En un instant à peine

Il aura suffi d’un trait de couleur dans un carré parfait. Des secrets que l’on chuchote, des petits messages précieux, des paquets de café au statut annonciateur. On va être mère, père, grands-parents, tatie, tonton, on se choisit les noms d’une identité future comme si l’on avait attendu que ça toute sa vie. Et l’on devient autre, on se renouvelle, on fait peau neuve, peau à peau avec un tout petit, si petit que le pyjama flotte sur lui. Mais si grand déjà que jamais on ne croirait qu’il y a deux minutes à peine il était là, sous la peau distendue d’un ventre vide. Vide de lui mais plein d’angoisse. Car la peur vient avec l’enfant. La peur pour lui, d’un monde chaotique qui ne suspend rien, ni son temps ni son vol. La peur de nous, de ne pas être assez, de parfois être trop, de ne pas être d’accord, raccord, de sacrifier ce que nous étions sur l’autel étroit de la parentalité qui ne laisse guère de place au reste, à l’individualité, à l’amour vif, à l’amour chair qui nous était si cher il y a un instant à peine. On occupe nos nuits à retenir notre souffle, priant pour que jamais le sien ne cesse. On occupe nos jours à supplier qu’il dorme, rêvant que le sommeil nous emporte à notre tour. On fait nôtre un monde de layettes, qui peuple tout, nos écrans, nos recherches, nos conversations sans fin, ivres de cet amour sans nul autre pareil. Puis un jour, le berceau devient trop petit, et les marches menaçantes, et la vie prend un nouveau tour, et les jours une autre couleur. Et bientôt on oublie, les bodys, les biberons, les petits corps assoupis sur le canapé du salon. On livre d’autres batailles et on découvre de nouveaux sursauts d’amour. Un matin on ouvre les yeux, et le temps a passé, et les nuits ont fini par donner à nos heures un sommeil apaisé. Et derrière la porte qui jouxte la nôtre, le corps étendu d’un enfant dont les jambes sont si longues qu’elles chatouillent le bout du lit. L’angoisse est toujours là et le monde tout aussi chaotique, mais l’enfant qui l’habite le parcourt désormais, avide et déterminé. Il marche et court et danse et parle. Il parle de tout, il parle sans cesse. Il raconte une histoire, la sienne, la nôtre. Celle d’une marque de couleur au milieu d’un carré blanc, d’une exclamation, d’un amour sans faille et d’un bonheur sans fin.

-Lexie Swing-

Credit montage : Lexie Swing

(Not) born to run

Avez-vous remarqué comme il y a des choses que l’on apprécie faire mais pour lesquelles on a aucun talent naturel ? Je pense aux sports (variés) bien entendu, aux arts plastiques bien sûr, ou même aux concepts financiers. Personnellement, j’adore la finance, la Bourse, l’idée qu’on peut placer 10$ et qu’ils fructifient dans mon dos. Un jour, j’ai lu les conseils d’un financier qui disait que le meilleur placement est celui que l’on oublie. Annoncer ça à la fille qui ne connaît même pas ses codes de connexion et se trompe de société quand on lui demande laquelle gère ses placements… C’est dire si c’est fait pour moi. Je suis comme ces écureuils qui cachent précieusement leurs noisettes et ne les retrouvent jamais. Mais au delà de ça, les concepts financiers, je n’y comprends pas grand chose non plus. Je suis zélée pourtant : j’emprunte des bouquins à la bibliothèque, je lis des articles spécialisés, je suis des comptes vulgarisateurs et… ma mère est conseillère financière. Et pourtant, ça ne rentre pas. Ni les appellations, ni les mécanismes. Mais je m’accroche.

Pour la course à pied, c’est pareil. Je n’ai aucun talent. Déjà, je suis lente, mais apparemment c’est désormais à la mode. On trouve des slows runners, en bon français. Ils ont des comptes Tik-Tok et ils courent à reculons. Bon je me moque parce que je trouve qu’on fait vraiment des publications pour n’importe quoi mais vous avez l’idée : je suis à la mode. Mais ça ne me donne pas du talent non plus (faut pas confondre la notoriété et le talent) (je n’ai pas la notoriété non plus ceci dit).

