux de la grammaire française qui rabattent le caquet des Québécois à la moindre expression qu’ils jugent mal orthographiée. Un vidéo, écouter un film, une trampoline, à toutes les heures de la semaine… Tout ça n’existe pas en France. De notre côté, on dit une vidéo, regarder un film, un trampoline et le à (mais que vient faire d’ailleurs ce à que les Québécois n’utilisent pas pour autant à l’écrit?) n’a pas droit de cité dans ce cas. On corrige, mais c’est un réflexe. Vous feriez de même si vous veniez en France et que vous entendiez parler d’une vidéo alors que vous l’aviez masculinisé toute votre vie. Vous pensez avoir mal entendu. Puis vous riez. Vous demandez si c’est une joke/une blague. Et s’ensuit alors le débat habituel France/Québec sur l’utilisation des déterminants. La bonne nouvelle, c’est que rapidement on se met à reprendre les autres Français. On cédule, on dîne à midi et on est choqué qu’ils dinent le soir et on se mord la langue en entendant parler d’un job (en tout cas moi car une partie des Québécois l’utilisent aussi). On s’acculture en fait, et on fait de votre chez vous notre chez nous (pis on pille vos maisons, vos femmes et on abreuve nos sillons comme dit notre charmante chanson).

La bouffe. Déjà, on ne dit pas bouffe en France. Du moins, pas dans le langage normal ou soutenu. C’est moche et un peu péjoratif. Je me souviens très bien de la première fois où je l’ai vu écrit au centre Desjardins pour indiquer le niveau des restos. Mais on apprend vite, la preuve! La bouffe québécoise, quand on en parle, c’est souvent pour parler de poutine, de barbecue et de crème molle. Voire de guédilles de homard, qui ne sont pas québécoises d’ailleurs il me semble. De repas arrosés de sirop d’érable, de blé d’inde beurré et grillé… Bien sûr que c’est bien plus que ça, que la nouvelle génération de chefs est inventive et extraordinaire. Mais croyez-vous vraiment que la cuisine française, ce sont seulement des escargots et du foie gras? Que l’on cuisine tous un carré d’agneau le dimanche midi? J’aimerais tellement vous montrer que c’est plus que ça, vous faire goûter les petites rates de mon grand-père, la ficelle picarde, le gâteau au chocolat simplissime du goûter le dimanche. Fait que, c’est correct si vous ne mangez pas tous du pâté chinois. Parce que je ne mange pas de blanquette de veau non plus.

Les États-Unis. États-Unis, yeaaah. Les premières années, on va plus souvent dans le Maine, à Boston et NY que dans la région de Charlevoix. Pas toujours mais quand même, beaucoup d’entre nous. Quand on est en France, on entend finalement peu parler du Québec. Sauf pour dire que vous avez de la poutine pis des caribous (*information sélective*). Par contre, les États (en France on dit USA, ou States, mais avec l’accent français) ça nous fait briller des étoiles dans les yeux. Pas pour y vivre mais pour voyager. Alors sitôt rendu à Montréal, on droppe nos valises et on saute dans une voiture louée, trois copains trop serrés sur les sièges arrières, et on file comme le vent entre les bois bien verts des Adirondacks. A l’approche de la Grosse Pomme, on se colle New-York d’Alicia Keys à fond les enceintes et on s’époumone dans la descente en découvrant les gratte-ciel. Et puis assez vite, l’intérêt s’épuise. On découvre la Mauricie, la région de Charlevoix, on pousse jusqu’au Saguenay, on rêve devant les photos de la Gaspésie. Et puis le temps d’une journée, on prend les sacs à dos et on part dans les Adirondacks, juste pour le fun de passer la frontière.

Et encore tout ça, c’est ma réalité, peut-être la moitié de celle de mes amis et pas du tout encore celle d’autres copains. Le propos du départ, c’est que nous ne sommes pas nés exactement sous le même ciel. Si on le dit humblement, c’est quand même correct qu’on vive les choses différemment, non?

Et vous, comment vous voyez le Québec/Canada à travers vos yeux de Français?

