
Une récente publication Instagram de l’excellente Philosophyissexy m’a amené à réfléchir sur ce cheval de Troie que représente pour les personnes ciblées les commentaires haineux, du moins agressants, sur la Toile, et dans la vie en général. Sitôt distillés, ils se répandent comme un poison, privant le concerné de la sérénité à laquelle il aspirait. Combien sommes-nous à retenir le seul commentaire négatif dans une marée d’applaudissements? Il en est ainsi depuis que l’Humanité a conscience d’être et se soucie du jugement des autres.
Dans le cas du post, il s’agissait visiblement du domaine professionnel. Un commentaire glissé par un collègue, un client ou un patron à l’heure où l’on ferme boutique, physiquement et mentalement. Dans la vie, il va souvent s’agir de proches, souvent les mêmes, ceux que la société ne nous permet que difficilement d’ignorer : des membres de la famille, en grande majorité. Sur Internet et les réseaux sociaux, la critique négative vient plutôt des flots d’anonymes, vilipendant l’autre dans un but qu’il est difficile de comprendre.
Récemment, j’ai assisté à un échange sur les réseaux sociaux, entre une mère française évoquant son heure de dîner tardive (20 heures) et une mère québécoise lui répondant qu’elle aurait aimé pouvoir souper tard, à la française, mais que la routine familiale l’en empêchait. Tel un caillou sous la semelle d’une ballerine, une commentatrice s’est alors glissée dans cet échange plein de spontanéité entre deux mères que seul un océan séparait. « Vous avez tort, a déclaré la commentatrice d’un ton qu’on imaginait péremptoire. Manger tard, c’est mauvais pour la digestion. Vous ne voudriez pas ça pour votre famille. Quant à vous (et elle interpella ici l’intervenante française), je plains vos enfants de devoir attendre que leur père et mère daignent les faire souper. À 20 heures, ils devraient être couchés depuis longtemps. »
Autre jour, autre instant, dans la vie réelle celui-ci. Ma fille pose une question à son père concernant l’utilisation de l’anti-vibrateur sur les raquettes de tennis. L’entendant, le propriétaire de la boutique où nous nous trouvons l’interrompt : « Je vous arrête tout de suite, déclare-t-il avec un geste éloquent de la main. Vous avez parfaitement tort… » S’ensuit une longue explication sur le caractère inutile de l’outil et le mauvais jugement de mon conjoint. La spécialité professionnelle de ce-dernier? L’acoustique et vibrations…
J’ai observé mille fois dans ma vie des gens intervenir sans y avoir été invités. Des gens qui ont interrompu une conversation, commenté un post, se sont fendus d’une lettre rageuse ou d’un jugement sans appel (et sans tact). L’exemple le plus criant pour moi est le nombre de fans d’une célébrité qui laissent des messages pour commenter l’évolution de son physique, ses choix vestimentaires ou encore sa parentalité. Outre le fait d’y être confronté directement – combien d’entre nous ont déjà reçu des commentaires sur nos choix de carrière ou la façon dont nous éduquons nos enfants ? – je soupçonne le fait que nous jouons nous aussi ce rôle de commentateurs. Nous nous déchargeons de la pensée qui vient de nous traverser l’esprit, sans nous soucier de l’état d’esprit de celui ou celle qui devra l’accueillir. Cela représente pour moi la même idée que cette amie que je côtoyais au lycée et qui claironnait « je dis ce que je pense et tant pis si ça fait pas plaisir, y’a que la vérité qui blesse ». Malheureusement, il n’y a que peu de vérités réelles et beaucoup d’approximations. Il n’y a que du clair-obscur, que des idées reçues forgées au fer de nos propres connaissances. Nous ne savons rien des autres. Nous les observons avec les oeillères de notre réalité. Nous n’avons aucune idée des pensées qui accompagnent les gestes, des maux qui se tapissent derrière les sourires las, des enfances nouées d’incertitudes.
Marie Robert, de Philosophyissexy, évoquait le profil des commentateurs – vous, moi. De ceux qui choisissent les mots vils au lieu des explications frontales. Il faut être immobile pour avoir le temps de jouer ce rôle. Celui ou celle qui est dans l’action de son quotidien, qui veut nourrir sa vie et suit son chemin ne vient pas dénigrer le travail ou l’existence de quelqu’un d’autre. Lorsque nous sommes centrés sur l’action de notre vie, lorsque nous sommes en mouvement, notre regard n’est pas le même. Tout commentaire, tout comportement similaire, est le reflet d’un immobilisme, voire d’un regard sur le passé. Il est le miroir d’une jalousie, d’un regret. Dénigrer, c’est comparer. C’est se mettre en position de dire « Regarde, je fais de meilleurs choix que toi ». Il faut ironiquement en douter pour en venir à attaquer les choix des autres. Ceux qui sont sereins face à leurs décisions n’éprouvent pas le besoin de les placer dans la jauge critique.
Cette conviction, c’est celle dont j’avais besoin pour me défaire tout à fait de ces commentaires-ci. J’avais déjà cheminé, appris à reconnaître la timidité derrière la froideur, ou le mal-être sous l’agressivité. Derrière les interventions les plus acerbes, il n’a finalement que le commentateur, son immobilité et ses doutes en miroir.
-Lexie Swing-
En 15 ans de blog (c’est finalement ma seule présence en ligne, je ne suis pas sur Facebook et mon compte Twitter me sert peu), j’ai eu assez peu de commentaires… douteux. Mais, la poignée que j’ai reçue m’est restée en mémoire, ce qui prouve que le venin de parfaits inconnus n’est pas si anodin.
Je me souviens de quelqu’un me traitant de « traître » quand j’ai eu mon premier passeport canadien (la réthorique étant que je devais choisir entre la France et le Canada). De m’être fait traitée de « conne de mère blanche » qui « priverait son enfant chinois de son héritage » après la naissance de Mark. Plus récemment, de vraies menaces de mort quand nous sommes partis au Brésil (du type « j’espère que vous crèverez là-bas bande d’inconscients »).
C’est drôle à quel point certaines choses anodines de la vie peuvent attiser les passions (le repas, dans ton exemple) et combien (heureusement) les gens peuvent comprendre et respecter les choix et différences.
Il y en a toujours quelques uns malheureusement. Je bloque tout, je refuse d’octroyer du temps de pensée à ce type de commentaires qui n’ont même pas vocation à être constructifs
Au début de mon aventure bloguesque ces commentaires créaient le doute chez moi et je tentais par tous moyens de me justifier. Et puis avec le temps, j’ai appris à les laisser être ce qu’ils étaient, c’est à dire rien. Juste le vide des autres qui ne vivent pas, qui comblent. C’est triste mais c’est comme ça.
Qui est on pour juger l’autre, sa vie, ses choix?
Comme tu le dis si bien Lexie, il n’y a guère de vérité ou bien chacun a la sienne. Et nous ne connaissons jamais la vie des uns et des autres.
Belle fin de journée!
Juste le vide des autres, c’est si bien dit !