Ce qu’il y a de magnifique avec la course, c’est que les gens partent de zéro et se rendent au bout du monde en trois mois en sautant à cloche pied. Moi ça fait deux ans que je cours et je suis toujours essoufflée en bas de la rue. J’exagère un peu (coucou Marseille) mais je ne suis clairement pas au niveau des plus endurants. Mais que faire alors lorsque l’on a le sentiment de repartir du début à chaque nouvelle grippe (et j’ai quand même eu deux fois la grippe en six mois, mon record personnel) ? Je pense que ça vaut la peine de se plaindre un bon coup, jurer ses grands dieux que ça sert à rien, de toute façon on y arrivera pas, si on avait dû progresser ce serait déjà fait, et qu’on sera nul toute sa vie.

Et puis après ça, on enfile son coûteux attirail, chèrement acquis au fil des mois, et puis on reprend la route. Et oui, c’est difficile. On court deux kilomètres et demi comme on en courait sept quelques semaines avant. C’est rageant. Il fait froid alors on diversifie ses entraînements, on raccourcit pour mieux multiplier. Ma nouvelle obsession du moment, ce sont les cours de groupe au gym. Je cours au rythme d’une musique assourdissante, à l’unisson de onze autres paires de jambes qui rebondissent sur les tapis. Je fais des exercices de muscu que j’ignore royalement d’ordinaire et je me shape en prévision du redoux printanier. Il sera alors temps de reprendre l’entraînement, le vrai, le fatigant, et d’allonger les kilomètres.

Je vous ai dit que je courais un semi-marathon cet automne ?

-Lexie Swing-

Crédit photo : Andrew Rashotte

Le secondaire, et puis après ?

« Tu imagines ? Dans un an et demi, c’est le secondaire, et il va falloir tout recommencer. Et après ça va s’enchaîner : le Cegep, l’Université et après je vais devoir travailler au moins 35 ans. Franchement, je regrette d’être une humaine, j’aurais préféré être une tortue de compagnie. »

Elle a dit ça la bouche pleine d’un dôme chocolat blanc-pistaches qu’elle était en train de dévorer. Une tortue de compagnie. Je n’ai pas pu m’empêcher de m’esclaffer. Mais j’ai senti le bref désespoir de ces grands de l’école primaire qui n’ont que trop conscience de tout ce qui s’en vient après. En savais-je autant, à son âge ? Je ne crois pas, j’étais trop dans mon monde, trop dans l’instant. Mais elle n’a pas tout à fait tort, dans quelques mois, elle devra faire le choix de l’école secondaire. Un choix pas nécessairement définitif, mais pas anodin non plus. Quelques années plus tard, elle devra choisir son Cegep avant de déterminer ensuite si elle souhaite étudier à l’Université, et surtout ce qu’elle souhaite y étudier.

Je lui ai dit que travailler n’avait pas nécessairement besoin d’être un sacrifice, qu’on n’était pas obligés de passer 8 heures par jour dans un métier que l’on exècre, que l’on pouvait choisir une profession qui nous allume. Est-ce que je me leurre ? Est-ce que même le plus enthousiasmant des boulots fini par nous emplir de lassitude ?

« Oui mais je ne veux pas faire quelque chose comme vous ! Vous passez vos journées sur vos ordinateurs, ça doit être affreux ! »

Son jugement fait écho à des pensées que nous avons nous-mêmes déjà eues, lorsque nos corps engourdis par de longues journées passées à demi-pliés sur nos écrans nous faisaient nous interroger sur les chemins que nous avions pris. Je ne sais pas s’il existe des gens qui, aujourd’hui, traversent leurs années professionnelles sans jamais remettre en cause le choix qu’ils ont fait. Autrefois, c’était commun : on entrait dans une entreprise à une position donnée, on y gravissait – ou non – les échelons, et la meilleure nouvelle que l’on pouvait donner à ses proches, c’était que l’entreprise avait pour ambition de nous garder jusqu’à la mort. On pouvait décrire sa vie par l’intermédiaire de la profession que l’on avait exercée, puisqu’il y avait de fortes chances que celle-ci soit la seule.

