Immigrer au Canada en dix questions 

Il y a quelques jours, je fêtais mon 4e anniversaire au Québec en surveillant la mouette qui lorgnait sur ma quiche aux champignons. Elle et moi marchions le long du quai, à l’extrémité du Parc Jean-Drapeau, et je faisais face à la skyline de Montréal, comme 7 ans auparavant, lors de nos premières vacances. Cette immigration et les questions qui s’y rattachent feront, je pense, toujours partie de nos vies. J’ai pour preuve cette connaissance, Française immigrée au Québec depuis 25 ans, à qui l’on pose tous les jours une question en rapport. L’accent fait toujours office d’allumette au feu des questionnements.

Je ne suis pas contre. Les questions sont généralement bienveillantes. Mais d’autres, peut-être, se les posent aussi. Voici dix questions que l’on me pose souvent, une fois mon accent identifié. Pas les dix d’un coup, il n’y a guère que moi qui sois capable de noyer quelqu’un sous un tel flot en l’espace de quelques minutes (#monfreremappellelaGestapo).

1) Mais… pourquoi?

C’est peut-être la question la moins facile. Pourquoi es-tu là? Ton pays est si beau, on y mange si bien, tu as la Sécu, qu’es-tu venue faire ici?

En fait, il y a huit ans, nous avions envie d’aventures. J’avais vécu en Irlande, mon chum avait vécu en Suisse, être étrangers quelque part était une façon de vivre qui nous séduisait. Nous pensions demander un PVT et puis certaines circonstances nous ont contraints à repousser le projet. Un an plus tard, nous nous envolions pour des vacances méritées au Canada. Le coup de foudre! Nous avons réfléchi au projet… jusqu’en 2011! En septembre, j’ai obtenu un contrat de deux ans au fin fond de la France, seul moyen pour décrocher un boulot dans ma branche. Mon chum, lui, commença bientôt à conjuguer boulot alimentaire et job de passion indépendante. Deux ans de contrat, deux ans parfait pour donner le coup d’envoi au projet «Résidence Permanente – Destination Québec». Ce qui nous poussait : l’envie d’ailleurs toujours, doublée d’une difficulté à trouver un travail dans nos branches (Paris exclu) et un climat social délétère (ce serait bientôt la Manif pour tous, rappelez-vous). Quelques problèmes de carte bancaire, de CSQ perdu par la poste et un bébé plus tard, le sésame a été délivré un matin de juillet. Le 25 août 2013, je m’envolais pour le Québec avec Air Transat, mon bébé arrimé dans le dos et mon chien enfermé dans une caisse immense.

2) C’est pas difficile de tout recommencer?

Si! Mais on est porté par l’euphorie du projet. Cependant, je n’aurais pas le goût de recommencer là, maintenant. J’admire pour ça les gens qui immigrent de nouveau dans un autre pays, ou bien qui retournent en France, car la simple pensée de devoir recommencer des démarches entières ou de refaire des cartons me donne de l’urticaire. Mais quand on part, la première fois, c’est magnifique : on fait le tri dans sa vie, dans ses choses, on fait le point sur son existence, on abandonne des gens, des affaires précieuses, des lieux chargés de mémoire, mais on se sent libres comme jamais auparavant. On écrit un nouveau chapitre, et même un nouveau tome. C’est exaltant, magique… Le genre d’émotions qu’on devrait tous pouvoir vivre une fois dans sa vie.

3) La France ne te manque pas?

Non. Enfin si. Mais pas ce que tu crois. Ma famille me manque, mes amis me manquent. La nourriture non, les paysages pas tant. Le plus difficile pour moi est de ne pas pouvoir être dans la spontanéité avec mes proches. Plus question de faire la surprise à mon père de le retrouver pour un lunch le jour de son anniversaire, plus de café «je prends ma pause je reviens dans cinq (20) minutes» avec ma mère, à côté de mon boulot, plus beaucoup d’amis qui passent dans le coin et restent pour souper. Impossible d’accorder plus de trois heures à nos amis lors de nos retours en France et l’essentiel doit être dit dans ce laps de temps. Ils me manquent, c’est évident. C’est triste, tout un pan de vie laissé derrière soi. Mais je ne pourrais revenir en arrière. La vie gagnée ici est une véritable pierre précieuse, une émeraude magnifique. Elle est un peu croche à cause de mes proches qui me manquent, mais elle luit de mille feux.

4) Tu as eu un bébé en France, l’autre au Québec, tu as préféré quoi?

Voyons voir… J’ai adoré, en France, être suivie par une sage-femme, et mon accouchement à Toulouse, à Estaing, était au-delà de toutes mes espérances. J’avais détesté par contre mon début de suivi avec une gynéco et j’ai trouvé le temps long – 4 jours – à l’hôpital. Mon suivi au Québec était moindre. J’ai fait trois échos, même si une seulement était obligatoire. Et j’ai trouvé la deuxième écho expéditive. Si je n’avais pas eu d’autres échos, et si en plus ça avait été mon premier bébé, je pense que j’aurais été affreusement déçue. J’ai beaucoup aimé mon accouchement, la gentillesse du personnel malgré la taille de l’hôpital, la sympathie du médecin. J’ai adoré pouvoir sortir au bout de 36h.

5) C’est quoi ton plat préféré au Canada/ tu me conseilles quoi?