-Lexie Swing-

Immigration : les petites habitudes 

./ Photo Hugo Chisholm

./ Photo Hugo Chisholm

Quand elle sera grande, Miss Swing dira peut-être que « chez (elle), on mangeait toujours à 18h ». Elle ajoutera qu’on allait souvent faire un tour de vélo les soirs de fin de semaine, l’été venu, et que ses grands-parents venaient plusieurs fois par année. Elle précisera que pour Papi et Mamie, c’était toujours aux alentours de fin septembre, proche du marathon de Montréal, et qu’elle loupait alors la garderie, et peut-être l’école, pour une journée ou deux, histoire de profiter d’eux. Elle se souviendra que chez elle on mangeait beaucoup de légumes, souvent du tofu et presque pas de viande. Que les dimanches d’hiver sentaient le gâteau maison et ceux d’été le barbecue. Et qu’il y avait souvent des amis pour le partager. Elle se rappellera du train de banlieue que ses parents prenaient le matin, et par lequel ils rentraient le soir. Celui qu’elle guettait parfois, à la gare, quand son papa rentrait un peu plus tard. Elle dira dans un rire que ses vacances, c’était souvent la France. Et à ceux que ça fera rêver elle rappellera que pour elle c’était plutôt les vacances en famille que la côte et son sable fin. Mais elle saura aussi que ses voyages à elle, c’était les Etats-Unis, le Québec, et le reste aussi.

Si la nouveauté devient routine, alors elle se souviendra aussi des vacances en Floride, chez son oncle, du potager de légumes dans le jardin, et des paysages de la région de Charlevoix, qui ont tant séduit son père.

Ce qu’elle ne saura pas, c’est l’avant, l’avant elle, les premiers nous. Le frigo plein de croque-monsieur Herta, et de pâtes farcies. Les repas à 20h. Les 4h de route pour rejoindre Clermont-Ferrand. Les vacances dans les capitales européennes. Le jambon sous vide et le foie gras un peu trop souvent. Le vin qu’on débouchait généreusement. La neige inexistante. Elle ne connaîtra pas certains visages, elle ne saura rien de ce que furent nos habitudes et notre quotidien. La télé qui tournait sans cesse, les séries dont on se gavait, la musique omniprésente. Le travail qui finissait à 19h et les week-ends de permanence. Elle devra faire un effort pour compter en euros, et ne pas rajouter de taxe. Elle sera très généreuse avec les serveurs, distribuant des pourboires avec obligeance et obligation. Elle aura l’accent chantant de ceux qui vivent de l’autre côté de l’Atlantique. Elle aura ses propres habitudes, les nôtres, bien loin de ce qu’elles furent alors.

-Lexie Swing-

Comme un building

Montréal, vue de Longueuil./ Photo Alex Drainville

Montréal, vue de Longueuil./ Photo Alex Drainville


 

Samedi, je roulais seule vers Montréal. L’autoroute, la zone mi-industrielle à l’approche de Longueuil, et puis soudain le pont. Le pont et ses buildings majestueux qui se découpaient dans le crépuscule. Des buildings comme il en existe à New-York, Boston ou Toronto. Des buildings inexistants dans le monde d’où je viens. Je suis née dans une ville dont l’horizon se borne à la campagne et aux immeubles HLM. J’ai grandi dans plusieurs autres, villes moyennes où la ligne des toits culmine à cinq mètres, tout au plus. Ces buildings qui grandissent à mesure que je traverse le Saint-Laurent, c’est le Canada. L’Amérique. Celle que l’on fantasmait en regardant des séries télé.