Aujourd’hui, on demande à nos enfants de se commettre à des études pour apprendre un métier qu’ils n’exerceront peut-être qu’une poignée d’années. Un métier qu’ils doivent déterminer en fonction de leur personnalité. Mais est-ce que le métier qui nous correspond à 15 ans est-il vraiment le même que celui qui nous conviendra à 40 ? Si j’en crois les candidats à qui je parle au quotidien, probablement pas.

« Alors je fais comment, moi, pour savoir quel métier est vraiment fait pour moi ? » m’a-t-elle finalement demandé. Je lui ai dit qu’elle pouvait imaginer, essayer, se renseigner, poser des questions et peut-être nous faire confiance, un peu.

« Et si je me trompe ? »

« Tu ne pourras jamais te tromper », lui ai-je dit, forte de tous ces parcours que je croise dans mon propre métier. « Tu recommenceras seulement à apprendre, quelque chose de plus, quelque chose de neuf, et il ne sera jamais trop tard ».

Mais nos enfants connaîtront-ils un jour de nouveau la certitude tranquille d’être à la bonne place, dans le bon métier, d’être sur leur X (en bon québécois) ? Peut-être pas, et c’est probablement ça, notre mal du siècle. La perpétuelle possibilité d’un ailleurs plus approprié qui sème les graines d’un doute qui n’en finit plus de fleurir.

-Lexie Swing-

Dans leurs traces

Je marche dans la neige molle, mon chien au bout de sa laisse. Mon cellulaire est resté sur la commode de l’entrée et il n’y a rien d’autre sur mes oreilles que la tuque que j’ai ramenée de Colombie-Britannique, au printemps dernier.

Je pose mes pieds avec soin et mon corps qui déambule aux côtés de mon chien me rappelle celui de mon grand-père, il y a des années de cela. J’étais alors juste une enfant et à intervalles réguliers, il passait la porte de son appartement, au 10e étage d’un HLM odorant. Il sifflait ses chiens et me souriait. Et parfois, si je n’étais pas plongée dans un éternel bouquin, je l’accompagnais. Nous nous serrions dans le tout petit ascenseur et les étages défilaient. À chaque numéro, ses relents choisis, morceaux d’une vie où l’on mijotait les restes comme autant de promesses d’un souper convivial.

Au rez-de-chaussée, l’ascenseur nous crachait sur le carrelage gris, à moins qu’il n’ait été blanc dans une vie passée. Nous passions les portes et remontions le stationnement. Les chiens s’égayaient entre les voitures, libres autant que peuvent l’être des chiens qui n’ont d’yeux que pour leur maître. Je craignais toujours que l’on rencontre un autre animal, ce qui aurait inévitablement provoqué la rage d’Elliott, le noir, tandis que La Snoop, le brun, se serait terré derrière le premier talus venu.

25 ans plus tard, je pense à mon grand-père. J’ai ses mains dans mes poches et ses pas dans les miens. Je me demande à quoi il pensait, en promenant ses chiens. À cette époque, lorsque les cellulaires n’étaient qu’une prophétie dans des films de science-fiction, à quoi pensait-il en sifflant sur le chemin ? S’attendait-il à croiser des gens en particulier ? Était-il présent, conscient des trottoirs et de la peinture écaillée des passages piétonniers sur sa route habituelle ? Ou ses pensées le ramenaient-il à sa propre enfance, à son propre passé ? Était-il ailleurs en étant là-bas alors que je suis là-bas en arpentant l’ici ? Sommes-nous condamnés à déambuler dans un autre espace temps ? Est-on vraiment au même endroit, au même moment ?