La tarte au sucre et le pouding chômeur. Je ne suis pas une grande fan du sirop d’érable. J’aime, j’adore dans les vinaigrettes même, mais je n’en mets jamais sur les crêpes par exemple. Mais alors le sucre à la crème et autres préparations du genre… C’est bien simple : j’ai goûté une fois les mini-tartelettes au sucre d’un endroit proche de mon ancien boulot… et j’y suis retournée tous les jours, à la saison des sucres suivante, pour savoir quand ils allaient se décider enfin à en refaire! (C’est mon petit côté harceleuse qui ressort… ou la dépendance au sucre)

6) Mais comment t’as fait pour amener ton énorme chien?

Rien de plus simple! Je l’ai fait vacciner, y compris contre la rage. J’ai acheté une cage aux normes IATA, assez grande pour qu’il puisse se tourner. Je l’ai mis dedans (mais seulement une fois à l’aéroport). Je l’ai donné au gentil monsieur qui l’a déposé sur le tapis roulant. Je l’ai retrouvé 7h plus tard la queue entre les pattes, au milieu des bagages hors-dimension et je l’ai chargé comme j’ai pu sur un chariot. J’ai payé une taxe de 30 dollars environ pour son arrivée, si ma mémoire est bonne, et il a pu entrer au Canada. Le plus difficile a été de trouver un appartement qui acceptait les chiens (mais pas si difficile dans certains quartiers comme NDG).

7) Comment sont vus les enfants au Québec?

Ils sont les rois! Ils ont généralement des sets à colorier au resto, et des crayons à disposition. Il y a des tables à langer dans de nombreux toilettes de restaurants, parfois côté homme et côté femme, parfois en mixte, dans les toilettes pour personnes handicapées. Il y a beaucoup d’initiatives à leur attention dans les villes, des spectacles, des activités. Je ne peux pas encore parler de l’école mais j’ai le sentiment qu’ils sont globalement acceptés dans leur individualité. Il n’est pas rare d’être arrêté dans la rue par quelqu’un qui veut te parler de tes enfants, parler à tes enfants, te donner un coup de main avec tes enfants (porter ta poussette dans l’escalier). Il fait bon être un enfant au Canada (et être un parent aussi, de fait).

8) Tu rentres tous les combien, en France?

Deux ans environ. On est rentré tous les 12 à 18 mois, mais notre prochain retour se fera seulement dans deux ans. Rentrer correspond à un budget vacances normal, et nous avons envie d’allouer ce budget à d’autres destinations que la France, maintenant que les filles grandissent. Notre prochaine destination devrait donc être les Îles-de-la-Madeleine, l’été prochain.

9) C’est pas difficile de se faire soigner au Québec? La Sécu ne te manque pas?

Avec les années, on oublie un peu ce qu’il est possible de faire ou non en France, notamment au niveau de la Sécurité sociale. La prise en charge y est meilleure, voir certains spécialistes est plus rapide et les hôpitaux, pour certaines choses, sont plus rassurants. Le temps d’attente aux urgences est également moins long, je crois. Mais, sans comparer, voici ce que je peux dire : nous avons eu un médecin de famille très tôt après notre arrivée au Québec, ce qui est plutôt rare. C’est le même médecin que mes filles, et elle s’est proposée pour nous prendre en plus de nos filles. Les enfants trouvent généralement très facilement un médecin, et ils sont prioritaires en bas de 5 ans.

Nous avons fait une demande pour changer de médecin car depuis notre déménagement, nous sommes à une distance trop importante pour nous y rendre. Heureusement, elle nous donne parfois des conseils par courriel, mais nous avons sauté beaucoup de rendez-vous de suivi de notre fille en raison de cet éloignement. Nous sommes désormais sur les listes du Guichet d’accès pour la clientèle orpheline.

Lorsque nous sommes malades, nous allons au «sans rendez-vous». A Montréal, il est courant de se présenter puis d’attendre pour voir le médecin, mais sur la Rive-Sud, la politique est plutôt d’appeler la veille au soir et de réserver une place pour le lendemain matin.

Côté urgences, le service est bon au Children’s pour les enfants. On y est allé 5 fois je crois en 4 ans. Les cas urgents ont été pris de suite et très bien soignés. Pour nous adultes, c’est plus compliqué. Nous avons renoncé une fois car le temps d’attente était trop important. Par contre, une autre fois, mon conjoint a été pris rapidement après que le médecin du sans rendez-vous a appelé l’hôpital pour prévenir de l’urgence de la situation… Il y a du bon, comme du mauvais. Le système aura besoin d’être amélioré, c’est certain. Mais en tant que nouvel arrivant, l’important est surtout d’arriver à le décoder. Repérer quelques adresses, glaner des noms de médecins, afin de s’enlever ce stress particulier qu’est une santé mal encadrée.

10) Pis tu vas rester?

Oui, c’est le plan A. Ce n’est pas gravé dans le marbre, aucune trace indélébile, mais cœurs et raisons nous donnent le goût de rester. Nous sommes heureux, la vie se construit, nos enfants grandissent ici, ils ont de bonnes perspectives d’avenir et avec un peu de chance, nous pourrions obtenir la citoyenneté en 2018 ou 2019. Ma personnalité fait que, à chaque nouvel appartement, maison et ville où nous avons vécus, je m’empressais de parler de la prochaine destination, je ne défaisais jamais vraiment les cartons. Lorsque je suis arrivée au Québec, j’ai su très vite que je ne voulais plus repartir. Et mon envie s’est encore plus concrétisée quand nous avons emménagé à Saint-Bruno. J’aime où je suis, ce que je vis. Je ne voudrais plus bouger d’un iota.

