Il y a quelques jours, je fêtais mon 4e anniversaire au Québec en surveillant la mouette qui lorgnait sur ma quiche aux champignons. Elle et moi marchions le long du quai, à l’extrémité du Parc Jean-Drapeau, et je faisais face à la skyline de Montréal, comme 7 ans auparavant, lors de nos premières vacances. Cette immigration et les questions qui s’y rattachent feront, je pense, toujours partie de nos vies. J’ai pour preuve cette connaissance, Française immigrée au Québec depuis 25 ans, à qui l’on pose tous les jours une question en rapport. L’accent fait toujours office d’allumette au feu des questionnements.
Je ne suis pas contre. Les questions sont généralement bienveillantes. Mais d’autres, peut-être, se les posent aussi. Voici dix questions que l’on me pose souvent, une fois mon accent identifié. Pas les dix d’un coup, il n’y a guère que moi qui sois capable de noyer quelqu’un sous un tel flot en l’espace de quelques minutes (#monfreremappellelaGestapo).
1) Mais… pourquoi?
C’est peut-être la question la moins facile. Pourquoi es-tu là? Ton pays est si beau, on y mange si bien, tu as la Sécu, qu’es-tu venue faire ici?
En fait, il y a huit ans, nous avions envie d’aventures. J’avais vécu en Irlande, mon chum avait vécu en Suisse, être étrangers quelque part était une façon de vivre qui nous séduisait. Nous pensions demander un PVT et puis certaines circonstances nous ont contraints à repousser le projet. Un an plus tard, nous nous envolions pour des vacances méritées au Canada. Le coup de foudre! Nous avons réfléchi au projet… jusqu’en 2011! En septembre, j’ai obtenu un contrat de deux ans au fin fond de la France, seul moyen pour décrocher un boulot dans ma branche. Mon chum, lui, commença bientôt à conjuguer boulot alimentaire et job de passion indépendante. Deux ans de contrat, deux ans parfait pour donner le coup d’envoi au projet «Résidence Permanente – Destination Québec». Ce qui nous poussait : l’envie d’ailleurs toujours, doublée d’une difficulté à trouver un travail dans nos branches (Paris exclu) et un climat social délétère (ce serait bientôt la Manif pour tous, rappelez-vous). Quelques problèmes de carte bancaire, de CSQ perdu par la poste et un bébé plus tard, le sésame a été délivré un matin de juillet. Le 25 août 2013, je m’envolais pour le Québec avec Air Transat, mon bébé arrimé dans le dos et mon chien enfermé dans une caisse immense.
2) C’est pas difficile de tout recommencer?
Si! Mais on est porté par l’euphorie du projet. Cependant, je n’aurais pas le goût de recommencer là, maintenant. J’admire pour ça les gens qui immigrent de nouveau dans un autre pays, ou bien qui retournent en France, car la simple pensée de devoir recommencer des démarches entières ou de refaire des cartons me donne de l’urticaire. Mais quand on part, la première fois, c’est magnifique : on fait le tri dans sa vie, dans ses choses, on fait le point sur son existence, on abandonne des gens, des affaires précieuses, des lieux chargés de mémoire, mais on se sent libres comme jamais auparavant. On écrit un nouveau chapitre, et même un nouveau tome. C’est exaltant, magique… Le genre d’émotions qu’on devrait tous pouvoir vivre une fois dans sa vie.
3) La France ne te manque pas?
Non. Enfin si. Mais pas ce que tu crois. Ma famille me manque, mes amis me manquent. La nourriture non, les paysages pas tant. Le plus difficile pour moi est de ne pas pouvoir être dans la spontanéité avec mes proches. Plus question de faire la surprise à mon père de le retrouver pour un lunch le jour de son anniversaire, plus de café «je prends ma pause je reviens dans cinq (20) minutes» avec ma mère, à côté de mon boulot, plus beaucoup d’amis qui passent dans le coin et restent pour souper. Impossible d’accorder plus de trois heures à nos amis lors de nos retours en France et l’essentiel doit être dit dans ce laps de temps. Ils me manquent, c’est évident. C’est triste, tout un pan de vie laissé derrière soi. Mais je ne pourrais revenir en arrière. La vie gagnée ici est une véritable pierre précieuse, une émeraude magnifique. Elle est un peu croche à cause de mes proches qui me manquent, mais elle luit de mille feux.
4) Tu as eu un bébé en France, l’autre au Québec, tu as préféré quoi?
Voyons voir… J’ai adoré, en France, être suivie par une sage-femme, et mon accouchement à Toulouse, à Estaing, était au-delà de toutes mes espérances. J’avais détesté par contre mon début de suivi avec une gynéco et j’ai trouvé le temps long – 4 jours – à l’hôpital. Mon suivi au Québec était moindre. J’ai fait trois échos, même si une seulement était obligatoire. Et j’ai trouvé la deuxième écho expéditive. Si je n’avais pas eu d’autres échos, et si en plus ça avait été mon premier bébé, je pense que j’aurais été affreusement déçue. J’ai beaucoup aimé mon accouchement, la gentillesse du personnel malgré la taille de l’hôpital, la sympathie du médecin. J’ai adoré pouvoir sortir au bout de 36h.
5) C’est quoi ton plat préféré au Canada/ tu me conseilles quoi?