Je me demande souvent comment s’orchestrait leur vie, ce que j’aurais fait différemment si j’étais née à une autre époque, un monde révolu où nos pensées n’étaient pas dictées par ce que nous tenons entre nos mains. J’essaie de me laisser porter par un chemin circonscrit aux limites du tangible : ma maison, l’école, le boulot, l’épicerie, la boulangerie. Un cercle fermé, une boucle ronde, un village où l’on s’entraide. Le monde extérieur n’est qu’un entrefilet dans le journal local, un défilé de paysages sur l’autoroute du sud dont on ne sort qu’une fois la plage en vue. L’horizon est à portée de vue et à portée de main, le futur écrit par avance dans le livre des existences individuelles.

Je pose mes pas dans ses traces. Il est présent à mes côtés à la manière de ceux qui sont partis depuis longtemps, dans cette continuité insolente qui guident les heureux qui portent en eux un lien indéfectible. Je suis son sang mais il aurait pu en être autrement. Le sang ne fait rien mais l’enfance oui. Ses souvenirs, ses mécanismes, ses habitudes, ses pas de deux dans le hall mal éclairé d’un appartement. Je suis un héritage, un prolongement. Et des pas sinueux sur un chemin de neige.

-Lexie Swing-

Photo Ivan Zhou

Triste temps

Ceci est un hommage.

A 14h08, samedi dernier, notre avion s’est posé sur le tarmac de l’aéroport Montréal-Trudeau. A 14h10, je rallumais mon téléphone. Au milieu des messages reçus, celui de mon amie qui m’annonçait le décès de son père. Ce n’est pas n’importe quelle amie, comme ce n’était pas n’importe quel père. D’ailleurs ce sont en réalité mes amies, au pluriel, et une grande famille que j’ai eu la chance de côtoyer depuis les premiers mots que j’ai couchés sur des feuilles.

Ces mots que j’écrivais, leur Papa les lisait. Pas à l’époque, probablement, mais plus tard oui. A l’instar de celles et ceux qui, ici, sur les réseaux sociaux ou par message privé, ponctuent mes écrits de leurs réflexions, commentaires et appréciations, il n’hésitait jamais à rebondir, interpeller l’un des membres de sa famille ou partager un passage qui lui avait plu.

J’en aurais écrit mille, des articles, si ça avait pu rallonger le chemin. Je l’aurais pavé de poésie, de doux et d’espoir. Mais même les mots les plus rares n’ont pas ce pouvoir.

Je ne savais pas tout de lui, pas grand chose même. Vous savez comment c’est, les parents de nos amis. On entre chez eux sur la pointe des pieds, attendant dans l’ombre, statufié, de se voir désigner une heure, un espace, un coin de table où l’on sera les bienvenus. Et puis on revient, jour après jour, année après année, à mesure que les amitiés grandissent. On s’invite pour tout, pour rien et un jour, on est comme chez soi. Je ne savais rien de plus de lui que ce que l’enfance avait su voir : une voix, une stature, une place à table, un rire, une façon de s’adresser aux siens. Mais lorsque, plus tard, la vie a fait son oeuvre et remplacé nos pitreries d’enfants par des préoccupations d’adultes, j’ai emporté dans mes bagages la sérénité qui se dégageait de cette vie, la bonhommie avec laquelle on m’accueillait et le sentiment que, si je me perdais un jour, le Nord pourrait sans peine se trouver à leur table.

A l’entrecroisement des mers et des terres, il y a parfois un phare qui brille plus que les autres. Et lorsque la lumière s’éteint, alors c’est tout un équipage qui doit réapprendre à se guider à la lueur des étoiles. Je souhaite à mes amies et à leur famille tout le courage possible pour faire face à cette épreuve.

-Lexie Swing-

Photo : Justin Pauley

Je vous souhaite …

Nous sommes la première semaine de janvier et je voulais vous transmettre mes meilleurs vœux. Dans quel état d’esprit commencez-vous 2024 ? Fébrile ? Nerveux ? Indifférent ? Êtes-vous du genre à faire mille projets ? Ou plutôt à clamer que le 1er janvier n’est que l’implacable continuité du 31 décembre, gueule de bois en option ?