Et tout à coup ça m’a happée. Vache ! L’ Amérique ! J’avais atterri là, à l’autre bout de l’Atlantique, et j’avais enfilé le costume de cette vie sans me poser de questions. J’ai acheté une maison et trouvé un boulot, j’y ai fait un enfant et payé mes impôts. Je me suis coulée dans les normes, j’ai appris le nom des institutions et suivi les élections. Je suis devenue schizophrène, le cul entre deux mondes et les pieds bien plantés. J’ai dit carte vitale, j’ai dit carte soleil, j’ai dit sécurité sociale parce que tout le monde comprenait. Je me suis excusée de ne pas connaître des expressions, j’ai applaudi lorsque nous partagions des impressions, soulagée de pouvoir penser que nous étions un peu pareils. Je me suis parfois retrouvée perdu devant l’implacable rejet de certains face au maudit français, et je me suis lancée passionnément dans des débats qui finissaient toujours par conclure que le Québec c’était mieux. Et c’était forcément mieux, puisque nous étions ici. J’en ai fait mon pays. J’ai tout pris, sans concession. J’ai pris les libertés, j’ai pris le bilinguisme et la défense farouche du français, j’ai pris les mots, j’ai pris le libéralisme, j’ai pris la gentillesse et l’affabilité, j’ai pris la chasse aux phoques et la production de chiots à outrance, j’ai pris les fourrures, j’ai pris la neige, j’ai pris la chaleur de l’été, j’ai pris le mois d’avril et ses pluies déprimantes, j’ai pris l’automne et ses couleurs chavirantes, j’ai pris la cabane à sucre et surtout la tarte qui va avec, j’ai pris les purées pour bébé poire-épinards et citrouille-framboise, j’ai pris les États-Unis et leur proximité, et les vacances dans « le Sud » pour se rappeler l’été. J’ai tout pris et j’en ai fait ma vie. J’ai critiqué ce qui était critiquable, j’ai louangé ce qui était appréciable. J’ai tout pris, c’est mon pays, mais je l’ai vu d’un œil neuf, de l’œil de ceux qui n’y ont pas grandi. J’ai la chance de la distance, d’être née ailleurs, d’avoir connu autre chose. J’ai la chance d’avoir fait la traversée, d’être une immigrée. J’y ai vu le poids de l’expérience, j’ai soupesé mes compétences. Et pour la première fois, en roulant vers les buildings, je me suis sentie presque, presque quand même, aussi grande qu’eux.

-Lexie Swing-

Immigration au Canada : ce qu’on n’avait pas imaginé

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En voyage aux USA, tout près./ Photo DR Lexie Swing

Immigrer, c’est se préparer à une autre culture, à un autre mode de vie. Parfois très différent, comme dans le cas de H. à Dakar. Mais malgré toute la préparation psychologique possible, il y a des choses auxquelles on ne s’attend pas, des détails qui nous ont échappés. En immigrant au Canada, je n’avais pas pensé à:

La neige. Je connais la neige. J’allais souvent au ski enfant. Et puis entre Clermont-Ferrand et Saint-Etienne, à l’approche des bois noirs, elle est souvent très présente au coeur de l’hiver. Je connais la neige. On l’attend, on trépigne, elle tombe, on court dedans. Et puis le lendemain on se lève et elle a fondu. Ma réalité canadienne : s’il arrive que la neige de décembre fonde avec un retour ponctuel de la chaleur aux alentours de Noël, la neige de janvier, elle, tient bien. Elle n’est pas juste en montagne, pas juste en campagne. Elle tombe, elle reste, et elle est partout. C’est comme être en station pendant trois mois, chaussé de ses moon-boots et de son blouson de ski. D’ailleurs il n’est pas rare que le forfait pendouille de la poche de poitrine. Personnellement, j’adore (le couic-couic de la neige sous les pieds, vous vous souvenez?).

Le médecin. En France, quand je suis malade, j’appelle Patrick (Patrick, c’est mon médecin) et il me dit de passer dans la journée. Au pire, si c’est la 151e cystite de l’année, il laisse l’ordonnance sur la tablette à l’entrée. Et si c’est dimanche, le médecin d’astreinte au système de répartition de mon département envoie directement l’ordonnance à la pharmacie de garde. Ma réalité canadienne : Nous avons eu la chance de trouver un médecin de famille (un médecin traitant) et c’est presque mission impossible. Quand je suis malade je passe au sans rendez-vous le matin et on m’indique à quelle heure je vais pouvoir revenir. Ou bien j’y vais avec mon ordinateur et je travaille de là-bas. Quand les filles sont malades, j’attends d’être bien bien sûre que ça ne va pas passer tout seul, je ne m’amuse pas à aller voir leur pédiatre juste pour le plaisir de faire « constater » leur nouveau rhume. Si je veux voir mon médecin de famille, c’est rdv le mois prochain. Pour l’angine on repassera, par contre pour le suivi c’est bien. Vivre au Canada apprend donc à relativiser ses menus problèmes et éviter de plomber le système de santé en toquant chez le médecin à la moindre interférence gastrique. Ce n’est pas forcément toujours un système rassurant, c’est certain. Mais au moins il responsabilise.