La tarte au sucre et le pouding chômeur. Je ne suis pas une grande fan du sirop d’érable. J’aime, j’adore dans les vinaigrettes même, mais je n’en mets jamais sur les crêpes par exemple. Mais alors le sucre à la crème et autres préparations du genre… C’est bien simple : j’ai goûté une fois les mini-tartelettes au sucre d’un endroit proche de mon ancien boulot… et j’y suis retournée tous les jours, à la saison des sucres suivante, pour savoir quand ils allaient se décider enfin à en refaire! (C’est mon petit côté harceleuse qui ressort… ou la dépendance au sucre)
6) Mais comment t’as fait pour amener ton énorme chien?
Rien de plus simple! Je l’ai fait vacciner, y compris contre la rage. J’ai acheté une cage aux normes IATA, assez grande pour qu’il puisse se tourner. Je l’ai mis dedans (mais seulement une fois à l’aéroport). Je l’ai donné au gentil monsieur qui l’a déposé sur le tapis roulant. Je l’ai retrouvé 7h plus tard la queue entre les pattes, au milieu des bagages hors-dimension et je l’ai chargé comme j’ai pu sur un chariot. J’ai payé une taxe de 30 dollars environ pour son arrivée, si ma mémoire est bonne, et il a pu entrer au Canada. Le plus difficile a été de trouver un appartement qui acceptait les chiens (mais pas si difficile dans certains quartiers comme NDG).
7) Comment sont vus les enfants au Québec?
Ils sont les rois! Ils ont généralement des sets à colorier au resto, et des crayons à disposition. Il y a des tables à langer dans de nombreux toilettes de restaurants, parfois côté homme et côté femme, parfois en mixte, dans les toilettes pour personnes handicapées. Il y a beaucoup d’initiatives à leur attention dans les villes, des spectacles, des activités. Je ne peux pas encore parler de l’école mais j’ai le sentiment qu’ils sont globalement acceptés dans leur individualité. Il n’est pas rare d’être arrêté dans la rue par quelqu’un qui veut te parler de tes enfants, parler à tes enfants, te donner un coup de main avec tes enfants (porter ta poussette dans l’escalier). Il fait bon être un enfant au Canada (et être un parent aussi, de fait).
8) Tu rentres tous les combien, en France?
Deux ans environ. On est rentré tous les 12 à 18 mois, mais notre prochain retour se fera seulement dans deux ans. Rentrer correspond à un budget vacances normal, et nous avons envie d’allouer ce budget à d’autres destinations que la France, maintenant que les filles grandissent. Notre prochaine destination devrait donc être les Îles-de-la-Madeleine, l’été prochain.
9) C’est pas difficile de se faire soigner au Québec? La Sécu ne te manque pas?
Avec les années, on oublie un peu ce qu’il est possible de faire ou non en France, notamment au niveau de la Sécurité sociale. La prise en charge y est meilleure, voir certains spécialistes est plus rapide et les hôpitaux, pour certaines choses, sont plus rassurants. Le temps d’attente aux urgences est également moins long, je crois. Mais, sans comparer, voici ce que je peux dire : nous avons eu un médecin de famille très tôt après notre arrivée au Québec, ce qui est plutôt rare. C’est le même médecin que mes filles, et elle s’est proposée pour nous prendre en plus de nos filles. Les enfants trouvent généralement très facilement un médecin, et ils sont prioritaires en bas de 5 ans.
Nous avons fait une demande pour changer de médecin car depuis notre déménagement, nous sommes à une distance trop importante pour nous y rendre. Heureusement, elle nous donne parfois des conseils par courriel, mais nous avons sauté beaucoup de rendez-vous de suivi de notre fille en raison de cet éloignement. Nous sommes désormais sur les listes du Guichet d’accès pour la clientèle orpheline.
Lorsque nous sommes malades, nous allons au «sans rendez-vous». A Montréal, il est courant de se présenter puis d’attendre pour voir le médecin, mais sur la Rive-Sud, la politique est plutôt d’appeler la veille au soir et de réserver une place pour le lendemain matin.
Côté urgences, le service est bon au Children’s pour les enfants. On y est allé 5 fois je crois en 4 ans. Les cas urgents ont été pris de suite et très bien soignés. Pour nous adultes, c’est plus compliqué. Nous avons renoncé une fois car le temps d’attente était trop important. Par contre, une autre fois, mon conjoint a été pris rapidement après que le médecin du sans rendez-vous a appelé l’hôpital pour prévenir de l’urgence de la situation… Il y a du bon, comme du mauvais. Le système aura besoin d’être amélioré, c’est certain. Mais en tant que nouvel arrivant, l’important est surtout d’arriver à le décoder. Repérer quelques adresses, glaner des noms de médecins, afin de s’enlever ce stress particulier qu’est une santé mal encadrée.
10) Pis tu vas rester?
Oui, c’est le plan A. Ce n’est pas gravé dans le marbre, aucune trace indélébile, mais cœurs et raisons nous donnent le goût de rester. Nous sommes heureux, la vie se construit, nos enfants grandissent ici, ils ont de bonnes perspectives d’avenir et avec un peu de chance, nous pourrions obtenir la citoyenneté en 2018 ou 2019. Ma personnalité fait que, à chaque nouvel appartement, maison et ville où nous avons vécus, je m’empressais de parler de la prochaine destination, je ne défaisais jamais vraiment les cartons. Lorsque je suis arrivée au Québec, j’ai su très vite que je ne voulais plus repartir. Et mon envie s’est encore plus concrétisée quand nous avons emménagé à Saint-Bruno. J’aime où je suis, ce que je vis. Je ne voudrais plus bouger d’un iota.
– Lexie Swing –