Nostalgie

La relâche a été l’occasion pour nous de prendre, non pas des vacances, mais des moments ponctuels en amoureux, loin du tumulte parental des onze dernières années. Onze ans que nous vivons cette vie-ci, nos enfants chevillées à nos corps fatigués. “Il ne faut pas vous oublier” m’avait dit un jour une psy. Comment ne pas s’oublier lorsque les journées sont rythmées par une routine immuable et que les nuits sont si incertaines ? Mais les enfants grandissent et avec elles l’espoir que les prochaines années redonnent enfin à César le bon temps qu’il mérite, fait de course à pied, de nuits paisibles et de soirées cinés. Un tryptique que nous nous sommes employés à mener à bien tandis que nos enfants se doraient la pilule sur le sable du Costa Rica.

Parmi nos courtes expéditions, nous avions notamment prévu quelques heures sur l’avenue Monkland, quartier de Montréal où nous nous étions installés à notre arrivée au Québec. Situé à l’ouest de la ville, réputé abriter des Montréalais plutôt anglophones, le quartier nous avait choisi plutôt que nous l’avions fait, en ouvrant les bras à notre famille faite d’un enfant en bas âge et d’un gros chien, quand le reste de la ville observait avec dédain la perspective des babillages bruyants et des mottons de poils blancs. En quelques semaines, nous y avions trouvé un appartement, une gardienne et même un médecin, ce qui est un délai 42 fois inférieur à la moyenne (599 jours).

La vie portait ces couleurs spéciales qu’arborent les plus belles découvertes. Ces pans d’existence que l’on a anticipés et choisis, et dans lesquels on se plonge avec une délectation toute enfantine. Nous sommes sur Monkland et tout a changé. Et tout est pareil. Des magasins ont survécu aux dix années qui se sont écoulées, certains ont mis la clé sous la porte quand d’autres ont doublé leur surface. Des restaurants s’y sont succédé au rythme infernal que subit depuis quelques années l’industrie de la restauration. Les pavés sont les mêmes, ce coin de rue mille fois tourné, cette pharmacie où l’on achetait en rentrant couches trop chères et lait en poudre. La boutique de livres et de jouets où notre intérêt se déplaçait, à mesure que notre bébé grandissait et que ses goûts évoluaient.

On fait une pause dans un restaurant de cheesecakes, jadis connu pour servir autant des plats sur le pouce que des desserts. Les tables se comptent sur les doigts des deux mains et nous les avons probablement toutes essayées. Il y a de ces endroits qui sont un fief et que l’on adopte comme une seconde demeure. Ici la table où le bébé a un jour empoigné le pain de la table voisine. Par là celle où l’on a partagé pour la première fois nos assiettes avec la toute petite devenue jeune enfant. Dans le coin, ce moment inoubliable d’une couche trop remplie et d’un short d’été. Au fond de la salle, la salle de bains au petit rebord, devenue station de change de fortune par la grâce du système D parental.

C’est doux la nostalgie. Transposer l’hier et l’aujourd’hui, voir dans une rue en mouvements des vestiges de souvenirs, de petits pas sur des trottoirs glacés. Tant de petits pas depuis mais une histoire qui commence ici, sur cette avenue, cheminant dans une vie que l’on a tant voulue, tant espérée.

« On vivait ici », lui chuchote-t-on parfois à l’oreille, lorsque l’on a la chance de visiter le quartier avec elle. C’est notre secret, le souvenir de notre vie à trois. Celle à quatre a commencé ailleurs, plus tard, dans une ville différente et une maison que nous habitons toujours aujourd’hui. C’est une vie qui a aussi une mémoire qui l’habite, faite d’habitudes qui ne sont plus et d’endroits que l’on a fait nôtres quelques années durant.

C’est doux la nostalgie. C’est la partie heureuse de l’histoire, moelleuse et odorante. Celle qui nous rapproche aux moments de bascule. J’ai confiance en l’avenir puisque je sais d’où nous venons, d’un quartier à l’accent tout rond, où les chiens et enfants sont légions. Un quartier qui a fait village, pour nous, et nous a donné la piqûre d’une vie où l’on se croise et se reconnaît. C’est le point de départ.

-Lexie Swing-

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