Le maudit Français. En France, on se critique beaucoup entre Français. On dit que les autres Français sont intolérants, râleurs, on a un peu honte en voyage quand on voit un Français faire une crise à la réception d’un hôtel. Mais quand il est question d’unité nationale on répond présents. Parce qu’il s’agit de notre pays, de nos origines. Ensuite on se remet à critiquer. Ma réalité canadienne : il y a deux types majeurs de Français immigrants au Canada, celui qui vient vivre à l’étranger et celui qui vient en France. Oui vous avez bien lu. Certains de nos compatriotes arrivent au Canada en pensant arriver en France. Après tout on parle français, on mange des patates et surtout il y a fuuuull de Français dans certains coins de la Province. Ils ne sont pas prêts pantoute à découvrir que le Québec, ce n’est pas la France. Ils déplorent l’usage des mots, trouvent la grammaire fantaisiste, et les relations entre humains difficiles. Faque, ils font ce que tout bon Français de souche fait dans une telle situation : ils critiquent. Ouvertement. Ça ne plaît pas aux Québécois, qui se font soupçonneux lorsqu’ils nous voient débarquer avec nos Pajar hors de prix et notre accent pointilleux. Alors même si tu arrives la fleur au fusil avec ton drapeau blanc et ta volonté de t’intégrer, tu tomberas toujours sur des Québécois pas ravis du tout de te voir là. Juste parce que tu es Français? Juste parce que tu es Français… Vois-tu comme, en France, les Marocains intégrés ou tentant de l’être paient pour le seul Marocain qui a décidé que la France, c’était correct de la considérer comme le Maroc vu qu’on y parle français de même et que toute la gang du bled est déjà là et qu’il peut donc ruer dans les brancards et faire des pieds de nez aux règles et lois françaises ? Et ben c’est pareil. Il arrive que tu doives ramer grave pour te faire accepter, et pour certains tu resteras toujours le petit Français avec ton pain blanc, ton béret et tes critiques malvenues sur la grammaire malmenée.

La carte de crédit. En France, j’avais une carte de crédit. Depuis mes 16 ans. 16 ans, t’imagines? J’avais un découvert autorisé, et passé ce découvert je ne pouvais plus utiliser un cent de plus. Même si je me retrouvais en rade au sommet de l’Himalaya avec comme seule issue un pot-de-vin à refiler au chef des sherpas. Lorsque je l’utilisais, ça faisait baisser le solde de mon compte immédiatement. Et lorsque je voulais retirer de l’argent au distributeur, j’utilisais cette même carte. Ma réalité canadienne : Ma mère, dont la finance est le métier, m’avait expliqué que ce n’était pas pareil sur le continent nord-américain. Là-bas on avait des cartes de CREDIT. Ouais mais moi aussi j’avais une carte de crédit, et puis quoi? Et puis elle avait raison. Lorsque nous sommes arrivés au Québec, nous avons ouvert un compte et reçu en retour une carte de débit et une carte de crédit avec un plafond de 1000 dollars. Lorsque nous retirons de l’argent, nous utilisons la carte de débit. Nous pouvons également payer avec la carte de débit mais l’achat est prélevé immédiatement sur notre compte. La plupart du temps, nous utilisons la carte de crédit. Visa, Mastercard, même chose que partout. Ce crédit, il faut le rembourser. Chaque semaine, nous évaluons les dépenses réalisées avec la carte de crédit et versons la somme correspondante depuis notre compte pour rembourser le solde. Au fur et à mesure du temps passé au Québec, l’organisme de crédit propose d’augmenter la limite autorisée. Vous pouvez donc avoir droit à, disons, 10 000 dollars. Et là ça peut poser problème. 10 000 dollars, c’est idéal quand on veut payer des billets d’avions pour aller au bout du monde. Mais il faut les rembourser, et vite si possible, sous peine de devoir payer des frais importants. Beaucoup de magasins proposent leur propre système de crédit. Et c’est dans la culture du pays que de passer par ces crédits pour s’offrir des choses. Télévisions à crédit, ordinateurs à crédit, plancher et peinture à crédit, etc. Comme ce n’est pas dans notre culture d’origine de tout acheter à crédit, les Français s’en sortent plutôt bien dans ce système, évitant d’acheter des choses qu’ils savent ne pas pouvoir rembourser immédiatement. Mais qu’importe les origines, tout le monde peut-être envouté par la poule aux oeufs d’or. Et se retrouver englouti dans une spirale infernale de surendettement. Sans un organisme comme la CAF pour venir en aide.