De mon côté, je la commence comme je l’ai terminée, c’est à dire en toussant. Ce n’est pas tout à fait vrai ceci dit car mes dix jours de toux semblaient enfin être partis torturer quelqu’un d’autre mais ils sont revenus au galop depuis le 2 janvier, les coquins. Je tousse debout, couchée, sous la douche, en marchant, en chantant, en mangeant. Ce n’est plus une maladie, c’est une sangsue. J’ai trouvé un oignon coupé avec lequel je me promène, pleine d’espoir. Mon amoureux a juré ses grands dieux qu’il n’en voulait pas dans la chambre. Il dort et ignore encore que nous sommes désormais un ménage à trois qui sent le pot au feu.

J’ai plein d’idées que la toux ponctue joyeusement. Par exemple, j’aimerais aménager le sous-sol de ma maison. Faire bâtir un chalet. Partir en road-trip dans le nord de l’Europe. Et aux Galapagos. Courir un demi-marathon. Déclamer des textes sur de jolies images. Lancer un podcast sur un sujet que je ne connais pas encore. Écrire un livre pour enfants. Écrire un livre pour adultes. Commencer par la page des remerciements.

Où étions-nous il y a un an ? Que sommes-nous devenus aujourd’hui ? J’ai eu la chance de commencer cette année en compagnie de deux de mes plus chères et vieilles amies, et de passer mes vacances auprès de mes proches et autres amis de longue date. J’ai eu des échanges qui m’ont fait réfléchir, des discussions qui m’ont fait avancer. Je commence 2024 avec l’impression d’avoir pelleté le sable mouillé pour fortifier les fondations. J’ai mis des tas de coups de pelle sur mes tourelles de fortune. Trop de seaux arrachés à la va-vite au cours de cette année écoulée. J’avais mis des cailloux dans le fond mais ça n’a pas empêché l’eau de s’infiltrer. Heureusement, les vieux amis savent écoper comme personne.

Je vous souhaite tant de choses. De cette joie douce qui nous décroche un sourire parce que le vent nous décoiffe ou qu’un mouton nous dévisage dans le lointain. De rires incontrôlables. D’histoires un peu folles et d’aventures quotidiennes. D’idées, de projets, d’apprentissages et de succès. De chance. Et de proches pour vous accompagner, aux moments clés, aux moments doux, aux moments phares, aux moments rares. Je vous souhaite des yeux pour être le miroir de votre monde. Des yeux fiers, des yeux doux, des yeux compatissants, des yeux rieurs.

Je vous souhaite le bonheur que vous méritez.

-Lexie Swing-

Crédit photo : Lexie Swing

Dernier mardi avant 2024

Nous sommes le mardi 26 décembre, le dernier mardi avant la nouvelle année. Il y a un an tout juste, je nous faisais une promesse : publier un article par semaine pendant un an. C’était une tentative, à peine un espoir. Après avoir joyeusement grandi depuis 2012, le blog n’avait pas résisté au désarroi de la pandémie de 2020 et l’inspiration s’était tarie à mesure que l’isolement s’installait. Il n’était pas le seul à végéter et bien des espaces ont fermé depuis, comme on met la clé sous la porte d’une boutique qui avait pourtant connu de belles heures de gloire. J’ai hésité à renouveler le bail et puis j’ai eu envie de nous laisser une chance. Je crois que je n’avais pas envie que Lexie Swing disparaisse complètement.

Alors nous y voilà : un an de publications ! Le calendrier que j’avais prévu a pris le bord en cours d’année, et certains articles sont arrivés sur les réseaux aux petites heures de la nuit le mardi. J’ai souvent mis ça sur le compte du décalage horaire. De ces articles ont découlé des échanges précieux, des idées, des fenêtres sur votre monde, et c’est ce qui m’a toujours donné envie de publier ici, autoriser le partage, les échanges et donner corps à nos idées communes.