 

– Lexie Swing –

Le temps des fêtes 

Août est un mois chargé en célébrations chez nous. Outre le fait que mes neveux sont nés ce mois-ci, ainsi qu’une petite fille qui m’est très proche, nous enchaînons également en quelques jours notre anniversaire de rencontre, celui de l’arrivée de mon amoureux au Canada, l’anniversaire de naissance de notre cadette, ainsi que celui de l’arrivée de ma grande, du chien et de moi-même dans notre patrie d’adoption.
Août est un beau mois, il nous réussit certainement. Depuis dix ans désormais, nous célébrons donc chaque année notre rencontre, du moins nos retrouvailles si l’on tient compte du fait que l’on se connaît depuis l’adolescence. Nous avons tenté de nous souvenir de chacun de nos anniversaires, puisque nous les fêtons, mais sans succès! Il y a comme un creux aux alentours des années 2011 et 2012, une incertitude. Quand avez-nous mangé dans ce restaurant sur Saint-Laurent? Est-ce pour notre anniversaire que l’on s’est offert ce voyage? Impossible d’avoir la timeline parfaite. Le temps a fait son œuvre et effacé nos repères, à défaut de notre sentiment d’avoir, malgré tout, réussi. Puisque cela fait dix ans et que l’on débat toujours avec autant de plaisirs, que l’on rit, que l’on échange, et que l’on se choisirait encore certainement, pour une première danse. Bien sûr, les défauts sont devenus plus pesants, et l’habitude a parfois pris le pas sur le plaisir de la découverte. Le fait d’avoir des enfants a fait naître aussi, l’envie plus pressante d’être seul(e). Chez soi, et surtout dans sa tête. Quand les enfants se taisent, on n’a plus autant envie qu’autrefois de relancer une discussion et l’on apprécie la quiétude du silence, fut-il partagé à deux. Mais on a appris aussi à nommer cette évidence, à souligner les incohérences, souvent au prix d’éclats de voix, histoire d’éviter d’autres éclats, au niveau du cœur. Et c’est ça aussi, dix ans. L’âge de sagesse (bientôt la préadolescence! À nous les emportements hormonaux, les boutons pis les cellulaires au forfait bloqué!)

4 ans également passés ici, au Québec. 4 ans de rebondissements, de changements, de joie, de tristesse aussi, mais 4 ans passés dans la plus complète certitude : ici, c’est chez nous. Le Canada n’est pas un eldorado mais il est indubitablement notre petit paradis terrestre. Ses gens bien sûr, mais aussi ses perspectives, sa beauté inégalable, sa richesse, ses surprises, ses associations alimentaires, ses initiatives à destination des enfants et la manière dont la famille est valorisée, sa tolérance, son climat lunatique, sa faune étonnante, et surtout ce sentiment qu’il me procure de n’être jamais complètement arrivé chez moi. Comme si ma vie, depuis 4 ans, était un perpétuel voyage en terre inconnue.

Et puis deux ans d’elle, mon amour. Deux ans que tu ris aux éclats, que tu grimaces, que tu nous enchante. Un an bientôt que tu marches, que tu grimpes, que tu cours, que tu sautes, que tu grimpes encore, et toujours plus haut, que tu fais la sourde oreille, que tu fais des câlins, que tu parles désormais, que tu chantes «Maman les p’tits bateaux» même si tu ne te rappelles jamais de la partie avec le gros nigaud. Tu es mon soleil E. Je t’aime tellement.

-Lexie Swing-

 

 

 

 

Enthousiasme et sportivité : mon Canada

C’était un rainy sunny day. Un de ces jours typiquement irlandais comme l’été québécois en est ponctué cette année. J’étais arrivée sous un soleil brûlant, regrettant déjà la crème solaire oubliée dans la voiture. La nourriture tout juste sortie des frigos, l’orage a tonné, sonnant le glas du temps d’été et de l’insouciance. Lire la suite

« J’ai changé de job » : 6 mois déjà!

Il y a six mois je vous annonçais mon grand changement de l’année 2016 (in extremis) : je changeais de job. De journaliste, métier visé depuis l’adolescence, je suis devenue… Je suis devenue quoi au fait?

Je suis devenue coordonnatrice. Ce qui est cool, avec un titre pareil, c’est qu’il veut tout dire. On lui accole toutes les prérogatives, et toutes les possibilités. Il y a des adjointes administratives qui sont des coordonnatrices, il y a des gestionnaires qui ont des titres de coordonnatrices. Et moi… et bien moi je suis un peu au milieu de tout ça. J’ai un poste pivot, un poste transit, je fais de l’administratif, j’ai une responsable à laquelle je me réfère, je coordonne de l’événementiel et soumet mes recherches à des comités. Je suis les discussions en témoin discret, en CC dans les courriels, en adjointe de réunion. Je documente, je garde, je garde tout. Dans un coin dans ma tête, dans mes cartables/classeurs par milliers. Je synthétise des informations, je dresse des bilans, j’accueille des gens, je pose des questions et anime en duo des tables rondes.

Je suis un membre d’équipe, ce que j’ai toujours ardemment souhaité. Je suis un personnage de l’ombre, comme je l’ai longtemps voulu. Je suis une personne référence, et ça me donne un petit quelque chose au quotidien.

Cela fait six mois. Pas une journée n’a été la même, pas une semaine n’a ressemblé à une autre. Je mesure aussi ma chance. Ce changement, sans expérience. Cette confiance, basée sur mes seules compétences et ma seule envie, n’aurait pas été possible ailleurs, en tout cas pas si facilement. Je suis venue au Canada aussi pour ça, et je suis rassurée de savoir que l’oasis au loin n’était pas qu’un mirage.

Je suis enfin revenue sur mes rails.