Les mots. En France, on comprend globalement quand les autres nous parlent. Même les patois régionaux laissent la place au français universel de France la plupart du temps. Bien sûr, certaines expressions surprennent parfois. Comme quand je dis « boseigne » à quelqu’un qui ne va pas bien, ou qu’on parle d’aller à la vogue. Mais, en voyant le visage de l’interlocuteur, on se reprend vite car on a conscience d’utiliser un mot de patois. Ma réalité canadienne : Le français du Québec ne ressemble pas vraiment au français de France. Et ce n’est pas du patois, c’est la langue de la province (j’insiste là-dessus). La structure de la phrase est la même, ils se ressemblent pas mal à l’écrit mais à l’oral c’est une autre affaire. Outre le fait que je ne comprenais pas du tout lorsqu’on me parlait au départ, il y a encore aujourd’hui des mots qui me manquent. Quand je fais une recherche pour un produit en particulier dans google, il m’arrive de le taper en anglais, faute de trouver la correspondance en français du Québec. Les articles de puériculture en sont un bon exemple : sac à couches (le sac où on met les affaires de bébé), bassinette (berceau), bas (chaussettes), mitaines (gants, avec des doigts), formule (lait infantile), drap contour (drap housse), etc. Maintenant j’ai deux fois plus de façons de dire les choses, et ça me plaît beaucoup (et je peux faire tourner en bourrique mes amis en France). Il y a aussi des utilisations auxquelles on ne se fait pas, comme pour moi « bouffe » et « cochon ». Bouffe est vraiment usuel. Il désigne la nourriture, mais pas vraiment au sens familier du terme. Il est utilisé dans les publicités, ou pour désigner le « food-court » (l’endroit où on peut trouver à manger) dans un centre commercial par exemple. Et quand on dit qu’un plat est cochon, c’est pour signifier qu’il était bon et copieux. « C’est cochon » entendrez-vous parfois s’exclamer votre ami au restaurant. C’est drôle, et ça me déconcerte toujours!

Les mains tendues. En France, même si la solidarité existe, on pratique pas mal le chacun pour soi. File d’attente, places assises, jour de tempête… C’est souvent d’abord pour soi et ensuite pour les autres. Le métro arrive, je dégomme Mamie Gertrude sur les rails et je m’engouffre dans la rame. Tant pis pour la blonde chargée comme une mule avec ses deux marmots, elle n’avait qu’à pas en pondre deux à la fois. Non mais. Ma réalité canadienne : j’en ai souvent parlé, c’est mon sujet préféré, mais ici il y a une vraie culture de la main tendue. Je suis trop chargée avec bébé Swing à la garderie? Un autre parent m’habille ma grande fille. Je suis trop chargée avec bébé Swing à l’épicerie? Un employé emballe mes courses et les met dans ma voiture. Je suis trop chargée avec bébé Swing dans le bus ou le métro? Deux personnes, un homme ou une femme, parfois un préado (mais un vieux non, les vieux sont partout les mêmes) jaillissent de leur siège pour que je m’assoie. Je suis trop chargée – et trempée – sous la pluie avec bébé Swing? Une famille en voiture s’arrête pour me demander si j’habite loin et si j’ai besoin d’un lift (être ramenée chez moi). Personne ne se dit que je n’ai que ce que je mérite, et que je n’avais qu’à pas pondre ma marmotte dans un pays où il faut – 25 l’hiver. Les gens sont aidants. Les gens sont gentils. Et même je dirais : les gens ne se posent pas la question. Il m’a suffi de voir des adolescentes me proposer leur assistance chaque jour lorsque je prenais le métro à côté d’un lycée de filles pour savoir que c’était dans la culture, dans l’éducation. Qu’importe qu’elles soient premières de la classe, polies et assidues ou jemenfoutistes et rebelles; j’avais l’air d’avoir besoin d’aide, elles me proposaient donc leur aide. C’est tout.

C’est tout, et c’est beau aussi. Et c’est pour ça que c’est le pays où j’ai choisi… de rester.