Je connais plein de gens qui sont férus de bilans, comme on est parfois férus de listes. On liste les petites choses du quotidien et les grands moments de l’année, histoire de faire le point. S’autorise-t-on à raturer ce qui n’a pas fonctionné ? Surligne-t-on les accomplissements ? De quoi s’enorgueillit-on, une fois l’année achevée ?

De mon côté, il y a bien sûr eu mon nouvel emploi, en juin, et le roller-coaster émotionnel qui l’a précédé. Il y a eu nos vacances à quatre en Gaspésie, notre deuxième road-trip après le tout premier réalisé alors que les filles étaient encore toutes petites. Et puis au milieu de ces grands instants, il y a eu tous les petits accomplissements du quotidien, la simplicité d’une vie où elles ont 10 et 8 ans – les meilleurs âges à date, si vous voulez mon avis.

Je mentirais si je disais qu’il n’y a pas eu de reculs et s’il n’y a pas eu de doutes. Qu’il n’y a pas eu des moments où j’ai dû aller chercher plus loin dans mon âme pour continuer à avancer. Parfois, j’ai l’impression que la vie est comme ces jeux vidéos dont le cadre bouge sans cesse, contraignant le personnage à courir sans arrêt. Il ne peut s’arrêter sous peine de se retrouver englouti. Un instant de répit et c’est Game over. Alors on avance, pour échapper au temps qui passe et répondre aux impératifs qui reposent sur nos épaules comme autant de sacs de plomb. Parfois, c’est une course avec handicap, le kart a un pneu crevé et la direction tire à gauche. Souvent, le parcours est semé d’embûches mais on a la chance du débutant et des étoiles en case bonus. On nargue les vilains monstres avant de se prendre une carapace de tortue dans la tronche et de tournoyer sur nous-mêmes, hébétés par le choc.

Ma vie est une partie de Mario-Kart que je rejoue sans cesse. Parfois je perds, rarement je gagne, généralement je finis en milieu de peloton après avoir fait la course en tête pendant deux tours et crié victoire trop tôt. Toujours, j’apprends. La frustration, les échecs, mais surtout le fait que chaque fois, la partie recommence, pour me laisser une nouvelle chance.

Serez-vous là en 2024 ?

-Lexie, joueuse de Mario-Kart depuis 1992-

Dernière ligne droite avant Noël

Nous sommes en direct de l’aéroport. Cela fait des années que nous ne sommes pas rentrés pour les Fêtes. L’avantage de rentrer pour les fêtes, c’est que tout le monde est là. L’inconvénient c’est que… et bien tout le monde est là et que notre agenda est plus rempli que celui d’un ministre du travail en pleine négo.

Mais honnêtement je suis ravie, cela fait si longtemps que nous n’avons pas eu la chance de voir certains membres de notre famille et nos amis. Être immigré et passer les Fêtes de Noël dans son pays d’origine est à la fois exaltant et épuisant. C’est comme boire cul-sec une tequila frappée. C’est bon mais on a la tête qui tourne et après trois de suite, ce n’est plus le sel c’est la teq qu’on jette par dessus l’épaule. Oui c’est du vécu.

La perspective de Noël a changé, vous ne trouvez pas ? Il y a quelques décennies de ça, on se réjouissait davantage, et surtout faisait-on plus semblant. La maîtresse de maison faisait semblant de se réjouir de cuisiner trois jours entiers et recevoir 25 convives dans son salon qui ne lèveraient pas le petit doigt pour l’aider à débarrasser. Les étudiants faisaient semblant d’avoir du plaisir à retrouver leurs parents, oncles et tantes qui ne manqueraient pas de les harceler sur le sens qu’ils voulaient donner à leur vie et la personne du sexe opposé avec qui ils comptaient la passer. Les adultes plus matures faisaient semblant d’avoir de la compassion pour l’oncle alcoolo-raciste qui réduirait l’immigration à un fait-divers tragique et le continent africain à la colonisation.