-Lexie Swing-

La reprise

cupcakeQuand nous sommes revenus de vacances, c’était un dimanche. Dès le lundi nous reprenions tous le chemin de notre quotidien. C’était un choix, et peut-être pas si mauvais compte tenu du fait que cela a évité aux filles de se morfondre devant la fin des vacances, et à nous de traîner la patte pour retourner au travail.

Le reste a suivi avec un peu plus de mal. Notre jardin était en friche, notre potager attendait ses plants, le sol du salon était toujours en stand-by, etc. Les jours ont défilé avec cette régularité qui rend facilement indolent face au moins nécessaire, comme le blogue.

Mais les semaines ont passé, nous avons rattrapé le retard des jours d’absence et il est temps de replonger. Ce n’est pas un début d’année mais qu’importe. Nous sommes toujours au commencement de quelque chose.

J’ai réfléchi à ce qui me plaisait de lire ailleurs, et j’ai décidé de le souligner un peu plus ici. Un peu plus de quotidien, un peu plus de choses testées que je souhaiterais vous partager (mais ne comptez pas sur moi pour photographier tous mes plats au restaurant, je n’ai pas la politesse d’attendre avant de dévorer), un peu plus de voyages, j’espère, et quelques repères pour les nouveaux arrivants. Un peu plus de chair, en fait. J’ai aussi décidé (enfin) de changer le physique du blogue. Il a une nouvelle coupe tendance, il a pris le soleil du Sud, il a fait du sport, et désormais il se sent mieux. J’espère qu’il vous plaira ainsi.

Il est possible que vous ayez l’impression que je prends un virage écolo-bio-féministe, ou féministo-biocolo-végétarien. Je veux d’abord que vous sachiez que ce n’est pas un virage. Comme je l’ai déjà souligné, le bio m’a longtemps fait rire (je trouvais que c’était une arnaque) et le véganisme (comme ce cupcake) est longtemps resté pour moi un truc d’extrémiste, chose que – comme je ne vous l’ai jamais caché – j’exècre. Il est vrai que j’évolue tranquillement vers ça (c’est pourquoi j’ai ensuite mangé ce cupcake). Parce que l’on change en grandissant, en vieillissant, et que je trouve ça correct. Il y a peu de chances que je me déclare soudainement la grande papesse de la tendance grano du moment. Parce que, chanceux que vous êtes, ce défaut là commence aussi à disparaître avec le temps. Quatre ans et demi de maternité, quatre ans comme immigrée, six mois comme nouvelle employée… Tout ça contribue à redonner un petit coup de boost à mon humilité.

Là où je vais être chiante, certainement, c’est sur l’égalitarisme, le féminisme. Quel que soit le nom qu’on donne à ce mouvement, il est pour moi central, primordial. Il est à la fois ce que je suis et ce que je transmets. Et j’avoue admettre peu les arguments qui vont dans l’autre sens. Je comprends qu’on puisse se sentir moins concerné, parce qu’on ne l’a pas vécu vraiment de discrimination, parce que le couple de ses parents était un couple très égalitaire, parce que l’on a jamais eu l’impression d’être choisie ou refusée pour son physique ou son sexe, parce que personne n’a jamais eu de paroles déplacées… Encore une fois, je ne suis pas extrême. Je ne suis pas susceptible non plus. Je suis une cause perdue. Je ne sais ni tenir correctement un balai ni faire une division de tête (et encore, s’il ne s’agissait que des divisions…). Je ne rentre dans aucune case de genre, je suis trop à gauche, tassée dans un coin, je dépasse, j’étouffe un peu des fois, et je ne me reconnais pas toujours dans les traits que l’on veut me dessiner, mais comme je suis gentille je me contente de sourire et de tourner les talons. La position est inconfortable, elle l’est depuis longtemps, pour beaucoup de femmes, et beaucoup d’hommes, et aussi pour tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans leur genre d’origine. Je veux autre chose pour nous, maintenant, et pour nos enfants, demain. Voilà pourquoi de temps en temps mes articles reviendront sur cette idée. Et pourquoi je continuerai à partager des articles qui font une promotion accessible de l’égalité des genres et des efforts de chacun.

Vous êtes libres de suivre ce qui vous plait, mais ne fermez pas les yeux trop vite. On peut tirer matière à réflexion de tout, même si l’on est pas dans cette tendance, et même si l’on est pas d’accord.

A très vite!

-Lexie Swing-

Crédit photo : Lexie Swing

Le coup de pouce à la canadienne

Hier, comme certains d’entre vous le savent grâce à Facebook, j’ai eu droit à une beau coup de main. Perdue sur le stationnement de la gare, sans autobus pour me ramener, j’ai bénéficié de l’aide d’une conductrice sur le départ pour me ramener chez moi avant que je sois en retard pour la garderie. Une simple phrase et elle m’a ouvert sa portière.

Ce que vous ignorez, en revanche, c’est que le jour même où je racontais ce beau geste, un autre s’est produit. Dans l’autobus qui me ramenait en ville – cette fois-ci j’avais eu la présence d’esprit de monter à bord à temps – je me suis rapidement retrouvée seule passagère. Alors que je m’enquérais du parcours suivi par l’autobus et de l’arrêt où je devais descendre pour aller récupérer ma voiture, le conducteur a pris à droite au stop. « Je vous emmène, m’a-t-il proposé. Je reprendrai mon itinéraire juste après. » Et c’est ainsi qu’il m’a déposé devant le capot de ma voiture, à deux blocs de là.