-Lexie Swing-

 

Le Noël des expatriés

Le cadeau de Noël de l'éducatrice./ Photo DR Lexie Swing

Le cadeau de Noël de l’éducatrice./ Photo DR Lexie Swing

Quand on est expatrié, il y a – grosso modo – trois façons de fêter Noël. La première, très courue, consiste à rentrer en France. Heureux possesseurs d’un billet hors de prix, nous nous engouffrons dans un avion vêtus de nos manteaux prévus pour affronter -30° qu’il nous faudra quitter dès le pied posé sur le sol français. S’enchaînent alors dix jours, voire deux semaines pour les plus chanceux, d’un marathon intense où l’on se relève à peine les fesses posées sur un canapé. Ce sont les Fêtes du pire et du meilleur. Toute la famille est réunie, on a la chance de croiser Mamie Berthe en dehors de sa maison de retraite et les amis éparpillés en France et dans le monde sont tous revenus passer Noël « au pays ». Mais ce sont des vacances sans repos, des vacances où il est impossible d’accorder plus d’une heure de temps à quelqu’un, des vacances où l’on avale les kilomètres autant que les chocolats et le gratin dauphinois. Des vacances qui ne sont pas des vacances. Juste des retrouvailles éphémères.

Il y a la version « la France vient chez moi ». Alors on file chercher à l’aéroport nos familles englouties jusqu’aux yeux sous des vêtements de ski dernier cri. On leur avait promis un Noël blanc mais voilà que l’herbe renaît sous leurs pas. Ou alors on leur parlait des températures clémentes et leur avion se pose sur un mètre trente de neige. Environ. Pas de demi-mesure. Ils sont ravis. Nous aussi. Ils ont apporté du foie gras dans leurs bagages, même si personne n’est bien sûr que c’est légal. On en profite pour passer quelques jours « au chalet », tout en déplorant l’absence du reste de la famille. On s’inquiète un peu de l’arrière-grand-mère qui ne sortira guère de sa résidence pour les Fêtes, des frères et soeurs qui ne verront pas nos parents pour le 25. Mais on en profite. On est un peu égoïstes.

Et puis la dernière possibilité, en dehors de rester entre-soi, c’est de retrouver son autre famille. La canadienne. Celle que l’on s’est construite, à coups de rencontres entre blogueurs, ou entre forumeurs. Grâce au travail, grâce au sport, grâce aux enfants. Une grande famille d’expats, qui se serre toujours les coudes. On mélange nos traditions, on réinvente la culture des Fêtes. On apporte un peu d’ici, et beaucoup d’ailleurs. On se comprend. On est pareil. On est de partout. On est de France, souvent. On ne se serait jamais rencontrés en France. On se serait croisés au détour d’un ciné. Et ignorés. Ici, on est amis. On est ensemble. On est une famille. Demain soir, je retrouve ma famille. L’autre. Et j’ai hâte de même.

Où que vous soyez, avec vos parents, vos frères et soeurs, avec Mamie Berthe, avec vos voisins, avec vos collègues ou avec vos amis. Que vous soyez bien ou mal accompagné… Passez de belles fêtes, soyez heureux, profitez-en. Même si c’est trop, même si vous courez, même si ce n’est pas exactement comme vous l’aviez imaginé… Avec une guirlande de Noël, on peut illuminer tout un monde. Demander à un enfant qui traîne par là, il vous le dira…

Et à bientôt…

-Lexie Swing-

Et de deux!

Aéroport de Montréal./ Photo abdallahh

Aéroport de Montréal./ Photo abdallahh

Deux ans. Le 25 août 2013, chargée comme une mule de trois bagages, d’un bébé et d’un chien, je passais les portes de l’aéroport de Montréal. Derrière celles-ci m’attendait mon amoureux, prêt à commencer cette nouvelle vie ensemble, de l’autre côté de l’Atlantique.

Deux ans plus tard, nous avons encore migré. De l’ouest de l’île de Montréal, où nous louions notre premier condo, nous avons déménagé sur la rive-sud, et sommes devenus du même fait propriétaires. En même temps que l’immigration, c’est notre vie d’adultes que nous avons entamée. Nous avons laissé derrière nous les études, les jobines, les appartements croches de la région toulousaine, les cautions parentales, l’insouciance de la vie à deux; pour entrer à toute allure dans le tunnel  des responsabilités parentales, des vrais boulots qualifiés, des prêts avec intérêts modérés et des soucis de propriétaires.