Les temps ont changé. On s’autorise à appréhender les fêtes, à dire que l’on se passerait bien de cet étalage de faux bons sentiments. On a appris aussi à dire non, non aux gens avec qui l’on ne partage rien, sauf de l’ADN. Non aux réceptions qui laissent les maîtresses de maison exsangues sans même un merci. Non aux sentiments d’obligation.

On voit de plus en plus des gens qui feront l’impasse sur le repas colossal au profit d’un simple souper avec la famille proche. On lit tous ceux qui refusent de souscrire aux traditions culinaires qu’ils n’aiment guère pour créer leur propre tradition. Il y a des gens autour de moi qui seront avec leurs amis pour Noël, leur famille de choix. Il y a des gens qui feront un plateau télé en famille devant un bon film. Il y en a qui seront seuls, par choix ou non, et j’espère qu’ils profiteront quand même et feront fi de tous les impératifs sociaux qu’on se fixe alors même que l’on s’y sent à l’étroit.

Je vous souhaite de merveilleuses fêtes, des choses qui vous plaisent à manger, des films sympas à regarder, des moments pour vous et avec vos proches, si c’est ce que vous souhaitez. Soyez heureux, vous le méritez.

-Lexie Swing-

Crédit photo : Lexie Swing

L’hiver au Québec

On a vu arriver l’hiver québécois avec l’envie de ceux qui y font face pour la 11e fois : plutôt réduite. Avant le manteau blanc est arrivé le froid polaire, piquant comme un vin très jeune. Ce froid qui empoigne le visage et force à baisser les yeux, le nez glissé dans des écharpes toujours trop fines. Le moindre geste extérieur est devenu pénible : jeter un sac aux vidanges, sortir le chien ou aller faire une course à l’épicerie du coin. Plus rien n’est anodin et l’amplitude thermique se mesure au temps de préparation dans l’entrée.

Dans mon entourage, certains se préparent à leur premier hiver. Ils ont l’enthousiasme de ceux à qui l’on a donné la clé du pays des merveilles et des décors Hallmark. Manteaux d’hiver enfilés dès les premiers frimas, ils découvrent avec ravissement qu’il existe un monde en dessous de zéro et que celui-ci vit encore. Pire : il vit normalement. Il travaille, fait du sport et range son épicerie dans son coffre comme si le blizzard ne menaçait pas de recongeler le pain de mie en tranches.

Je me souviens encore, de mes premiers hivers, et de ces amis qui râlaient dans leur manteau d’automne en luttant contre le froid. Comment pouvaient-ils être las face à ce soleil lumineux sur la glace luisante ? « Tu verras, quand ça fera dix hivers comme nous ». Et puis ça a fait dix et je n’ai rien senti. Et puis ça a fait onze et j’ai enfin compris. J’ai compris que l’on pouvait aimer démesurément un endroit mais vivre le froid arrivé trop tôt comme un affront personnel. Que l’on pouvait accuser le coup d’un entraînement de course amoindri par la venue hâtive de la neige. Que c’était peut-être même ça un peu, d’être citoyen canadien : détester que le froid revienne et puis vivre quand même.

Parce que c’est toute la beauté de cette vie-ci. Craindre le retour du froid et l’accepter malgré tout. Ne pas lutter. Faire preuve de bonhommie face à ces aléas de température sur lesquels nous n’avons aucun contrôle. Se raccrocher au meilleur : la neige craquante sous les baskets de course, les chocolats chauds qui fument dans le froid du matin, le foyer en plein air sur la place du village. C’est notre petit coin qui prend des airs de stations de ski tous les hivers, justifiant que l’on dîne de raclettes plus souvent qu’à notre tour.