Bien sûr qu’il existe des tas de gens bienveillants et qu’il suffit de sourire un peu, un peu plus large, et un peu plus franchement, pour réveiller cette gentillesse et donner le tour de clé nécessaire. N’empêche qu’il n’y a qu’ici, au Canada, que je l’ai sentie si proche, si palpable. Pour toutes les fois où on m’a rapporté un toutou tombé de la poussette; pour toutes les fois où on m’a porté ma poussette pour monter dans l’autobus; pour toutes les portes qu’on m’a tenues; pour les coins de parapluies qu’on m’a prêtés au passage piéton, en attendant que le feu passe au vert; pour les places assises qu’on m’a laissées; pour la voiture que j’avais coincée dans un banc de neige et que mes voisins – alors tout nouveaux pour moi – ont aidé à dégager; pour la mère de famille qui s’est arrêtée, alors que je marchais sous la pluie battante, pour me demander si j’avais besoin d’un lift jusque chez moi; pour les tomates qu’on a accrochées à la porte de ma maison à cause d’un potager qui débordait; et pour tous les jouets que ma voisine dépose sur notre palier au fur et à mesure que son sous-sol se vide.

Il n’y a qu’ici que je me sens à ce point entourée, à ce point paisible. Parce que j’ai le sentiment que, si je tombe, il y aura des gens pour me relever. Et que si mon char m’abandonne, en rase campagne, il y aura des gens pour me ramener. C’est important, la bienveillance. Parce qu’on vit rassuré, on vit paisible, et on a le goût de donner à son tour, de porter quelques sacs et de tendre son parapluie. Ça rassure et ça porte, les jours de disette, quand les pleurs résonnent dans la maison et que l’on s’accroche au robinet pour ne pas partir avec l’eau qui se rembobine dans le siphon de l’évier. On pense à ce lift, les cheveux au vent, dans une décapotable. On pense au regard ahuri des passants, de nous voir descendre comme une Reine de Saba de notre bus momentanément privatisé. On pense aux sourires surtout, aux regards croisés et à l’interrogation qui s’y lit. Je peux faire quelque chose pour vous aider? On ne dit pas toujours oui mais c’est suffisant, d’avoir proposé, d’avoir demandé, d’avoir montré que non, nous ne sommes jamais tout à fait seuls, sur Terre.

-Lexie Swing-

Petit guide à l’usage de nos proches français

On s’en va bientôt visiter la France, son pain, son chocolat, son vin, son aligot, ses viennoiseries (j’ai faim, ça se voit non?) et son soleil (j’espère!). Avec moi j’emmène mes enfants (deux, un petit modèle, un grand modèle). Deux enfants qui ont grandi loin de la France. Avec tout ce que ça comporte comme avantages et inconvénients lorsqu’ils se retrouvent en Mère Patrie. Il se peut qu’il y ait des quiproquos. À ce titre, je vous propose donc à vous, mes amis et famille de France, un guide rapide et non exhaustif qui nous sauvera à tous bien des malentendus.

– La première fois qu’elles vont vous voir, elles vont crier et avoir la trouille. C’est que vous étiez derrière un écran d’ordinateur et maintenant vous êtes faits de chair et d’os. Laissez-leur un peu de temps pour s’habituer.

– Elles vont probablement confondre vos noms (mais rassurez-vous, la petite appelle aussi son père «Maman»).

– Elles ont l’accent du pays où elles vivent, surtout la grande. Elle dit «lô» pour là, elle dit «ça se peut-tu?», elle dit (souvent) «bas» pour «chaussette». Je sais que c’est tentant de la corriger mais sachez-le, ça ne va pas me plaire. Ça ne va pas lui plaire à elle non plus (elle a quatre ans et elle pense qu’elle a raison sur tout, imaginez quand elle a VRAIMENT raison). Et surtout, surtout, rire en criant «lô, t’entends elle dit lô!», ça ne fait rire que vous. Surtout pas moi. Regardez-moi bien, est-ce que je ris?

– La liste des mots qu’elles utilisent et qui ne sont pas les mêmes qu’en France est fort longue. Parmi ceux que vous avez le plus de chances d’entendre, vous noterez «abrier» (couvrir, avec une couverture par exemple), «la doudou» (la couverture), «le toutou» (le doudou), «yogourt» (yaourt), «chandail» (t-shirt), «tuque» (bonnet), «espadrilles» (baskets), «glissade» (toboggan), «suce» (la sucette, que la petite appelle «sussa»), «mitaines» (moufles), «cami» (débardeur), «kleenex» (mouchoir), «collation» (goûter, valable aussi le matin à 10h), «gars» (garçon), «allo» (coucou) (très courant, elle n’a pas été polluée par une certaine star de la téléréalité, rassure-toi), «s’enfarger» (se prendre les pieds dans quelque chose, comme dans «j’m’a enfargé dans la queue du chien, papa!»), «tu me niaises-tu?» (tu te moques de moi?). Un poupon est un bébé, un jeune enfant. Une poupée type nouveau-né est un bébé (je sais, je t’ai perdu).

– Elles sont en t-shirts par 15 degrés. Rappellez-vous que chez nous il faisait -15° il y a trois mois. Par 30 degrés de plus, toi aussi t’afficherais ton plus beau marcel.

– Elles mangent à 18h. Ça n’oblige personne à dîner à cette heure-là mais ça veut dire que dès 17h30 elles vont vous tanner sévère pour passer à table.

– «Tabarnak» est un très vilain mot. Je sais que ça peut paraître drôle comme ça, mais ne me donne pas l’envie d’apprendre «Putain de bordel de merde» à tes enfants, si tu vois ce que je veux dire.

– Au Québec, on dit les mots en anglais comme ils se prononcent… en anglais. Même si c’est une phrase en français. Si tu appelles «Spiderman», «Spidèremane», ne t’étonne pas qu’elles ne connaissent pas.