En deux ans, nous avons…

  • Changé de voiture, deux fois, toujours pour une Subaru Forester.
  • Loué un condo
  • Acheté une maison
  • Eté trois fois aux USA
  • Fait l’aller retour une fois pour la France
  • Trouvé trois garderies pour Miss Swing
  • Trouvé un boulot, pour moi
  • Trouvé un boulot, puis un autre, pour mon amoureux
  • Eu un deuxième enfant, in extremis pour être comptabilisé dans nos deux années de vie canadienne.

Et encore, ce n’est rien quand on pense à toute cette vie que l’on reconstruit, aux mille démarches administratives, aux aller-retours chez Ikea car on n’a rien de rien, pas même une cuillère pour manger son yogourt, aux amitiés à reconstruire, aux jobs à trouver, aux enfants à confier, à la routine à réinventer, aux produits que l’on cherche désespérément dans les rayons des supermarchés, aux habitudes locales que l’on ne comprend pas toujours, au coeur que l’on met à défendre sa nouvelle patrie, qui n’est pas si américaine, pas si « pleine d’obèses », pas si en retard, pas si libérale, pas si pro-OGM, pas si dévastatrice de l’écologie. On en vante les mérites, on en reprend les expressions, on dit « nous » en parlant d’ici, et souvent « nous » aussi, en parlant de là-bas, on se félicite de notre choix d’être partis, même s’il est parfois difficile d’accepter la distance. On se reconstruit, on s’impressionne nous-mêmes du chemin parcouru, de cette incroyable capacité à tout recommencer.

Deux ans donc, et certainement de nombreuses années encore.

-Lexie Swing-

J’ai signé l’achat de ma maison, c’était un mercredi et il neigeait

Nouvelles clés./ Photo Linus Bohman

Nouvelles clés./ Photo Linus Bohman

Rendez-vous à 18h. Nous prenons la route sous la poudrerie, cette neige fine et battante qui fait des siennes depuis 24 heures. Les rues sont bouchées, les principales artères impraticables, il est 18h10 quand nous passons la porte du notaire.

Ils sont plusieurs à nous attendre déjà : le notaire donc, mais aussi le vendeur et son courtier. Le nôtre, gardien bienveillant, nous rejoindra plus tard, lorsqu’il aura lui -même dompté la tempête.

“Madame, Monsieur…”. Devant tant d’importance, Miss Swing est saisie. Elle profite de l’occasion pour attraper un crayon gras et retapisser le bureau en bois verni du notaire. J’essuie discrètement les traces d’un index humidifié, sans trop de succès.

On nous présente le bâti, les plans, précise que l’occupante a laissé les rideaux. Et puis une pelle, un escabeau, quelques plafonniers, bien trop pressée de partir après des mois d’une succession difficile. “Voici le papier qui vous rend propriétaires”, souligne le notaire. La tension est à sa comble, Miss Swing n’en perd pas une miette, dévorant avec force bruits et postillons une viennoiserie à l’érable dénichée au fond d’un sac et qui devait revenir à son père.

“Signez ici Madame”. Je transfère enfant, sac et miettes à Mr Swing et saisis un stylo au hasard – le notaire en a une bonne trentaine absolument identiques sur son bureau – et signe d’une main et d’un oeil, tandis que l’autre tente d’identifier les possibilités qu’une petite main graisseuse se pose sur le papier au moment où je vais glisser celui-ci vers mon co-signataire.

 Et puis il est l’heure de sortir. On nous tend les clés sans cérémonie. De toute façon, l’un de nous est déjà parti à la recherche d’un nain repu égaré dans le couloir. On se retrouve sur le parking un peu hébétés, nos nouvelles clés carillonnant dans nos mains. Un détour par une boutique de sandwichs pour s’approvisionner et nous traversons lentement la petite zone de commerces située au dessus de la maison. La neige continue sa valse tourbillonnante et le sol uniformément blanc donne à Saint-Bruno un petit air de village de ski.

 On a fêté notre achat accoudés (ou assis, selon nos tailles respectives) aux meubles de la cuisine, avec des sandwichs chauds, des chips (les premières pour Miss Swing dont l’appétit était déjà revenu) et du jus de pomme. Un pique-nique improvisé dans notre maison vide et silencieuse, toute prête pour notre nouvelle vie.

 

Ensuite Miss Swing a découvert les placards où se cacher, les escaliers à descendre sur les fesses, la chasse d’eau que l’on peut tirer quinze fois de suite, les poignées de porte à sa hauteur… Et le spectacle a commencé.

 

-Lexie Swing-