J’écoutais récemment les mots d’une suédoise qui vit proche du pôle nord et se trouve désormais dans cette période appelée la nuit polaire. Ce temps de l’année où la nuit s’installe pour plusieurs mois. Répondant au désarroi de ses lecteurs qui lui assuraient qu’eux mêmes « ne pourraient jamais supporter une nuit permanente », elle répondait quelque chose de doux, et de juste. Elle disait qu’elle aimait cette période car elle lui permettait de suspendre le temps. Elle s’autorisait alors à se replier sur elle-même, à prendre du recul et le temps pour des puzzles au coin du feu. Comme un long dimanche. Quand, finalement, se laisse-t-on le temps de n’être rien de plus qu’un corps chaud lové sur un vieux sofa, qui n’attend rien du moment, et n’analyse rien, ni ce qui était, ni ce qui sera ? À sa manière, en réduisant nos temps de clarté journalière et amenuisant la longueur de nos sorties, l’hiver nous donne sa bénédiction. Il nous autorise, pour quelque temps, à rester, immobiles, en suspens.

-Lexie Swing-

Toutes ces femmes (dans ma vie)

Vous rappelez-vous des L5 ? “Toutes les femmes de ta vie, en moi réunies…” Un classique de la musique populaire dans des années où j’avais moins mal aux genoux, si vous voyez ce que je veux dire. En play-back le samedi matin lors du Hit Machine, le groupe monté par la grâce de producteurs ambitieux, pour ne pas dire opportunistes, ânonnait des paroles comme seules la pop (et Dieu sait que j’aime la pop) sait en enfanter.

Ce sont ces paroles-ci qui me sont venues en tête récemment, alors que mon esprit se perdait dans les méandres de mon agenda hebdomadaire. Lundi ? Psy. Mardi ? Ergo. Mercredi ? Technicienne dentaire. Jeudi ? Rencontre avec la professeure. Vendredi ? Masso. Des femmes qui nous entourent aux femmes qui nous supportent, mon monde repose en majorité sur les femmes qui gravitent autour de moi. Il faut dire que j’oscille dans un microcosme, un périmètre réduit à ma ville de banlieue où je dors, travaille, envoie mes enfants à l’école, fais mon épicerie, etc.

Les femmes y sont partout. Elles sont nos interlocutrices au café, au magasin local de produits de santé, à la petite échoppe d’aliments en vrac, au café, au salon de thé, à la crémerie, chez le coiffeur, au club mamans-bébés. Elles sont le tissu social fort des petits coins comme le nôtre, et maintiennent ce lien qu’on accuse si souvent notre époque de dénouer.

J’ignore s’il s’agit d’un trait de caractère réellement genré ou si c’est la société qui nous modèle tant à devenir une certaine version de nous-mêmes, mais je crois que c’est notamment la capacité de communication forte des femmes qui permet à ce lien d’exister. Par delà la capacité à s’exprimer pour vendre qu’on a si longtemps raccrochée à un trait de caractère masculin, on est ici dans la communication comme vecteur d’un lien social. Ici, ce sont les femmes qui parlent, qui prennent des nouvelles, qui tiennent au courant. Entre nous un réseau se crée, plus puissant que n’importe quelle plateforme. Des messages ponctuent des fils de conversation entre voisins, entre amis, avertissant d’un retard d’autobus, d’un danger sur la route, d’un événement à venir. Les questions fusent, les propositions s’entremêlent. C’est quoi la liste 5 de vocabulaire ? Quelqu’un a-t-il un aspirateur en dépannage ? Rappelez-moi le nom de la dentiste ? Qui a déjà testé le nouveau resto sur la rue d’en haut ? On y donne nos avis, nos plats bien garnis et nos bénédictions.

Je sais que les hommes sont présents, de manière moins visible certainement. Mais cette vie, ce bruissement, cet intangible effort à rassembler, cette sororité qui n’a pour essence que le besoin même d’assurer des connexions qui deviennent un rempart au monde extérieur, c’est l’apanage des femmes. À chaque heure de ma vie, j’ai une pensée pour l’une d’elle. Pour celle qui nous nourrit, pour celle qui soigne, pour celle qui les éduque.

Cela prend un village pour élever un enfant, et beaucoup de femmes pour y grandir.

-Lexie Swing-

Photo : Samantha Hurley