– «Les amis», ce sont les autres enfants. «Allez, va jouer avec les amis au parc» ne signifie pas qu’elles ont sympathisé avec tout le quartier mais juste qu’il y a un petit groupe d’enfants à l’air avenant apparemment du même âge. Au Québec, on est amical par essence et méfiant par exception.

– L’école commence à 5 ans. Elle n’est ni retardée ni déscolarisée. Elle va encore à la garderie puisqu’elle n’a pas l’âge requis pour commencer la maternelle.

– Le pain au chocolat est appelé chocolatine. Elle ne te «niaise» pas pour déclencher une bataille nord-sud pour qui a le bon terme.

Avec ça, nous devrions être au point pour passer de bonnes vacances! Quelqu’un peut me passer la crème solaire?

-Lexie Swing-

Mon pays d’immigrés

On rit en roumain, on s’énerve en espagnol, on s’émeut en arabe, on ironise en français et on fait des affaires… en anglais. On croise des jeunes qu’on devine asiatiques et l’on s’agace de ne pas reconnaître la spécificité de leur langue, par méconnaissance. On dit bonjour en arabe à la gardienne marocaine et l’on s’excuse d’un sourire de ne pas savoir en dire plus.

Les CV affichent les spécificités, des troisièmes langues venues d’autres contrées. Ici on parle français, anglais et souvent quelque chose de plus. Les familles continuent, avec raison, à chérir ces langues familiales, culturelles, traditionnelles. Garder ses racines pour en faire une force, une compétence supplémentaire.

La diversité nous rend riche. La diversité a rendu le Canada riche.

Nous la vivons au quotidien. Au travail, à l’épicerie, à la garderie. Beaucoup d’immigration. Juste pas toujours la même génération. Nous sommes l’immigration récente. La fille de notre première gardienne, Roumaine, a le même âge que moi. Mais c’est ici qu’elle a grandi. Les arrières-grands-parents de la blonde d’un ami, une Irlandaise, sont arrivés il y a fort longtemps et ont fait du Canada leur patrie.

Notre terreau c’est le monde mais les nouvelles racines font leur chemin dans cette terre-ci. On a transplanté nos semis dans ce pays qu’on a choisi. Et l’on ne tergiverse pas avec quelqu’un sur l’origine de son nom ou la couleur de sa peau. Car dans cette société là, celle qui se construit, nous sommes égaux. Il est mon coiffeur, elle est ma banquière, il est mon agent immobilier, elle est la caissière de mon épicerie, ils sont les amis de mes filles et de futures personnes indispensables au Québec de demain.

Cette diversité-là est physique, elle est de langue, elle est d’origine, elle est de religion, elle est de nuances de peau. Elle est visuelle, palpable, chantante. Elle est gourmande, tellement gourmande, quand elle se traduit par un potluck entre collègues et que chacun apporte un plat qu’il maîtrise. Elle est de mémoire, elle est un puzzle d’histoires, lorsque des événements surgissent, qui nous poussent à remonter le fil du temps et à comprendre le quotidien d’alors, au-delà de ce que nous ont appris nos livres d’histoire. Elle est de curiosité. Apprivoiser les habitudes des autres, plisser le nez devant des odeurs inconnues et s’amuser que tout le monde – ou presque – aime le pain.

Elle est nécessaire. Elle apporte tellement, en termes d’ouverture au monde, et de confrontation. Savoir qu’il n’existe pas une universalité mais un champ infini de possibilités.

Elle est secondaire, quand l’intérêt commun prime. Quand il faut venir en aide, quand il faut s’indigner, et quand il faut se réjouir.

Hier j’ai vu une jeune entrepreneure faire la promotion de ses nouvelles robes d’intérieur. L’une des photos principales met en scène deux magnifiques femmes. L’une blonde, aux cheveux longs et bouclés rejetés en arrière, la seconde aux yeux brillants superbes, avec un voile noué sur les cheveux. Les deux regardaient au loin, dans la même direction. Ça m’a émue, joyeusement émue, parce que c’est ça, c’est ce genre de monde auquel je crois. Une cohésion, un esprit d’équipe, une richesse faite de diversité et d’individus avec leur propre histoire, leur propre voix et leur propre visage.

On ne gagne rien à rester dans un entre-nous, mais l’on a tout à gagner à s’ouvrir au reste du monde, qui a tant à offrir.

-Lexie Swing-

Pourquoi avez-vous choisi votre ville comme maison?

Une bonne recette de burgers végétariens – j’adore les burgers végétariens – voilà ce que je cherchais lorsque je suis tombée sur le blog anglophone de Two Blue Lemons. Son article commençait par une interrogation : « pourquoi avez-vous choisi la ville où vous vivez ? » Mais surtout, pourquoi vous y sentez-vous « à la maison »?

Il y a toujours, lorsqu’on revient d’un long voyage, cette urgence, cette envie pressante de rentrer « à la maison ». C’est un sentiment que l’on retrouve parfois, aussi, lorsque l’on rentre chez ses parents et/ou dans la ville où l’on a grandi.

Mais revenons à la question initiale, je suis curieuse : pourquoi avez-vous choisi votre ville comme maison? Opportunités de travail? Coup de cœur? Bonnes écoles ? Est-ce que tout y est merveilleux ? Vous verriez vous mieux ailleurs?

Je vis au Québec. J’ai choisi le Québec pour une somme de différentes choses. Du positif (vie professionnelle, développement de mes enfants, paysages incroyables) et du négatif (climat social français, morosité, et absence d’opportunités professionnelles à ce moment là).

J’ai choisi Montréal parce que je m’y suis sentie chez moi dès le tout premier instant. J’avais vécu la même chose à Dublin. Il a suffi de quelques battements de cœur, et de quelques trottoirs foulés pour que ces villes deviennent mes villes.

Je vis à Montréal. J’y ai eu de belles opportunités professionnelles. J’ai un sentiment de confiance à y voir grandir mes enfants. J’en apprécie la culture, l’état d’esprit. Je me sens bien en manteau d’hiver en mars. J’en ai appris la culture, je continue chaque jour, et je suis même des cours! J’aime ses facettes multiples, ses événements. J’aime que ce soit une grande ville sans jamais m’y sentir étouffée.

J’ai choisi de vivre en dehors, dans une ville pour laquelle j’ai eu aussi un coup de cœur. Il a suffi d’une traversée en voiture pour que l’on sache que c’était LA ville. Parfois l’amoureux regarde de belles maisons dans des villes adjacentes, des maisons à étages, des maisons plus récentes. Mais je ne peux séparer mon habitation de ma ville. Et c’est cette ville que j’aime. La proximité de la garderie. Le petit café délicieux (et son chocolat chaud qui l’est encore plus!). La boutique pour enfants qui développe des produits écolos. Le café des parents et ses jeux pour enfants. Les fêtes de village autour du lac. Le Resto bar où je retrouve mes (nouvelles) amies mamans lorsque les enfants sont couchés. La patinoire intérieure et le patin sur le lac lorsqu’il est gelé. Le parc naturel. Le domaine skiable.

Je pourrais ajouter des points négatifs mais il n’y en a pas vraiment. Pour la première fois depuis que je suis adulte, l’endroit n’est plus une question. Aujourd’hui, dans ma vie présente et actuelle, il est une certitude. D’autres choses, parfois, sont remises en cause. Mais les racines, elles, font définitivement leur chemin.

-Lexie Swing-

Une journée dans mes souliers

J’ai récemment vu une vidéo du genre. Une semaine dans les chaussures de quelqu’un. C’était une vidéo de boulot (au Québec on dit UN vidéo, je vous le dis pour pas que vous soyez mêlés si un jour vous entendez ça) et la personne avait un travail qui s’y prêtait (beaucoup de déplacements) mais j’ai aimé le concept et j’aimerais ça en voir et lire d’autres sur le sujet.

Une journée dans mes souliers ? C’est parti!

Le réveil sonne chez nous à 5h30. Beaucoup trop tôt pour être honnête. 5h30 c’est un peu comme le milieu de la nuit. C’est donc au milieu de la nuit que notre réveil sonne, et comme tout bon humain du 21ème siècle, nous snoozons. Le vrai réveil, c’est 5h50. Toujours le milieu de la nuit, mais déjà l’aube, les prémices de l’histoire. Alors l’un de nous file sous la douche tandis que l’autre se rend à la cuisine préparer le petit-déjeuner. Ça c’est la théorie. En pratique, l’autre plonge la tête sous la couette, se déplace au milieu du lit et se rendort les bras en croix, profitant de la chaleur des draps et de l’espace libéré. #life

Généralement, c’est le moment que choisit Tempête pour se réveiller. En criant. Et réveiller sa soeur. Qui crie aussi. Une bonne journée commence donc. Parfois, comme ce matin, l’une des filles n’est pas à l’endroit indiqué dans le manuel, aka son lit. Elle est dans le nôtre. Comment est-ce arrivé ? On ne sait plus vraiment. J’ai bien rêvé d’elle me disant qu’elle n’était plus fatiguée et voulait monter dans notre lit – youpi, mais je me souviens avoir alors marmonné « noooon, va dans ton liiiit ». Visiblement ce n’était pas un rêve. Et ma fille est sourde.

Time for breakfast. Facile de s’en rappeler, Tempête arpente la maison en grondant « maaaangeeeer ». Souvent c’est pain et beurre et confiture, ou fromage. Rarement pâte à tartiner maison. Des fois c’est gâteaux du Costco. Bref, pour le côté « healthy » on repassera.

Le temps se fait pressant à mesure que les minutes s’égrènent sur l’horloge du four. Bientôt il est 6h53, toujours il est 7h02 et je me sens stressée de voir ainsi une nouvelle heure entamée alors qu’il reste tant à faire!

On jette le chien dehors et les miettes dans l’évier, et on annonce « les vêtements, pipi, les dents, non dans l’autre sens ». Mais en vrai c’est toujours dans ce sens là, parce qu’il est bien connu que c’est toujours plus agréable de baver sur son chandail propre et de dégrapher son pantalon pour faire pipi sitôt après l’avoir enfilé. Des fois je suis maquillée, des fois par encore, mais dans tous les cas j’ai toujours les cheveux moitié secs et pas de temps pour les sécher.

On met les tuques, les mitaines (moufles). On enlève la tuque pour passer le cache-cou. On remet la tuque. Les bottes sont déjà mises depuis dix minutes et ont arpenté plusieurs fois le salon laissant dans leur sillon des cailloux tel le Petit Poucet. On enfile les manteaux, on force pour passer les mitaines de ski dans l’ouverture du poignet. On zippe mais pas jusqu’en haut parce que dedans il fait trop chaud. On ouvre la porte, on trimballe, on bringuebale, on attache dans la voiture, on revient chercher ce qu’on a immanquablement oublié (lunch/peluche du jour/couches pour la garderie) et on s’en va à trois cents mètres de là. On défait les ceintures, on prend les enfants sous le bras et on court dans la garderie. 5 minutes montre en main et on ressort, pour courir à la voiture et prendre la direction de la gare, en bas de la ville. Il est 7h32, 7h33 à l’horloge de la voiture qui a trois minutes de retard, toujours. Faire chaque matin l’addition dans sa tête et se rendre compte qu’on est en retard. On déboule au carrefour en priant pour qu’il soit dégagé. On a une théorie et un chemin bis. La théorie veut que certains jours soient moins achalandés que d’autres, et le chemin bis passe en contrebas. Lorsqu’on le prend, on peut être sûr qu’en arrivant au dit carrefour, il n’y aura personne sur notre route habituelle. Preuve que la théorie ne tient jamais! Mais pourquoi n’y a-t-il soudainement plus de voitures à 7h36 alors qu’il y a un bouchon à 7h38?

Retour à nos moutons. Nous nous engageons sur le chemin de campagne qui mène à la gare. Ne pensez même pas y aller à pied, c’est un vrai no man’s land excentré de tout. On se gare toujours tout au fond, 4 minutes pour arriver sur le quai. À l’horizon le train fume, en se découpant dans les premiers rayons du soleil. C’est une vision magnifique.

Embarquement. 25 minutes de trajet. Le temps d’un bouquin, d’un échange de messages textes, de quelques courriels ou d’un texte à écrire. Le temps de regarder dehors aussi, et de profiter de la traversée magique du Saint-Laurent, avec les buildings en arrière-plan.

Nous sortons sur le quai, à la gare Bonaventure. Le monde est endormi et il y a peu de portes. Alors en file, nous progressons doucement, tranquillement, péniblement même, les mauvais jours. Comme quoi tout dépend toujours de comment l’on voit les choses.

Je travaille juste au dessus, à un souffle et quelques marches à peine. La journée s’enligne, je profite de la pause de midi pour avancer mes MOOC du moment et lire la presse en ligne. Quand j’ai le temps, je sors. Une petite marche, même au milieu des boutiques, est toujours utile pour se sortir la tête du seau.

Les heures de l’après-midi filent en un clin d’œil. Certains soirs, je reste tard, histoire de coordonner un événement, ou une soirée. Mais le plus souvent, à 16h31 je suis dans l’ascenseur. Je traine un peu dans la gare, maintenant que je suis à deux escalators du train, et c’est comme une invitation au voyage.

Un jour, un jour… Je monterai dans le train pour Toronto, pour Chicago. Mais ce soir, je pars pour Saint-Bruno. Je monte dans le premier wagon, et je m’assois en haut, à gauche, pour avoir une vue sur les quais. Je suis une fille d’habitude, immuable. Tellement que l’amoureux n’a plus besoin de me texter pour savoir où je me trouve. Je suis là, première porte, en haut de l’escalier. Le retour est tranquille, jamais trop long. C’est une vraie bulle d’oxygène, une pause nécessaire entre deux vies qui se marchent sur les pieds.

Voiture (tout au fond du stationnement, une gageure les jours de tempête de neige), garderie, maison. Le chien fait la fête, Tempête réclame « de l’eau » (du lait en fait) et Miss Swing tente prendre le dessus sur la mêlée générale en criant plus fort que les autres.

Les jours bénis, le repas a été cuit la veille au soir et attend sagement sous son cellophane. Souvent ce sont alors des lasagnes et dans le train qui me ramène chez moi je pense à elles avec la même intensité qu’à un nouvel amour à la fin de l’été. Les autres jours, c’est préparation rapide, un riz aux champignons, des pâtes aux légumes ou un quinoa touski. Les filles crient à l’inanition, en se lançant un ballon à travers la pièce. À intervalles réguliers, Tempête se roule par terre et Miss Swing lui dit qu’elle ne l’aime plus.

Heureusement, la nourriture arrive finalement sur la table. La plus petite engouffre son assiette avec tous les outils que la Providence a pu lui fournir (fourchette, cuillère, main droite grande ouverte) tandis que la grande chipote cet avocat dont elle jurait la veille que c’était son légume préféré pour toute sa vie durant.

L’heure du bain donne le signal de fin. Un peu de barbotage, des dents lavés et hop, en pyjama. On lit l’histoire, on se fait les lettres de l’alphabet au complet, on dit quels prénoms d’amis commencent par quelle lettre, quel nom de chose commence par quelle lettre, quels animaux commencent par quelle lettre. On essaye de sauter des pages mais ce n’est pas possible car Miss Swing connaît son alphabet sur le bout des doigts et de son entêtement. On arrive à s’arracher au livre, on éteint la lumière, on fait un dernier câlin et on sort de la chambre.

On revient sur nos pas. On dit « oui tu peux faire pipi ». On rallume la lumière. On attend. On attend encore parce que c’était plus-que-pipi. On essuie. On tient fermement par l’épaule son aînée qui se découvre soudainement un amour démesuré pour le rangement du salon. On reconduit au lit. Et on demande de bien-vouloir-se-coucher-vite-sinon-je-te-previens-je-ferme-la-porte-attention-je-compte-jusqu’à-3.

Et puis vient le moment de débauche, la pure, la vraie. On s’octroie cinq minutes pour lire une page de livre ou regarder le début d’une série. Ensuite la vie nous rappelle à l’ordre, il y a des lasagnes à préparer, une table à débarrasser, un lave vaisselle à remplir et une machine à faire tourner. Les souliers deviennent un peu pesants, un peu étroits. Un instant on se voit loin, pieds nus, sur une plage désertée de tout enfant, de tout travail, de toute contrainte et de tout lave-vaisselle à remplir.

Et puis on remet ses souliers. La vie n’attend pas.

Et vous, quelle est votre journée ?

-Lexie Swing-

 

Credit photo : Lexie Swing